Allons!
Depuis quelques semaines mon mari m’a oubliée. Il ne me regarde plus, ne me parle plus, me m’entend plus. Il ignore le mug de thé que je pose sur son chevet chaque matin avant qu’il se lève. Il laisse ses serviettes mouillées sur le sol dans la salle de bain. Il ne remarque même pas quand je lui arrange ses noeuds de cravate. Mes efforts rencontrent son indifférence. Je suis invisible.
Je ne suis plus rien, ni une âme ni un corps. Nous dormons, côte à côte sans nous toucher. Pas de baisers, pas de mains qui se frôlent, mon corps est transparent. Je ne suis plus qu’une ombre dans cette maison.
Un sourire et un bonjour à peine entendu tant il y a du bruit dans le hall de la gare. Il s’approche, se présente. Ses yeux gris sont magnifiques, son sourire juvénile est charmant. Il ressemble à cet acteur anglais dans Atonment. Il plaisante et je ris bêtement. J’ai 14 ans à nouveau, je suis intimidée tant il me plaît. Et je sais que je ne rentrerai pas chez moi ce soir. Rien ne se passera entre lui et moi, il y a trop de barrières à faire tomber. Mais lui m’a regardée, et je me suis vue dans ses yeux. J’existe.
Combien de temps avant que mon mari ne s’aperçoive de mon absence. Quelques heures? Jours? Semaines? Ça n’a pas d’importance. Je ne reviendrai pas. Je suis bien, je suis vivante.
Un matin nous partons, le cerveau plein de flamme,
Le coeur gros de rancune et de désirs amers,
Et nous allons, suivant le rythme de la lame,
Berçant notre infini sur le fini des mers.
Mais les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent
Pour partir, coeurs légers, semblables aux ballons,
De leur fatalité jamais ils ne s’écartent,
Et sans savoir pourquoi, disent toujours : Allons !
Charles Beaudelaire – Les Fleurs du Mal
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14 commentaires
Eric
Je crois que je comprends cette femme. Pas la peine d’attendre, devenir invisible c’est le meilleur signal pour changer de vie et se retrouver dans les yeux de quelqu’un d’autre.
murielle
Et voilà
Nathalie
Cela fait peut être de longues semaines qui semblaient des mois voire de années. De toute façon il n’y a plus d’amour ou de respect. J’aimerais qu’elle ait une aventure avec les yeux gris.
murielle
J’aimerais qu’elle ait une aventure avec les yeux gris…. ou pas …
Nathalie
Ou pas! Allons! Donne moi une histoire d’amour qui se termine bien. Une simple histoire d’amour.
Arielle
C’est beau….On se sent tous (tes) un jour invisible aux yeux de l’autre…
murielle
Merci Arielle!
Audrey
« je ris bêtement. J’ai 14 ans à nouveau, je suis intimidée tant il me plaît ».
:-) C’est très vrai, je trouve. On se comporte toujours bêtement et timidement quand quelqu’un nous plait. Une attitude charmante, embarrassante et handicapante…
Oui, s’il ressemble à James McAvoy, je serais comme une gamine de 14 ans moi aussi :-)
Trop tôt pour une aventure, mais partir avant de devenir amère et pleine de regrets. Bravo!
murielle
On est toujours bête, nigaude et maladroite quand on est troublée. Surtout s’il a des yeux gris et des taches de rousseur :-)
Antonio Pavón
On a l’impression qu’elle avait envie de voyager depuis quelques semaines.
Quelques semaines n’est pas longtemps. Dans les relations humaines (plus encore, si possible, dans les relations conjugales ou simplement amoureuses) il faut patienter et avoir du sens de l’humour.
Tu sais, ce texte me rappelle un poéme de J. Prevert oú il n’est pas question du thé mais du café. Bonne soirée.
murielle
Ou elle choisit de ne pas pleurer… C’est une très bonne référence Prevert. Un de mes auteurs préférés.
Il a mis le café
Dans la tasse
Il a mis le lait
Dans la tasse de café
Il a mis le sucre
Dans le café au lait
Avec la petite cuiller
Il a tourné
Il a bu le café au lait
Et il a reposé la tasse
Sans me parler
Il a allumé
Une cigarette
Il a fait des ronds
Avec la fumée
Il a mis les cendres
Dans le cendrier
Sans me parler
Sans me regarder
Il s’est levé
Il a mis
Son chapeau sur sa tête
Il a mis
Son manteau de pluie
Parce qu’il pleuvait
Et il est parti
Sous la pluie
Sans une parole
Sans me regarder
Et moi j’ai pris
Ma tête dans ma main
Et j’ai pleuré.
Fred
Une version différente à celle que j’imaginais pour « ma femme ». Elle existe et elle part.
murielle
Ben j’avais une autre version mais bon… changement de direction …
Laurent
La femme n’existait pas. Il l’avait imaginée. Une lectrice l’a deviné!
J’aime autant cette fin parce qu’elle montre une femme qui prend en main son destin. Comme Nathalie j’attends une histoire avec une fin plus règlementaire, une fin où un homme et une femme tombe amoureux et « finissent » ensemble. Est-ce si difficile à écrire Murielle? Alors? ;-)