Histoire de seins

Written by murielle

bethCeux qui sont sur facebook ont certainement vu le projet de Beth Whaanga « Under the red dress ». Ceux qui n’y sont pas ont lu autre part l’histoire de cette femme de Brisbane photographiée portant une robe, puis topless en sous-vêtements, montrant les cicatrices de sa double mastectomie préemptive, sa reconstruction et son hystérectomie (Whaanga a le gène BRCA2).

Elle prévient que les images sont « agressives », l’objectif étant de sensibiliser sur le cancer du sein. Les photographies de Nadia Masot sont intransigeantes : les cicatrices, encore à vif, douloureuses, ressemblent aux zébrures d’un fouet. Quand vous regardez, les cicatrices se confondent avec l’expression du visage de Whaanga, pour raconter son histoire de la douleur, de l’identité et de la survie. C’est aussi une histoire de courage pour se mettre en culotte, se présenter telle quelle et affronter l’œil de l’appareil avec l’affirmation de suivante: « [les individus] semblent normaux, mais sous leurs vêtements parfois leur corps racontent une autre histoire. Mes cicatrices ne sont pas laides, elles veulent dire que je suis vivante. »

Quand sa campagne est devenue virale, plus de100 personnes ont décidé de ne plus être ami(e)s avec elle. Pour cela? Certains ont dit qu’ils étaient préoccupés par l’arène facebook plutôt que par son message, et que les enfants pouvaient y accéder – peu probable car il y avait un avertissement. Et même si. Est-ce si important qu’un enfant accède à ces photos? Une cicatrice peut certes choquer mais chaque cicatrice raconte une histoire, une victoire, une anecdote parfois amusante parfois douloureuse. Un enfant est capable de l’entendre et de comprendre.

Fait intéressant, plus le projet s’est accéléré et a généré le soutien, plus la censure s’est accentuée. Elle est belle, blonde – disons simplement « hot ». Certains l’ont accusé d’être narcissique. D’autres ont dit qu’elle n’obtiendrait pas autant d’attention positive si elle n’était pas si jeune et belle. D’autres encore, plus partisans, ont insisté sur le fait qu’elle était « toujours belle », et ainsi de suite.

Si on oublie le trolling pour une seconde, il y a un véritable élément de malaise quasi-sexualisé sur les images. Comme si la juxtaposition de la beauté et l’attrait sexuel avec la réalité de ce que son corps avait subi, était offensive et négative. Dans un renversement de la norme, où les gens attrayants sont perçus comme plus appréciés, c’est presque comme si Whaanga était « punie » pour embrouiller les gens – elle les trompe en étant évidemment très jolie, mais tout aussi évidemment marquée. Non seulement punie mais doublement : d’abord pour ne pas rester dans sa robe sexy et pour ne pas se cacher, honteuse et intimidée, comme une bonne fille déformée devrait le faire… Remettre en cause l’idée de féminité ne passe pas bien chez les internautes. Poster des seins de femmes, oui, mais seulement s’ils appartiennent à Gisèle ou Emily.

Cela se passe aussi dans l’autre sens. Il y a eu des projets d’émission de sensibilisation impliquant des personnes montrant leurs cicatrices, avec trop souvent le même refrain de « cachez-moi ça »  au motif que c’est « laid, déprimant, disgracieux, ils sont trop vieux, trop malades, c’est juste pour choquer, etc. »  Ici, cependant, c’est la preuve que même les relativement jeunes et jolies sont également découragées de partager leurs histoires, ou insultées et réprimandées quand elles le font. Narcissisme? Et puis quoi encore? Si Whaanga veut nous dire ce qui s’est passé, quoi de mieux que d’utiliser la toile primaire de son corps? Une photo vaut parfois mieux que des textes pour narrer l’histoire de la maladie.

De même, les discours contradictoires qu’elle est trop jolie pour être entendue, mais plus assez jolie pour importer, continuent. Ce sont encore et toujours les mêmes mécanismes exacts et brouillés pour museler les femmes – « 1001 raisons pour que les femmes restent à leur place et se taisent » – que l’on retrouve dans toute la société.

Sur son chemin de vie, en défiant le regard des autres, elle a exposé les personnes qui ne semblent pas en mesure de faire face aux dures réalités d’une maladie grave. C’est par un évènement aussi fort que la maladie qu’elle a pu enfin faire le tri. Non seulement cela, mais elle a pu éclairer le fait qu’une femme puisse être beaucoup de choses compliquées à la fois, et « balafrée » est juste l’une d’entre elles.

Je vous conseille également la lecture d’un blog qui s’intitule Le corps des femmes.

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28 thoughts on “Histoire de seins

  1. Fred says:

    Il y a mille choses à dire sur la bêtise de ceux qui sont contre son projet. Leur inconfort face à ce qui n’est pas esthétique ou lisse, ce qui n’est pas sain et en bonne santé relève de l’idiotie. J’ai le souvenir de la cicatrice de césarienne de ma mère qui m’avait expliqué, encore petit, comment elle l’avait eu. Les cicatrices sont les tatouages naturels de la vie.

    • Une jolie expression sur les cicatrices. C’est facile de faire elle tri des personnes qui comptent quand elles parlent de ne pas supporter par exemple l’hôpital etc. Il y a un vieux sketch de Pierre Palmade sur la maladie qui est d’une justesse et cruauté impeccable.

  2. Anne-Marie says:

    Je vois ses cicatrices et je vois sa force et sa lutte pour survivre. Ceux qui ne voient qu’un corps qui choque passent à coté d’une histoire et d’une personnalité.
    J’ai beaucoup de chance d’avoir pris le temps de connaître mon mari et qu’il prenne le temps de me connaître aussi. Quand nous avons enfin couché ensemble il était déjà amoureux de moi et mes cicatrices n’ont changé en rien le regard qu’il portait sur moi.
    Je pense que tu as raison pour les enfants. Ils peuvent tout accepter et tout comprendre si on leur explique. Il y a des choses beaucoup plus choquantes qui passent devant leurs yeux et qui ne sont pas expliquées. Une cicatrice, la plus horrifique qui soit, a une explication. C’est la même chose qu’expliquer les handicaps. Ce sont toujours les parents qui détournent les yeux d’un handicapé en fauteuil roulant.

    • C’est un commentaire touchant.
      Quant aux parents, ce sont leur propre tabou qu’ils imposent aux enfants.

  3. Peyo says:

    En termes d’histoire de l’art : il y a beaucoup de peintures anciennes de héros mythologiques ou religieux blessés, mais les héroïnes rencontrent le plus souvent la mort. Elles ne vivent pas avec leurs cicatrices. C’est comme s’il est plus facile pour la culture dominante de faire face à un héros survivant marqué par les combats, qu’une héroïne. Les notions populaires de masculinité et d’honneur sont plus faciles à intégrer que féminité et honneur (où « l’honneur » est trop souvent attaché à l’intégrité physique dans le sens sexuel).

    • merci pour l’approche culturelle et artistique. C’est une bonne réflexion!

  4. Ludo says:

    La seule personne qui doit trouver ça beau est l’époux de cette femme. Ce qui est plus facile dans ce contexte parce-que l’amour est présent. Personnellement je ne pense pas qu’un corps scarifié post chirurgie est beau. La beauté est dans l’oeil de celui qui regarde, et heureusement pour moi, je ne suis pas obligé de trouver ses cicatrices magnifiques.

    • je ne pense pas qu’un corps avec des cicatrices est plus ou moins beau qu’un corps sans. Ce n’est pas le propos. Elle n’oblige pas de regarder mais elle montre et s’assume comme elle est. Elle permet la discussion et les réactions.

  5. Sophie says:

    Je suis d’accord avec Ludo. Je ne le trouve pas que les cicatrices soient belles et je trouve terrible quand on dit aux gens avec beaucoup de cicatrices qu’ils sont beaux par pitié. Je ne pense pas que les cicatrices rendent les personnes moins attrayantes, mais quand vous voyez une photo de quelqu’un avec beaucoup de cicatrices et des centaines de commentaires en leur disant qu’elle est belle, et puis une photo de la même personne sans les cicatrices avec seulement une poignée de commentaires, il est évident que les « tu es belle  » sont plus nombreux à cause de la pitié.
    Certaines personnes avec des cicatrices sont belles, alors que certaines ne sont pas. Les cicatrices ne doivent pas être le seul facteur sur lequel se baser.
    Cela dit, je pense que Whaanga est très admirable et courageuse, et si ses photos et les histoires suivantes aident une seule personne à éviter le cancer du sein en se faisant dépister à temps, elles auront rendu un grand service.

    • Nathalie says:

      @Sophie. Je trouve ton commentaire hors sujet et négatif. Je pense que les compliments qu’elle reçoit sont sincères. Les cicatrices ne la définissent pas, elles font partie d’elle et je pense que ceux qui la complimentent comprennent ça. Lui dire tu es belle c’est aussi la rassurer sur sa féminité. C’est une femme qui vient de subir une vasectomie et une hysterectomie, c’est un sacré choc pour le corps et le mental avec tout ce que ça engendre du coté hormonal etc… C’est un peu bisounours mais recevoir des compliments dans ces moments là, c’est quelque chose d’important. Et chacun sa définition de la beauté. Je la trouve belle. Non pas parce qu’elle a des cicatrices ou parce qu’elle est courageuse mais parce qu’elle a une allure, une pose noble et défiante. Elle assure plus que moi face à une photographe.

      @Anne-Marie, entièrement en accord avec toi!

    • Euh… Ok. Aimer ou trouver désirable une personne avec des cicatrices n’est pas vraiment le sujet de mon post. Mais bon on lit ce qu’on veut bien lire.
      Pour répondre tout de même, je suppose que les « like » ou les compliments qui ont découlé de ces photos ne sont pas nécessairement de la pitié. De la sympathie certainement et aussi le fait qu’un petit compliment ne fait pas de mal. Dire à cette femme « tu es belle » quand elle traverse des épreuves qui remettent en question son identité féminine, en quoi cela est-il si terrible et insincère?
      Si dire quelque chose de gentil est assimilé à de la pitié, zut alors :-) Je connaissais une femme qui s’adressait à toutes les jeunes filles de son entourage, que ce soit dans le travail ou dans la vie sociale, avec un « ma belle ». Dans le lot de ces jeunes filles, il y avait des jolies et des moins jolies. Mais cette indiscrimation du compliment donnait le sourire à toutes. Il y a des compliments qui viennent d’une bonne place.

  6. C’est elle seule qui a décidé de montrer les résultats de la chirurgie qu’elle a subie. Elle ne fait de mal à personne. Ceux qui ne sont pas contents ne peuvent rien contre elle, ils enragent, et c’est très bien comme ça. Tout cela prouve que les choses ont changé.

    • Les choses sont en train de changer un peu. Ceux qui sont offensés le sont pour de mauvaises raison me semble-t’il. Elle ne part pas à la pêche aux compliments, elle raconte une histoire. D’autres parlent bien de leur histoire de c*l et ça gêne moins…

  7. Audrey says:

    Son choix de se montrer telle quelle est à saluer et respecter. Je ne sais pas si je serai capable de faire la même chose. C’est très courageux et altruiste de sa part. Elle est infirmière donc elle fait acte de service public en montrant ainsi les dégâts du cancer. Ceux qui critiquent n’ont rien compris.

    • Un petit point de correction. La chirurgie qu’elle a subie est préventive. Elle n’a pas eu le cancer mais elle porte le gène. J’ai mis un lien pour expliquer ce que c’est. La chirurgie préventive est très pratiquée dans les pays anglophones.

  8. Pierre says:

    Ce sont des images très puissantes. Je travaille avec des gens qui ont des difficultés à accepter leurs corps transformés, souvent à la suite d’une maladie. Il peut être très utile, surtout pour les femmes, de se concentrer sur ce que votre corps peut faire, et a fait pour vous, plutôt que ce à quoi il ressemble. Ainsi, bien que le corps ait développé et hébergé un cancer, il a aussi donné des ressources incroyables pour survivre.
    Cela est souvent particulièrement puissant pour les femmes qui ont donné naissance ou qui ont vaincu la maladie, parce que nous avons passé trop de temps à célébrer le corps des femmes de façon esthétique et non pas fonctionnelle. Développer une approche plus humaine sur la nature de votre propre corps est difficile, mais peut être très gratifiant, surtout dans ces circonstances.

  9. Amaya says:

    « … mais sous leurs vêtements parfois, leurs corps racontent une autre histoire »
    ô que c’est juste !

    • Audrey says:

      Je pense qu’il faut une confiance en soi et en l’autre énorme pour pouvoir se dénuder quand on a un corps marqué que ce soit par la grossesse ou une maladie ou quelque chose qui fait que le corps rêvé ou qui fait partie du passé a changé. C’est souvent le cas avec des femmes ou d’hommes qui ont pris ou perdu du poids. Le corps est marqué d’une façon ou d’une autre et il raconte une histoire souvent douloureuse que celui qui n’a pas eu ce problème ne comprendra pas.

  10. Moi j’aime les cicatrices, pas que je les trouve gracieuses, mais je suis fascinée par le corps humain, et j’y vois toujours une revanche sur la mort, la maladie… enfin, une bataille, un combat personnel.

    • Oui c’est vraiment ça. Les bosses, les creux, les cicatrices, les aspérités sont des histoires.

  11. Je ne sais pas, il y a beaucoup à dire, je ne veux pas critiquer cette jeune femme, ce n’est pas le fait qu’elle montre ses cicatrices et qu’elle se mette à nu qui me chagrine, c’est le fait de faire du patos ( oui désolée pour mon sentiment) sur une chirurgie préventive du cancer du sein qui me dérange peut être un peu, chirurgie qui d’autre part, n’est pas du tout à la portée « financière » de tout le monde sur cette planète et même en France.
    Je comprends oh combien puisque directement concernée par le fait d’accepter son corps ou non après une chirurgie et surtout un traitement du cancer du sein. Et dans le cancer comme dans d’autre maladies ou situations extrêmes dans l’existence, ce n’est pas que le rapport au corps qui est modifié : c’est le rapport avec toute l’existence et son but qu’il y en est un ou non.
    Et ceci est occulté par des considérations esthético-culturo-intellectuo – pathos, de mon point de vue dans cette communication marketing, qui me dérange par son envie de faire pleurer sur cette  » tragédie » du cancer, alors qu’un nombre substantiel d’autres horreurs de la barbarie humaine ordinaire restent du domaine de la non réaction totale.
    Mais ce n’est pas la faute de cette jeune femme, qui fait comme elle peut avec ce qu’elle peut pour poser , mettre un nom, et évacuer ses ses angoisses de ne pas être désirable pour un homme, angoisses crées par une société du paraître , et non pas de l’Etre.
    Bises Murielle

    • Bonjour Mu! Non je ne pense pas qu’elle souhaite faire du pathos. Elle montre son corps mais en aucun moment elle ne cherche à faire pleurer. Au contraire, ses interview et interventions sont très positives et encourageantes. Quant à la chirurgie préventive, elle n’est pas bien vue ici en France mais par exemple le Royaume Uni (et son taux de cancers mal diagnostiqués) propose beaucoup plus facilement cette méthode. Je comprends ces femmes qui disent oui. Comme tu le dis, c’est le rapport à l’existence qui est modifié aussi et raconter ce parcours là, expliquer avoir voulu choisir une plus grande chance de vivre quitte à « sacrifier » d’autres choses c’est aussi honorable que de faire face à la maladie. Ce qui est dommage c’est évidemment que ce choix ne soit pas proposé à toutes les femmes. Mais le rapport à la maladie est effectivement quelque chose de culturel.

  12. Bien sûr que je comprends totalement les femmes qui disent oui à la chirurgie préventive, j’avais vu à l’hôpital les ravages sans sauter une génération de femmes et de plus en plus tôt pour la dernière génération, pour celles qui avaient le malheur d’avoir un cancer « génétique »,et non pas le « classique  » homono-dépendant.

    En fait, pathos non tu as raison je me suis mal exprimée, en fait je sais mieux ce qui m’agace c’est le coté « regardez comme j’ai souffert » médiatisé.

    Oui un peu comme des trophées de guerre.

    Non pas qu’il faille les cacher non plus : mais juste que nous sommes des millions de femmes dans ce cas là sur la planète et que nous avons envie de passer, voire que nous sommes passées, à autre chose.

    Mais finalement chacun réagit selon son histoire et effectivement son rapport avec la maladie.

    Oui c’est du narcicssisme ce que fait cette jeune femme,comme toute personne qu raconte son histoire tout simplement ; et ce n’est absolument pas condamnable non plus.

    Belle fin de journée Murielle

  13. Laurent says:

    Les photos de célébrités en bonne santé qui montrent leurs seins ou leur soutifs pour soutenir une bonne oeuvre et collecter des fonds vont générer beaucoup de clics mais elles n’offrent aucun support pour les malades. Montrer ses jolis seins et mettre un ruban rose c’est aussi renvoyer une image qui ne correspond pas à la maladie.
    Je ne sais pas si je souffrais d’un cancer des testicules si je voudrais voir un mec en photo qui montre son paquet façon Beckham pour aider à parler du cancer.

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