de nobis fabula narratur

Written by murielle

Encore une fois, je crains ne pas avoir été aussi régulière que j’aurais voulu avec l’écriture. C’est le mois – apparemment – pour m’occuper de moi et le fait de mettre en place mon activité d’auto-entrepreneuse et d’étudier m’a mis un peu hors limites. Mais je suis là, parfois avec des moments plus tranquilles : le soleil brille, mais pas trop chaudement, j’entends les cris des enfants en bas de la rue qui sortent de leur première journée d’école, et la nuit est encore loin. C’est un bel après-midi.

Alors… Réfléchissons sur les mots – ces choses qui me permettent de m’adresser à vous, et qui j’espère disent quelque chose d’utile, voire quelque chose de beau. Ils peuvent être en mesure de suggérer que, même si vous n’êtes pas moi et vice versa, nous avons des points communs – y compris la tendance très humaine de penser que ceux qui ne sont pas nous sont en quelque sorte … eh bien, un peu moins intéressants que nous sommes… Sinon eux aussi auraient un blog. Non?

C’est difficile de dire combien le sens des mots nous imprègne. Les mots façonnent notre monde, nos esprits et nos comportements, que ce soit consciemment ou secrètement. Et ils sont transportés par la résonance personnelle. Je ne peux pas entendre le mot « haie » ou « hacher » sans penser à ma grand-mère qui a toujours prononcé le « h » très fortement, façon patois béarnais.

Il y a beaucoup de mots que j’ai aimés très tôt parce qu’ils ont eu un effet palpable lorsqu’ils étaient prononcé, ensemble magnifique de son et de sens. Déjà enfant, j’aimais les mots qui définissaient et donnaient une structure, en particulier dans les zones liminales. Mais malgré les définitions très claires que j’avais mis en place, la vie n’en tenait pas compte et pouvait fonctionner rapidement de manière aléatoire.

La réalité peut devenir beaucoup plus gênante et désagréable quand les êtres humains interfèrent avec les mots utilisés pour la décrire. Par exemple, le mot « santé », un mot doucement énergique et direct pour quelque chose d’extrêmement précieux, est souvent utilisé trop légèrement au moment d’entrechoquer son verre à celui d’un autre. On oublie presque que ce mot bref décrit un bien, un état fragile.

C’est d’ailleurs parce que je vois un psy formidable, très à cheval sur les mots, que j’ai eu envie d’écrire cet article. Avec lui, je ne peux pas laisser les phrases en suspens, utiliser les points de suspension dont je suis friande. Il veut des mots précis, des descriptions et des phrases complètes. J’aime cet homme à la bienveillance ferme et à l’exigeance sémantique. Transfer, moi? …

Un autre mot. « Sécurité ». C’est un concept ridicule qu’aucun esprit démocrate n’aime utiliser . Cela me surprend continuellement, parce que j’ai tendance à penser que je voudrais me sentir en sécurité et que ceux que j’aime aient ce même sentiment. La sécurité n’est pas un bataillon de CRS en bas de chez moi à la moindre petite manif ou un taser à la ceinture d’un cowboy municipal. La sécurité c’est ne pas avoir à s’inquiéter pour soi et les autres, c’est pouvoir s’endormir tous les soirs sans une boule au ventre ou se réveiller le matin en redoutant ce qui va bien pouvoir arrive. Parce que la sécurité, c’est d’abord ça : un état d’esprit, se sentir tranquille et confiant.

Le mot « sécurité » est depuis de nombreuses années un mot galvaudé. Presque une blague ou un gros-mot, un raccourci utilisé à des fins politiques pour provoquer le dégoût, la peur ou le rejet des autres. Une excuse pour les journaux pour fabriquer des articles sensationnels et un prétexte pour manipuler les citoyens. Je vis maintenant dans un pays où la vie est de moins en moins sûre, où les employeurs sont beaucoup plus libres de donner la priorité au profit qu’à l’humanité.  Et où l’on suppose que les gens qui n’ont pas les moyens, ceux qui ne peuvent pas se défendre avec de l’argent, sont prêts à tout accepter, au travail comme dans la vie.

J’aime la promesse et l’ouverture sifflante du mot « sécurité ». Je sais toutes les sortes de pressions – politiques, commerciales, théologiques – que l’on met contre le pouvoir des mots afin de les façonner pour tel ou tel programme. Et je suis consciente qu’il faut un effort concerté pour continuer à maintenir une clarté intérieure tout en souffrant de la dissonance cognitive que le langage déformé apporte. Parfois le sens sera supprimé par des périphrases, parfois les mots et les expressions seront affectés, ou censurés, ils perdront de leur force. Parfois ils vont mourir par manque de conviction ou parce que l’ignorance et la stupidité auront pris le dessus.

Gentillesse – celui-ci aussi est un mot que j’aime: racines classiques complexes, une sorte de baiser en lui, un léger degré d’intention – c’est un mot désuet, déformé que je voudrais entendre et dire plus souvent.

 La plupart des gens ne font pas attention. Ils voient les mots comme des rocs, de grands objets impossibles à déplacer et sans vie, des nomades qui ne changent jamais.  Paul Auster

5 thoughts on “de nobis fabula narratur

  1. Marcus Volk says:

    Je suis…

  2. Je ne peux pas dire des mots qu’ils sont mes esclaves. Je pense parfois qu’ils sont mes ennemis. Ils se révoltent, se cachent, ne viennent pas quand je les appelle. Ils sont comme des enfants capricieux. Et pourtant ce sont eux qui apportent de la clarté, qui nous permettent de nous comprendre, nous et le monde. De l’essayer au moins.

    Tu as écrit un bel article sur ces petits effrontés.

  3. Nathalie says:

    Je ne me suis pas rendue compte que tu avais déménagé. Tu l’as fait en douceur sans aucun problème. :-)
    Moi aussi je suis, bien entendu!
    Pour les mots, parler de sécurité me fait penser aux bras de mon père toujours rassurant. Grandir en se sentant en sécurité enlève toute notion péjorative de ce mot.
    Un psy « à la bienveillance ferme et à l’exigeance sémantique » me plairait aussi :-)

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