Réflexion sur la liberté et quelques livres

Written by murielle

Dans un pays qui fait le bilan de lui-même, en tirant peu compte des leçons de son passé et en ouvrant la page vierge de son avenir, tout doit être interrogé. Quelques uns pensent à la liberté, parfois en termes d’évasion/de départ, mais aussi dans une nouvelle façon de vivre, quelque chose en accord avec ses aspirations.

L’envie, le besoin ou la décision de liberté existe depuis toujours dans la littérature. La liberté est définie comme la condition d’être libre de contraintes ; elle est « la possibilité d’agir selon ses propres choix, sans avoir à en référer à une autorité quelconque » mais aussi « la situation de quelqu’un qui se détermine en dehors de toute pression extérieure ou de tout préjugé ».

La liberté est une condition élémentaire de la vie humaine. Plus profondément que la culture, le langage, l’art ou l’action, la liberté reste le compagnon constant de l’individu, hantant, édifiant et conditionnant tous ses mouvements. Théologiens, philosophes et artistes ont tenté de saisir l’essence de la liberté. Économistes et hommes d’État ont essayé de la garantir ou de la limiter..

Des hommes et des femmes ont donné leur vie dans la poursuite de la liberté. Et les écrivains mènent souvent la charge.

 

Je ne peux commencer que par un classique (déjà cité mais ô combien nécessaire). Les classiques sont des classiques pour une raison.

1984 – George Orwell

Liberté de pensée, liberté de réunion, liberté de mouvement : imaginez vivre dans un monde où de telles libertés fondamentales ont été réduites par la classe dirigeante. Imaginez la notion de grand frère, de la surveillance de l’État, du doublement et du double langage. Oh… heureusement nous avons la loi sur le renseignement

Ainsi, à travers l’histoire, une lutte qui est la même dans ses lignes principales se répète sans arrêt. Pendant de longues périodes, la classe supérieure semble être solidement au pouvoir. Mais tôt ou tard, il arrive toujours un moment où elle perd, ou sa foi en elle-même, ou son aptitude à gouverner efficacement, ou les deux. Elle est alors renversée par la classe moyenne qui enrôle à ses côtés la classe inférieure en lui faisant croire qu’elle lutte pour la liberté et la justice.
Sitôt qu’elle a atteint son objectif, la classe moyenne rejette la classe inférieure dans son ancienne servitude et devient elle-même supérieure. Un nouveau groupe moyen se détache alors de l’un des autres groupes, ou des deux, et la lutte recommence.

Les Aventures de Tom Sawyer et Les Aventures de Huckleberry Finn – Mark Twain

« En fait, ce n’est pas qu’un gamin dévergondé et sympathique, c’est un petit anarchiste en rébellion violente contre la société, l’ordre établi, les institutions, l’Eglise… » décrypte le traducteur de Twain, Bernard Hoepffner.

Huckleberry allait et venait, ne suivant que son libre arbitre. Il dormait dans les encoignures de portes quand il faisait beau, et dans une barrique quand il pleuvait ; il n’était pas obligé d’aller à l’école ni au temple, personne ne pouvait se dire son maître et il n’avait à obéir à personne ; il pouvait aller pêcher et nager quand et où il le désirait, et le faire aussi longtemps qu’il le voulait ; personne ne lui interdisait de se battre, il pouvait rester debout aussi tard qu’il le choisissait ; il était toujours le premier garçon à marcher pieds nus au printemps et le dernier à se chausser de cuir à l’automne ; jamais il n’avait besoin de se laver, ni de changer de linge ; ses jurons étaient une merveille. En un mot, tout ce qui rend la vie précieuse, ce garçon le possédait.

Comment être double – Ali Smith 

L’histoire : Georgia (dite George), une adolescente de seize ans qui vient de perdre sa mère, est en admiration devant un tableau d’un peintre méconnu : le San Vincenzo Ferreri de Francesco del Cossa, exposé à la National Gallery de Londres. Ce qu’elle ignore, c’est qu’elle est justement observée par le fantôme de ce peintre, catapulté en plein vingt-et-unième siècle.

Jouant avec la langue et le temps, Ali Smith explore ce qui vient en premier : la surface ou la profondeur ? Ce que nous voyons ou ce que nous ressentons ? L’auteure écossaise plie les genres, repousse les limites de la libération et joue avec le concept de liberté jusqu’à changer la forme du roman elle-même, en rendant arbitraire quelle histoire – et donc quelle fin – vient en premier.

Pour autant, à moins que tu n’entres au couvent, où tu aurais la certitude de passer ta vie à fabriquer des couleurs et à replir les pages des livres saints de tes dessins, c’est une autre affaire que de pratiquer les couleurs et le dessin dans le monde, sans vivre enfermé derrière des murs.

Suite Française – Irène Némirovsky

Le roman incomplet sur la France occupée, écrit par une femme dont la voix a été éteinte par les nazis – laissant ainsi un chef-d’œuvre inachevé. Il ne peut y avoir d’hommage plus émouvant ou éloquent à la liberté d’expression que ceci.

Qu’ils aillent où ils veulent; moi, je ferai ce que je voudrai. Je veux être libre. Je demande moins la liberté extérieure, celle de voyager, de quitter cette maison (quoique ce serait un bonheur inimaginable !), que d’être libre intérieurement, choisir ma direction à moi, m’y tenir, ne pas suivre l’essaim. Je hais cet esprit communautaire dont on nous rabat les oreilles. Les Allemands, les Français, les gaullistes s’entendent tous sur un point: il faut vivre, penser, aimer avec les autres, en fonction d’un État, d’un pays, d’un parti. Oh, mon Dieu ! je ne veux pas ! Je suis une pauvre femme inutile; je ne ne sais rien mais je veux être libre ! Des esclaves nous devenons, pensa-t-elle encore; la guerre nous envoie ici ou là, nous prive de bien-être, nous enlève le pain de la bouche; qu’on me laisse au moins le droit de juger mon destin, de me moquer de lui, de le braver, de lui échapper si je peux. Un esclave ? Cela vaut mieux qu’un chien qui se croit libre quand il trotte derrière son maître. Ils ne sont même pas conscients de leur esclavage, (…) et moi je leur ressemblerais si la pitié, la solidarité, « l’esprit de la ruche » me forçaient à repousser le bonheur.

Une chambre à soi – Virginia Woolf

C’est ironique que quatre murs et une porte fermée soient la chose la plus libératrice pour une femme. Mais, explique Woolf, pour être intellectuellement libre, il faut aussi une indépendance financière et émotionnelle. Dans sa réflexion merveilleuse et exhaustive sur ce qu’il faut pour être écrivain – et une femme – Woolf explore jardins, bibliothèques et tours d’ivoire brillantes.

Les difficultés matérielles auxquelles les femmes se heurtaient étaient terribles; mais bien pires étaient pour elles les difficultés immatérielles. L’indifférence du monde que Keats et Flaubert et d’autres hommes de génie ont trouvée dure à supporter était, lorsqu’il s’agissait de femmes, non pas de l’indifférence, mais de l’hostilité. Le monde ne leur disait pas ce qu’il disait aux hommes :
écrivez si vous le voulez, je m’en moque … Le monde leur
disait avec un éclat de rire : écrire ? Pourquoi écririez-vous ?

Enfin et encore une fois.

Freedom – Jonathan Franzen

Franzen brosse le portrait d’une nation dont les idéaux ont pris l’eau et face au désarroi. Il va tenter de définir deux ou trois mots sur lesquels s’appuierait la civilisation américaine : « liberté », mais aussi « compétition ».

On ne peut jamais s’asseoir pour avoir une conversation soutenue, tout n’est plus que saletés bon marché et développement merdique. Toutes les choses vraies, les choses authentiques, les choses honnêtes sont en train de disparaître. Intellectuellement et culturellement, on ne fait que rebondir partout comme des balles de billard, réagissant au dernier stimulus aléatoire.

Et combien ce roman est porteur d’une vérité universelle, révélatrice d’une époque.

La personnalité du rêve de liberté sans limite est une personnalité qui est aussi encline, si jamais le rêve venait à tourner à l’aigre, à la misanthropie et à la rage.

 

 

quelque chose à dire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.