Ignoti nulla cupido

Written by murielle

Wittgenstein a été malheureux toute sa vie. Déprimé et anxieux, il a même écrit dans son journal: « Il n’y a pas de bonheur pour moi, pas de joie, jamais ».  Et pourtant, quelques minutes avant sa mort, il aurait murmuré: « Dites-leur que j’ai eu une vie merveilleuse ».

La notion de bonheur est universellement comprise, mais elle échappe aussi à toute compréhension. Est-ce que je peux  vraiment être à la fois malheureuse et heureuse tous les jours pendant toute une vie? Et surtout est-ce que j’ai le choix en la matière?

La cynique et la hippie en moi se battent sans arrêt pour prendre le dessus. Je déteste les listes qui donnent la recette du bonheur en 10 points et les citations sur le bonheur me gonflent profondemment. Je déteste tout autant les professionnels du misérabilisme qui veulent pisser sur mes petites joies. Mais je me demande de plus en plus souvent si le bonheur peut s’atteindre au-delà de la génétique et de la personnalité.

En 1971, deux psychologues, Brickman et Campbell, avaient publié un article dans lequel ils expliquaient que l’amélioration objective des conditions de vie n’avait pas d’effet sur le bonheur individuel. Leur théorie « The hedonic treadmill » explique que les êtres humains ont une tendance naturelle à retourner à un état de bonheur relativement équilibré quelques années après un bouleversement positif ou négatif dans leur vie personnelle. C’est l’idée que même si vous gagnez à la loterie ou devenez paraplégique, vous revenez au même niveau fixe de bonheur un an ou deux plus tard. Cette théorie a été largement acceptée dans les années 1990, car elle expliquait pourquoi les niveaux de bonheur semblaient rester stable sur le long terme. Je suppose que cela marche si on croit que l’on est déterminé, tôt dans la vie, par des facteurs génétiques, y compris les traits de personnalité. Un très grand bonheur ou malheur ne serait donc que temporaire.

Une autre théorie est qu’au lieu d’exister comme un équilibre stable proche de la résilience,  le bonheur est beaucoup plus dynamique. Les choix individuels apporteraient des changements substantiels et permanents et pourraient avoir autant d’impact sur la satisfaction de sa vie que quelqu’un ayant une personnalité extravertie et optimiste.

Mouais… Je ne sais pas si ces deux théories sont valables ; la cynique a pris le dessus et je n’ai pas lu de livres sur le bonheur, ça me déprime.

La seule chose que je comprends c’est que ceux qui font des recherches en psychologie du bonheur considèrent souvent que le bonheur comporte deux composantes majeures : les émotions positives et la satisfaction.  Alors j’aimerais en ajouter une troisième: l’absence d’émotions négatives.

Facile…

11 thoughts on “Ignoti nulla cupido

  1. Fred says:

    je n’ai pas lu de livres sur le bonheur, ça me déprime
    :-)
    et les fêtes de bayonne?

  2. Laurent says:

    Le bonheur est une pression sociale. Et la théorie que le bonheur est un choix ne peut qu’engendrer des dépressions et autres problèmes psychologiques. Tout le monde ne peut pas choisir, n’a pas la capacité ni les moyens de choisir. On surestime le bonheur.

  3. Je suis bien d’accord avec Laurent, on surestime le bonheur .

  4. Assurément, Wittgenstein a dit la vérité sur son lit de mort.
    Pourquoi allait-il mentir à ce momento-là?
    Donc, il faut accepter que, malgré ses souffrances et ses adversités, sa vie a été merveilleuse.
    Personne ne connaît les racines du bonheur.
    On projette et on se trompe.
    On se laisse éblouir par les déclarations et les recettes.
    Mais il existe un bonheur personnel, profond et irréductible qui échappe aux évaluations.
    C’est pour cela que Wittgenstein a fait cet aveu. Il faut bien le croire.

  5. Mettre le bonheur en laboratoire , pour vendre des livres peut être , acquérir une renommée , certainement , pour être heureux ? mouais …
    … en fait je préfère les enseignements aux livres .

    Pas bête « absence de » … même si je l’apparente plus à la paix qu’au bonheur mais c’est juste , faire la place , dégager le terrain , le bonheur prend parfois un sacré place ! parfois toute petite , ça dépend lesquels , bonheurs :-)
    Ce qui suppose que les deux ne peuvent être simultanés et que Wittgenstein était un cachotier ou alors , son manque de joie ,ne l’a pas empêché de créer les causes du bonheur , le fruit a fini par murir et être gouté au seuil de la mort . L’Éthique sans doute fut sa compagne ?

    • Fred says:

      Cela me rappelle un article lu il y a quelque temps.
      Il y a une contraction de deux dimensions distinctes de bonheur: l’expérience émotionnelle de tous les jours (une évaluation de la façon dont vous vous sentez à un moment donné) et l’évaluation de la vie (un jugement de la façon dont vous êtes satisfait de votre vie). C’est la différence entre «Combien de fois avez-vous souri hier? » Et « Comment vous comparez votre vie à la meilleure vie possible que vous pouvez imaginer? »

      • Audrey says:

        Je préfèr cette vision qui suggère que nous avons plus de choix sur celui-ci, parce que l’évaluation de la vie n’est pas en fonction de ce que nous ressentons actuellement – c’est une comparaison de notre vie à ce que nous pensons qu’une bonne vie devrait être.

      • J’aime bien les deux questions qui permettent de relativiser ou du moins de faire des mini bilans et ensuite d’oublier pour continuer à vivre.

    • Je suppose que oui, on met trop d’emphase sur le bonheur.

  6. C’est peut-être un peu plus compliqué pour Wittgenstein qui a été le brillant philosophe analytique du XXème. Il a eu d’extraordinaires intuitions (=heureux), mais était très torturé religieusement et par son homosexualité (=malheureux). Et il n’était pas très patient avec ses pairs :) je suis assez d’accord avec Brickman et Campbell (et la suite).

  7. Je n’ai pas de solutions… mais, penser trop… c’est le mort de bonheur. Je trouves l’image au-dessus très amusant!

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