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Amélie

C’est son anniversaire aujourd’hui. Elle attend qu’il l’appelle. Il sait que c’est aujourd’hui. Il ne peut pas le fêter avec elle ce soir parce qu’il a la visite de ses gamins cette semaine. Elle comprend qu’il ne vienne pas; il est un père à mi-temps, il ne veut pas sacrifier ses enfants. Elle respecte sa vie. Elle sait qu’elle passe après. Elle prend les miettes.

Elle a l’habitude. Elle est toujours passée après. Après une femme, un travail, des enfants, des activités et des collègues. Elle accepte. Elle n’a jamais appris à exiger, à vouloir plus, à faire passer ses envies et besoins avant ceux des autres. C’est comme ça qu’elle a grandi. On ne demande pas, on n’exige pas, on accepte, on est reconnaissant de ce que l’on a et on ne se plaint pas. Il y a bien plus malheureux. Toujours plus malheureux qu’elle. Pour qui se prendrait-elle pour demander de l’attention, de l’amour et de l’affection. On lui avait assez répété qu’elle n’était pas une princesse.

Qui sait, si elle demandait plus de temps, plus d’attention, on pourrait ne pas l’aimer, on pourrait la quitter. Elle était réaliste; elle n’était ni belle ni intelligente. Il aurait pu aller avec une autre femme. Il avait le choix, lui. Il était beau, charmant, sociable et elle savait qu’il avait du succès. Elle lui était reconnaissante qu’il l’ait choisie, elle, petite souris presque insignifiante. Si discrète, si modeste, banale.

Et pourtant, il était avec elle. Il l’avait remarquée, invité à prendre un verre, il l’avait séduite immédiatement. Elle n’avait pas su ni pu résister à ses avances, à cette main pressante sur sa cuisse dans ce bar à Biarritz. Elle avait accepté qu’il passe la nuit chez elle ce soir là, même si elle n’était pas sûre d’elle ni de lui. Il était parti très tôt ce matin là. Elle avait fait semblant de dormir, elle n’avait pas su quoi faire ou quoi dire. Il l’avait appelé une semaine après pour passer une nouvelle nuit chez elle. Elle ne demandait rien. Disait oui à chacun de ses appels. Il venait, il apportait une bouteille de vin millésimé, ils le buvaient ensemble, passaient dans sa chambre et il partait au petit matin.

Ils ne sortaient pas. Pas de restaurants, pas de bars chics, pas de cinémas ni de théatres. Elle acceptait. Elle se moquait d’elle même, s’appelait la geisha ou le ramasse-miettes. Elle lui avait dit une fois, en au détour d’une conversation, presque dans un murmure qu’elle aimerait sortir un soir avec lui. Il n’avait pas relevé, trop occupé à prendre tout l’espace. C’était lui qui parlait, qui disait tout de lui, ces envies d’ailleurs, ses frustrations, ses colères, ses combats, ses ras-le-bol, ses passions. Il avait tellement de choses à exprimer qu’il n’avait pas le temps d’écouter. Finalement, il ne savait pas grand chose d’elle. Elle acceptait. Encore une fois elle acceptait.

Peut-être que c’était ça le bonheur. Un bonheur tranquille, discret, qui n’exige rien et qui accepte tout. Il y a toujours plus malheureux qu’elle.

11 commentaires

  • Elias

    Amelie est une femme parmi d’autres qui s’oublie et n’a aucune estime d’elle même. C’est clair que son amant n’éprouve rien pour elle et qu’elle n’est qu’un bouche trou pour lui, il faut qu’elle quitte ce narcissique pour trouver un mec bien.

  • Nathalie

    Quelle histoire déprimante Murielle! On connait toutes une Amélie, quel que soit son âge. L’expression ramasse-miettes est excellente car elle sonne vrai, c’est tellement ce qu’elle sont malheureusement. Rassure moi tout de même en me disant que ce n’est pas autobiographique! :-)

    • murielle

      Non ce n’est pas autobiographique, te voilà donc rassurée :-)
      Mais comme tu le dis toi-même, on connait toutes des Amélie ou on prend parfois le risque d’en devenir une.

  • LO

    A vivre à ce point dans l’abnégation de ses propres désirs on finit par crever. Très discrètement. Comme on a vécu.
    Fuir cet homme, le plus vite possible. Et apprendre à s’aimer soi.

  • Anne-Marie

    Oui très beau texte qui me rappelle ma mère. Elle a été la maitresse, celle qui passe après tous les autres parce qu’elle ne se trouve pas assez bien pour être celle qu’on choisit. C’est ce que beaucoup de femmes acceptent de vivre, de passer après les autres.

  • nhetic

    Très beau texte…
    Situation que vivent beaucoup de femmes à qui on a appris à toujours sourire quoiqu’il se passe; à tout accepter quoiqu’il advienne…
    Je me permets de le partager sur Twitter. :)

  • Fred

    C’est triste de s’appeller ramasse-miettes. Elle devrait le quitter et trouer quelqu’un d’autre. Etre la priorité de l’autre pas être une option.

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