J’ai la mémoire qui flanche

Written by murielle

Suite à mon post sur les mémoires de Knausgaard, le commentaire d’Audrey m’a interpellée. Non pas que les autres ne soient pas intéressants mais depuis quelques temps je me pose beaucoup de questions – certainement trop – sur la mémoire, la vérité et la perception de chacun. La faute à une famille dysfonctionnelle, une trop grande curiosité pour chercher la vérité dans les histoires racontées et une imagination débordante.

Exiger la vérité – quitte à s’aliéner ceux proches de soi – dans sa vie et accepter la licence poétique, la réécriture d’une vie dans les livres est quelque peu amusant. Contradictoire? Je ne sais pas. Fatiguant? Certainement.

Quoi qu’il en soit, il est important de ne pas négliger une histoire simplement parce qu’elle a changé de genre. Vous vous souvenez de James Frey et de son A Tiny Million Little Piecesexposé comme une fraude puisque quelques éléments de l’histoire étaient inventés. C’est un homme qui a ré-écrit sa vie et qui en a fait un roman magnifique. Le fait d’avoir menti ne change en rien la beauté de l’écriture.

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En 2006, Kathy O’Beirne fut accusée d’avoir inventé une grande partie de son autobiographie dans laquelle Kathy raconte son enfance irlandaise au début des années 1970. Violentée par son père, elle est placée à huit ans dans un foyer où elle subit abus et maltraitance. Puis, après un séjour traumatisant en hôpital psychiatrique, elle est internée dans un des couvents tenus par les Magdalene Sisters. Cinq de ses huit frères ont expliqué que « sa perception de la réalité avait toujours été entachée d’irrégularités » alors qu’un autre de ses frères a pris le parti de sa sœur. Kathy O’Beirne a toujours soutenu que son histoire était vraie, et a produit des documents qui, selon elle, prouvaient la véracité de ses propos. Sa famille aurait tenté de la discréditer en raison d’un litige financier. Ses éditeurs, qui disent avoir vérifié son histoire, l’ont soutenue.

Mon histoire préférée est celle de Michel Houellebecq qui dépeint sa mère, Lucie Ceccaldi, comme une hippie obsédée sexuelle dans Les particules élémentaires. Ceccaldi, décrite comme sa « vieille salope de mère », a lancé une contre-attaque féroce, avec la publication d’un livre – L’innocente – et de donner une série d’entretiens dans lesquels elle a traité son fils de « mauvais, stupide petit bâtard » et l’a accusé d’être « un menteur, un imposteur, un parasite « . À la lire, on se prend d’affection pour Houellebecq…

Enfin, un cas à part et une autre histoire passionnante est celle de Binjamin Wilkomirski. Dans son « autobiographie » Fragments : une enfance 1939-1948, il décrit son enfance durant l’occupation nazie et son internement dans deux différents camps nazis (Majdanek et Auschwitz). Après la libération, il est placé dans un orphelinat à Cracovie où sa mère le retrouve et l’amène en Suisse. Son livre est traduit en plusieurs langues, il reçoit des prix littéraires prestigieux jusqu’à ce jour où la presse révèle que son histoire n’est pas celle-ci. Le journal Libération raconte l’affaire qui s’avère passionnante d’un point de vue psychologique.

Parfois, les éditeurs font amende honorable, se retournent contre leurs auteurs et retirent le livre – pas grave  ils auront déjà fait les comptes de leur bonne fortune – mais si les lecteurs et critiques ont apprécié le livre, c’est qu’il y a un truc. C’est qu’il est convaincant à lire. Si le texte est intéressant, peu importe si ce qui est raconté est faux. D’ailleurs, est-ce vraiment faux? Un décès, une histoire d’amour, un viol, un voyage, une enfance, je ne sais quel autre évènement n’est peut-être pas arrivé exactement comme l’auteur le raconte mais s’il a le talent, l’empathie, l’imagination, et la manière, il touchera son lectorat, il partagera quelque chose avec lui et c’est ce qui importe.

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Certes je peux me sentir trahie ou en colère quand je découvre la vérité. Mais je me demande si les limites très strictes entre les différents genres littéraires sont en partie à blâmer. Si les mémoires comprennent une petite quantité de matériau fictif ou reconstitué, il peut être jugé comme tout à fait accessoire, parce qu’il a une valeur en termes littéraires ou psychologiques qui dépasse sa valeur de vérité.

Finalement, le grand responsable dans ses scandales de « supercheries » et de fausses mémoires sont les éditeurs qui se réjouissent des revenus engendrés par ce genre de livre; les récits sont de grands succès de librairie. Si un travail de vérité doit être absolument effectué, il doit l’être en amont, en travaillant sur les détails, en vérifiant les soi-disant faits. Mais il suffit de voir comment les contrats sont rapidement signés –  faudrait pas que sa découverte soit piquée par un autre éditeur – les livres sont (trop) rapidement rédigés pour comprendre que la vérité importe peu face aux dividendes et à la compétition. Au pire, l’éditeur fera un mea culpa.

Alors je maintiens ce que j’ai pu dire auparavant. Pourquoi se soucier de la vérité quand la littérature la rend plus intéressante? Qu’importe si la fiction se mêle à une œuvre autobiographique. Chaque œuvre a une part de vérité et de déguisement en elle, elle est simplement moins évidente, plus cachée, plus subtile, obscure ou perverse. Comme nos vies.

12 thoughts on “J’ai la mémoire qui flanche

  1. Mag says:

    Mu. Google translate is not good enough, please, pretty please, send me the text in english.

    • Mister Magnus. With all due respect, jog on :-)
      With the time imparted for fulfilling my writing work, your request might come second, or third, maybe fourth.
      Yours sincerely.
      Mu x

      • Mag says:

        tack så mycket
        jag älskar dig

  2. Un billet fort bien documente et intéressant a lire (au moins pour moi). Il est évident que toute biographie est menteuse du point de vue de la stricte vérité des événements historiques qui ne peut être établie que par la concordance des sources et des témoignages. C’est déjà difficile pour les macro événements historiques, alors, pour les souvenirs personnels et familiaux..
    Quand au grands auteurs, l’oeuvre passe avant la vérité, c’est constant : Rousseau, Chateaubriand, furent des grands menteurs, pour ne citer qu’eux.
    Michel Houellebecq me parait aussi sacrifier a cette tradition. Vu son état de santé apparent, il va falloir se dépêcher de lui faire des reproches :)

    • Oui c’est vrai, j’oublie toujours les classiques quand je pense à un sujet, merci de rectifier le tir :-)
      Les dernières apparitions de Houellebecq sont plutôt « choquantes ». Il semble très fatigué.

  3. Peyo says:

    Il y a aussi l’histoire de Misha Defonseca qui a fait scandale. Il y a même eu un film tiré de sa fausse autobiographie. Elle racontait la déportation de ses parents juifs et son voyage à travers l’Europe pour les trouver, aidée par une meute de loups. Elle a été condamnée à rembourser des dizaines de millions de dollars à son éditeur américain et le livre a été mis au pilon je crois.

  4. La bonne littérature est toujours vraie. Mais il faut être honnête et avouer qu’il s’agit de littérature.

    • Nathalie says:

      Oui. C’est très vrai et c’est très bien dit Antonio. Je suis d’accord

  5. Amaya says:

    Ma mémoire est sélective , incomplète , elle n’est pas photographique et quand bien même … une photo n’est qu’un angle de vue. Si on ne cherche pas la vérité dans un livre , peut être qu’on en aura un bout ?

  6. Benoit says:

    Il y a une citation de Zweig que j’aime bien « Il est rare que la vérité rattrape le terrain perdu sur la légende. »

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