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Des mots sur le papier

J’aime les e-mails, vraiment, j’aime l’instantanéité, la facilité, la réciprocité et tout le reste. Mais j’aime encore mieux les lettres. Et ô combien ça me manque. Les lettres ont de la matérialité. Même si la narration est décousue, même si elle semble avoir été écrite à la va-vite, elles sont solides et tangibles. Un objet complexe de stimuli visuels et tactiles: papier, encre, dessins, parfum, peut être tachée d’une goutte de thé qu’il a bu tout en écrivant. Et la possibilité de la lire, la re-lire, encore.

La théorie de Walter Benjamin selon laquelle une œuvre d’art originale a une « aura » qui reflète son existence unique au lieu où elle se trouve être, s’applique également à cette note pliée. Bien sûr on peut aussi taper un courrier mais les manuscrits sont meilleurs, le script est unique à une personne et donc suprêmement évocateur.

Maintenant la correspondance électronique a remplacé les lettres et la présence d’un nouvel e-mail dans son inbox peut provoquer un petit frisson quand il vient de son correspondant préféré. Il  est aussi tentant de penser que de toute façon encore mieux que les moyens électroniques, rien ne vaut la conversation physique, le face à face. Mais… tout de même… il y a une qualité qui rend la lettre spéciale. Avant que le monde autour de nous s’accélère et les moyens de communication deviennent des extensions technologiques de nos sens, le papier était le moyen de poser sa réflexion. C’était l’espace pour exprimer ses pensées, généralement réfléchir sur sa vie dans la solitude tranquille, dans le temps mis de côté à cet effet. C’était souvent prendre le temps de choisir ses mots, de ne pas noyer l’autre de paroles, d’aller à l’essentiel.

Historiquement, les lettres les plus souvent écrites l’étaient dans des moments de deuil, de naissance ou de relations amoureuses. C’est alors que leur réflexion, le pouvoir consolateur, la joie partagée ou la séduction des mots étaient le plus nécessaires, pour l’écrivain ainsi que le destinataire. Il faut lire la lettre déchirante de Mary Shelley à son ami Thomas Jefferson Hogg quand elle perdit son bébé de la mort subite du nourrisson.

Je terminerai plutôt par une correspondance plus légère dont Nora Barnacle Joyce fut l’initiatrice,  après que Joyce l’ait laissée à Trieste pour retourner à Dublin. Elle a alors commencé à lui écrire des lettres d’amour devenues progressivement érotiques voire résolument pornographiques destinées à l’éloigner des prostituées lorsque « la vieille fièvre de l’amour » le toucherait. Cette correspondance amoureuse est la chronique parfois émouvante, souvent aguichante, vivante mais aussi historique, d’un couple et d’une époque.

S’ils s’étaient e-mailés, ils auraient laissé derrière eux une masse de pistes numériques vaporeuses et indifférenciées. Il n’y aurait plus de traces de cette correspondance, de ces échanges entre un homme et son épouse, de ces êtres physiques dans un monde physique.

Un personnage dans le film The Social Network  dit quelque chose comme « l’Internet n’est pas écrit au crayon, il est écrit à l’encre. » Mais être impossible à effacer n’est pas la même chose qu’être facile ou souhaitable de récupérer. Pour moi la plus belle qualité d’une lettre est celle que vous pouvez tenir dans vos mains.

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