Vacances à l’anglaise

Written by murielle

 

Vacances à l’anglaise est un drame domestique observé avec attention, donnant l’impression d’être une tranche de vie, mais dans lequel chaque personnage en vient à comprendre quelque chose ou est confronté à une révélation aléatoire.

vacances_a_l_anglaiseL’histoire :

Pour se réconcilier avec sa soeur Angela, Richard a l’idée saugrenue de l’inviter à passer des vacances au pays de Galles en compagnie de sa petite famille. Mais dans ce coin du bout du monde, il pleut sans discontinuer, le premier village est à des kilomètres, et les portables ne fonctionnent pas ! Quatre adultes, trois ados et un enfant, qui se connaissent à peine, se retrouvent coincés là pour une semaine.
Jeux de société, conversations de circonstances, promenades… En apparence, la cohabitation semble bien se dérouler. Mais intérieurement, chacun rumine de vieux griefs. De toute part on fomente des alliances, des conquêtes et des trahisons… avant de prôner la réconciliation. Bref, le bonheur des vacances en famille.

Le deuxième livre de Mark Haddon, Une Situation légèrement délicate avait clairement indiqué qu’il était en train de devenir un maître des affaires de famille. Vacances à l’anglaise (pourquoi n’avoir pas traduit le titre anglais La Maison Rouge) le confirme.

La famille – « … ce mot insaisissable, une étoile polaire pour toutes les barques errantes, et chacun navigue sous un ciel différent. » – est devenue sa spécialité.

Le roman s’ouvre et se présente comme un tableau impressionniste. On fait la connaissance de huit personnes qui se précipitent vers le même endroit en train et en voiture. Les paysages passent devant les fenêtres, entrevus et disparus. La destination est un gîte rural près de Hay-on-Wye, où il y aura « un Scrabble, à tous les coups, une boîte écornée dans un tiroir, un paquet de cinquante et une cartes à jouer, un dépliant publicitaire pour un élevage de chèvres. » Et bien sûr, la pluie.

Ces vacances ont été organisées par Richard, homme fortuné d’âge moyen qui tente de se réconcilier avec sa sœur Angela à la suite de la mort de leur mère. Comme les enfants adultes de parents émotionnellement endommagés, leur passé commun leur a laissé des impressions différentes, ainsi que toute une série de bagages qui a eu un impact sur leur propre famille.

Richard est marié à sa seconde épouse Louisa, une jolie quadragénaire mais qui se place plus bas sur l’échelle sociale. Melissa, la fille de Louisa, est une vamp tyrannique de 16 ans, une petite madame qui durcit diligemment sa carapace en préparation à la vie.

Le conjoint d’Angela est Dominic. En proie à des difficultés financières, leur mariage est maintenant au point mort.

« Elle le dégoûtait à présent, sa chair flasque, les varices de ses mollets, presque une grand-mère déjà. Il lui arrivait de rêver qu’elle mourait subitement, qu’il redécouvrait toutes les libertés perdues vingt ans plus tôt. Puis il refaisait ce rêve cinq minutes plus tard et se rappelait le piètre usage qu’il en avait fait la première fois, il entendait grincer les roues du chariot, il voyait les poches à perfusion. Toutes ces autres vies. On n’arrivait jamais à les vivre. »

Ils viennent avec leurs enfants : Alex, 17 ans, à la testostérone galopante, Daisy, 16 ans, qui a récemment trouvé Dieu, et Benjy, huit ans, un enfant craintif aux prises avec les premières affres de l’angoisse existentielle.

Huit personnes qui se connaissent finalement à peine – collées les unes aux autres pour une semaine – un scénario qui est intemporel. Nous savons qu’il y aura des querelles, des jalousies, des tensions sous-jacentes. Les alliances vont se faire et se défaire.

L’action est subtile et souvent intérieure, et ce qui compte vraiment n’est pas tant ce qui se passe que l’observation tranchante de la façon dont les gens se comportent et se sentent, et l’écart entre les deux.

Haddon réalise un mélange remarquable de flux de conscience, des bribes de livres, de la musique, de la télévision, des jeux vidéo, des pensées intimes, des listes, des lettres, tout cela entrelacé avec des vignettes de la banalité quotidienne comme des éclats lourds et sinistres.

Les évocations presque sacrées du paysage rejoignent le mélange, avec les méditations sur l’histoire de la vieille maison et les anciens habitants, sa place physique et qualitative dans la réalité.

Puis, il y a celle qui regarde, du haut de la colline, projetée par le deuil non résolu de sa mère.

«… il y avait son quatrième enfant, l’enfant que personne d’autre qu’elle ne pouvait voir. Karen, son fantôme adoré et secret, mort-née depuis tant d’années. Holoprosencéphalie. Absence de gènes Hox le long de la ligne médiane de la tête. Son petit monstre, les traits fondus au centre du visage. »

Il n’y a pas de personnage central. Le point de vue change constamment, parfois trois ou quatre fois dans une même page. La plupart du temps cela fonctionne. Peu à peu, les personnages sont dans le focus, certains plus que d’autres. Les adultes sont moins clairs et moins attrayant que les enfants, les hommes en particulier – ils ne se distinguent pas particulièrement, presque oubliables.

Ce sont les jeunes qui donnent leur vie au livre. Alex, qui convoite à la fois Melissa et sa mère, méprisant son père et s’opposant à l’alpha-mâle Richard. Daisy, qui cherche un sens dans le désordre autour d’elle, qui veut sincèrement essayer d’être bonne. L’égoïste Melissa, qui ressemble à son père, « … par la façon dont l’image qu’il avait de lui-même dépendait largement des erreurs des autres. » et qui fait une fugue.

Enfin il a ce pauvre petit Benjy, qui prend tout à cœur, et qui se soucie déjà de la vie après la mort.

« Tu crois à la réincarnation ? demanda Benjy.

Bien sûr que non, répondit Alex. Tu te rappelles, toi, qui tu étais la dernière fois ?

Mauvaise réponse. Alex aurait dû dire Oui, oui, bien sûr que j’y crois. Parce que Benjy voulait revenir dans la peau d’un panda ou d’un gorille, en fait il était prêt à revenir sous n’importe quelle forme pourvu qu’il soit assuré de revenir. Il ne voulait pas penser à ce qui était arrivé à la musaraigne, à ce qui était arrivé à Grand-Mère, alors il cessa d’écouter Alex et écrivit son nom en risotto pour ne pas se mettre à pleurer. »

La mort a toujours plané sur les romans de Haddon – souvenez-vous de son formidable premier roman Le Bizarre Incident du chien pendant la nuit (et si vous ne l’avez pas lu, prenez le temps de le faire !) Mais il fait sentir sa présence un peu plus à chaque livre.

Vacances à l’anglaise est son ouvrage plus sombre mais pas le plus cynique. Peut-être parce qu’il s’adresse autant aux adolescents qu’aux adultes. Il n’y a pas de grandes épiphanies. La vie continue à sa manière habituelle, délabrée et offrant généreusement de nouveaux matins.

Quand ils s’apprêtent à tout emballer, au moment de partir, à la fin de la semaine, quelque chose a-t’il vraiment changé? Superficiellement très peu. Nous sommes laissés là, derrière, les bras ballants, mais d’une manière étrangement satisfaisante.

« Ils laissent si peu de choses derrière eux, un infime parfum de beurre de cacao, des draps et des taies d’oreiller sales, des serviettes de toilette boueuses, un Gogo’s violet derrière le radiateur de la salle à manger, un Gogo’s jaune sous le frigo, le raccord de fortune derrière la machine à laver. »

1 thought on “Vacances à l’anglaise

  1. Je note. En général les situations crispées en famille sont réservées à Noël.

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