Ceux qui ne comptent pas

Written by murielle

Il y a plusieurs lunes de ça, j’écrivais sur l’empathie et les actualités dans un vieil article. J’ai eu envie de reprendre ce texte de 2014 qui est encore plus d’actualité. Depuis, le corps du petit Aylan Kurdi sur une plage turque a choqué le monde… pour ensuite être oublié.  Aujourd’hui, c’est Omran Daqneesh, 5 ans, qui vient de subir un bombardement en Syrie.

Lire les nouvelles sur internet et être attirée par l’histoire d’un chien appartenant à des troupes américaines capturé par les talibans. Accompagnant l’article, la photo du chien à l’air triste. Aucune créature sur terre ne peut exprimer la « tristesse » comme un chien.

Anthropomorphisme ? Certainement. Nous les humains, sommes des champions de l’ambivalence, chaque émotion tempérée par une douzaine d’autres, mais le chiens, eux, ressentent de tout leur être. Si vous avez un chien, vous savez très bien qu’il suffit de revenir dans une pièce après une absence de quelques minutes pour voir son animal exprimer le bonheur de vous revoir. Il n’est pas tout simplement heureux, non, il est parfois en délire, comme s’il essayait d’exprimer la joie de plusieurs à travers le corps d’un seul.

Lorsque quelque chose de terrible se passe – par exemple vous vous levez et il entrevoit l’espoir d’une belle promenade, seulement pour le décevoir cruellement quand vous vous asseyez à nouveau – il entre dans un deuil aussi profond que celui de la Reine Victoria. Cela dure aussi longtemps que nécessaire jusqu’au prochain événement, telle la poursuite d’une balle ou le jeu du « mordre le chiffon ». Ce sont les pics et les creux d’une journée canine normale, alors comment cela doit-il être pour un chien en détresse ?

Colonel, le nom du chien, ne comprend pas la guerre, la prise d’otages et l’extrémisme religieux. Jusqu’à sa capture, il vivait une vie d’aventure avec ses chefs de meute à se rendre utile et aimer.

C’est à ce point de l’histoire que j’ai commencé à être déçue par moi-même, parce que ce n’était pas la seule nouvelle lue ce matin. Il y avait aussi un nouveau rapport de l’ONU qui estimait autour de 10 000 le nombre d’enfants tués en Syrie (en 2014) avec d’innombrables autres, torturés, maltraités, emprisonnés, embrigadés… Il y avait aussi un texte sur les attentats à Bagdad réclamant 33 vies en une seule journée et un autre sur le lynchage et autres atrocités en République Centrafricaine.

Chacune des trois histoires ci-dessus – et des dizaines d’autres similaires chaque semaine – contient la souffrance à une échelle à peine inimaginable : les vies détruites, les familles endeuillées, les sociétés déchirées et des pays en ruines.

Alors qu’est ce qui ne va pas pour être triste pour un chien ? Peut-être les mots « à peine imaginable » sont un indice. Peut-être certaines douleurs sont trop vastes à comprendre pour le cerveau humain alors que les peines à plus petite échelle sont quelque chose que nous pouvons appréhender.

La perte d’un être aimé ou d’un animal est une expérience que j’ai vécue. Mais vivre sous les bombardements, sous la menace des milices, sous les attaques physiques permanentes venant de toutes parts, je ne connais pas. J’imagine tout juste ce que cela peut être.

Enfin, l’autre chose qu’ont en commun ces histoires, c’est leur emplacement : très loin, dans des pays que je ne situe pas du premier coup sur une carte.

world map

Essayez. Prenez une carte du monde et mettez le doigt du premier coup sur l’Irak, le Mali, l’Ukraine, la Syrie, etc. Faites ensuite la même chose avec les pays dans lesquels vous êtes allés en vacances…

Certaines catastrophes internationales empiètent sur notre conscience d’une façon que d’autres histoires ne peuvent pas. Nous sommes tellement – trop – « habitués » à entendre des histoires d’horreur provenant d’Afrique subsaharienne, du Moyen-Orient et d’Europe de l’Est. Tandis que nos visages expriment la compassion ou le choc, une partie de nous sait que c’est « le genre de choses qui se passe dans ce genre d’endroits ». Et ce comportement est inexcusable.

Ce que je pense vraiment, c’est que les tragédies internationales sont peu pertinentes pour nous, que malgré notre bonne volonté, notre soutien matériel, intellectuel et moral, nous ne sommes pas éduqués à prendre soin du monde dans des proportions parfaites.

Nos révoltes et indignations sont égoïstes, nos émotions de courte durée. Une photo d’enfant meurtri par la guerre prend la place d’une autre. La guerre est horrible mais nous ne sommes pas les victimes.

On ne se soucie pas autant des drames de la Syrie et de l’Irak que des inondations dans le département voisin. Parce que mentalement, nous avons divisé le monde en ceux qui comptent et ceux qui ne comptent pas.

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