Et toi, tu as eu une famille ?

Written by murielle

Je continue ma rentrée littéraire qui n’en finit pas d’apporter de belles surprises. Cette fois-ci avec un auteur qui n’est pas un inconnu dans ma bibliothèque privée, Bill Clegg. Lui et moi on a un point commun, j’aurais voulu que ce soit le talent mais c’est uniquement notre amour pour Sufjan Stevens.

Son premier récit autobiographique Portrait d’un fumeur de crack en jeune homme racontait son addiction à la cocaïne, ainsi que son marathon de sexe, drogue et alcool de deux mois manant à la perte de beaucoup d’argent, la rupture avec son petit ami et la fin de son travail. 90 jours : Récit d’une guérison avait suivi. Maintenant, sur pied, en bonne santé et la drogue derrière lui il est devenu un super agent littéraire qui décroche des contrats à beaucoup de chiffres pour ses auteurs et un écrivain avec un roman Et toi, tu as eu une famille ?

Le lecteur pourrait s’attendre à un conte caustique métropolitain, sexuel et moderne. À la place, émerge l’étude mélancolique et poétique de la vie d’une petite ville du Connecticut après une tragédie avec ses répercussions.

bill-cleggL’histoire : Il en faut peu pour détruire une vie. Un mensonge, une maladie, un accident… En une nuit, un incendie a tout enlevé à June : sa fille Lolly, qui allait se marier le lendemain ; Will, son futur gendre ; Luke, son petit ami, et Adam, son ex-mari. Unique survivante et réduite à l’errance, elle traverse le pays en voiture, abandonnant la petite ville du Connecticut où a eu lieu la catastrophe, à la recherche de ce qui la lie encore à Lolly, avec qui ses relations étaient difficiles. La voix des habitants, touchés eux aussi par le drame, émerge peu à peu.

Juin, la seul survivante, prend son envol après les funérailles et se retrouve dans une chambre de motel de l’autre côté du pays. Malgré le titre accrocheur, ce qui suit est une histoire calme, mesurée et captivante sur la tristesse.
Alternant les points de vue des témoins et des principaux acteurs de l’action, c’est un conte avec plusieurs narrateurs (mais en fait avec peu de variations dans les voix).

L’histoire de June est racontée au temps présent et à la troisième personne, comme celle de  Lydia – la mère de Luke – et celle d’un adolescent local qui a une certaine responsabilité dans l’incendie. Les personnages auxiliaires tels que le traiteur du mariage, ou le père du marié défunt, se racontent au passé.

Les changements de temps, les sections différentes pourraient être maladroits parce que risqués mais le rythme est parfait, les enchainements adroits avec des entrelacements et des tranches de vie américaine qui brillent d’une réalité intérieure.

Clegg sait parler des tensions entre les habitants pauvres et les New-Yorkais choyés et exigeants qu’ils ne supportent pas mais dont ils dépendent, avec leurs grandes maisons et jardins qu’ils entretiennent pour leurs visites occasionnelles, « Les Moody, les Hammond, Peggy Riley, les Tuck, les Hill et les Massey, propriétaires d’un gîte à Salisbury où elle se rendait chaque jour en voiture pour changer les draps, les laver, récurer toilettes et baignoires »

Certes sa réflexion sur la famille et le pardon ne sort pas des terrains battus avec parfois des conclusions trop proches du thème de la rédemption romantique des best-sellers, « se souvenant de ces soirées, elle est surprise de constater à quel point un regard plus mûr change la façon de considérer les choses ».

Ce qui ne veut pas dire que ce n’est pas un écrit honnête et touchant, il n’y a rien de manufacturé ou bon marché dans ce récit du quotidien tranquille, émouvant.

La prose de Clegg sait rendre compte de l’état d’esprit engourdi du deuil, sa tristesse lucide et profonde. Il aborde la douleur en douceur et avec simplicité et, finalement, cette douceur est son triomphe.

Le soleil enflamme la surface de l’eau agitée par le vent, l’effet est aveuglant. Seule la lumière existe pendant une fraction de seconde. June plisse les yeux, par réflexe, sinon elle capitule, attend l’anéantissement. Une défaillance d’une extrême fugacité.

 

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