Réflexion légère sur l’ambivalence de l’amour …

Written by murielle

la jalousie …. et des livres

On ne va pas se leurrer. Un des premiers sentiments éprouvés quand on tombe amoureux est la jalousie. Et la honte. Parce que être jaloux c’est admettre que l’on manque de confiance en soi et en l’autre. C’est un drôle de sentiment. Drôle dans ses deux sens: comique et étrange. On fait des choses bêtes quand on est jaloux. On devient suspicieux, on cherche à se convaincre qu’on a tort, on soupçonne l’ex de vouloir le « reprendre », on se méfie des autres, de la copine trop tactile, de la meilleure amie qui veut rester celle qui le connait le mieux. Et malgré les papillons dans le ventre, les sensations d’élation et d’euphorie, il y a une part de nous plus obscure, plus difficile à accepter parce que moins noble. Et rien ne va plus…

Il y a une étrange filiation entre la littérature et la jalousie. La jalousie est verbeuse. Elle se gave du langage. Elle est hyperbolique, elle devient de plus en plus grasse avec chaque expression qu’elle utilise. C’est délicieux pour tout écrivain et tout lecteur qui aime les émotions fortes et les déclamations. Le littéraire jaloux aime ces sentiments obscurs, aussi étrangers que familiers, cette viscosité intérieure du sujet, ce tourment qui ne doit pas être laissé à lui-même. Ce lecteur là aime se promener sur cette la frontière entre la chose qu’il craint et la chose qu’il désire.

Les histoires d’innocence et d’émerveillement laissent froid. Le noir obsessionnel est ce que la littérature fait de mieux parfois. Et la jalousie est son domaine naturel…

Bah ! confiance ou jalousie!
Mots oiseux et choses impies.
Je te soupçonne, tu m’épies.
Tu me cramponnes, je te scie. 

Verlaine

Je l’ai compris en étudiant au lycée La jalousie de Robe-Grillet. La jalousie sexuelle dans toute son obsession. Celle qui reste 10 heures à attendre qu’un rideau bouge. D’une précision extrême mais ennuyeuse. Ce n’est pas un livre pour tout le monde.

La Sonate à Kreutzer de Tolstoi. Voilà une belle histoire de désir fou, de colère, d’adultère réel ou imaginé – mais pourquoi faire des distinctions dans la fantaisie? – et de meurtre. Si vous voulez jouer la scène de la jalousie, c’est la façon de le faire. Dans Tolstoï, la folie de la jalousie fait tout le chemin jusqu’à l’instinct sexuel lui-même.

La jalousie sexuelle n’est généralement pas un terrain de jeu pour Jane Austen. Mais ses romans sont pleins de potentiel tragique de la jalousie. Si ce n’était pour son intervention, ses héroïnes seraient à jamais perdues, liées à des hommes plus fortunés ou plus cruels. Dans Persuasion, Jane Austen agit de concert avec son héroïne en faisant sauter Louise (la rivale d’Anne) dans les escaliers de la Nouvelle Jetée et ainsi la blessant gravement. Une auteur/héroïne presque aussi meurtrière dans son désir de vengeance que Tolstoï…

Herzog de Saul Bellow semble être en charge tant il est intelligent. Mais il est torturé par les affres de la jalousie à cause de femmes qui s’ennuient avec son intellect éblouissant. Si vous voulez écrire une grande comédie, faites de votre héros un cocu intellectuel qui lit beaucoup.

Dans Tess d’Uberville, Angel Clare ne peut pas vivre avec l’idée que Tess a connu un autre homme. Mais la trame réelle du roman est qu’Hardy n’est pas capable de le supporter non plus. A la fin, Tess n’est pas sacrifié aux dieux maléfiques, mais à la volonté de l’écrivain presque heureux de la voir violée par une brute. Une ambivalence de l’homme jaloux…

Pour une jalousie typically british et bien entendu mon auteur favori, Avant moi de Julian Barnes. Une histoire honnête et sombre sur la jalousie obsessive d’un homme pour le passé sexuel de sa femme. Une histoire neurotique qui mène au meurtre.

Mais pour moi, la meilleure auteur qui traite de ces sentiments obscurs de désirs troubles, de jalousie, d’obsession sexuelle, d’amours contrariés est Patricia Highsmith. Prenez un de ses livres au hasard et vous serez pris dans un monde où l’ambigüité se mêle au cynisme et à la noirceur.  Eaux profondes, Ripley, ou n’importe quel autre roman, Highsmith est diaboliquement extraordinaire….

Je vais terminer par Othello. Parce que c’est l’histoire modèle, qui est en même temps grotesque et navrante. C’est la plus convaincante de toutes les études de la jalousie, de la terrible emprise sur l’imagination où la crainte et le désir sont si étroitement imbriqués qu’ils vous privent de votre raison.

Et vous, quelles sont vos suggestions?

16 thoughts on “Réflexion légère sur l’ambivalence de l’amour …

  1. La jalousie en amour, on ne peut pas s’en défaire mais quand elle viens a brimer un couple alors c’est une jalousie qui devient un sentiment maitre pour celui qui la ressent et quand elle viens par des paroles blessantes voir même des coups .. alors la c’est de la possessivité et non pas de l’amour

  2. Fred says:

    Je te seconde pour Patricia Highsmith. The queen.
    Ma suggestion: Milan Kundera – L’insoutenable légèreté de l’être

  3. Nathalie says:

    J’aime cet article, parce que c’est vrai que la jalousie est malheureusement inhérente à l’amour. Je suis étonnée que tu n’ais pas cité « La fonction du balai » de David Foster Wallace. Rick Vigorous est la jalousie personnifiée! :-)

  4. Nathalie says:

    J’ai oublié Les Jumelles de Highgate d’Audrey Niffenegger. Une histoire surnaturelle avec couches après couches de jalousie.

  5. Audrey says:

    Puisque tu aimes tant Julian Barnes, Love etc est aussi un roman sur la jalousie. Une histoire de couple + 1.

  6. Laurent says:

    J’ai du mal à comprendre la jalousie à l’encontre de l’ex. Si elle ou il n’est plus avec son ex pourquoi être jaloux?
    Je suggère un classique: A la recherche du temps perdu de Proust. Albertine/Marcel
    Je crois que tu as déjà parlé de John Updike. Et Rebbeca de du Maurier est pas mal.

    • Bonnes suggestions! Jalousie envers l’ex semble plus courante que je ne pensais.

  7. Dostoyevski, dans « Les frères Karamazov », a consacré aussi des pages superbes à la jalousie. Dimitri Karamazov et son père sont amoureux de la même femme; les fils ne supporte pas son père qui veut non pas conquérir -il ne le pourrait pas- mais acheter Grushenka. Je n’ai pas le livre ici pour chercher les chapitres, mais sûrement tu connaîtras ce grand roman, l’un des plus grands.

    • Nathalie says:

      Très bon choix de livre. Tolstoi est un des maitres de la littérature pour les passions dévorantes, la jalousie, tout ce qui ronge les hommes.

  8. Eric says:

    La jalousie est verbeuse. Elle se gave du langage. Elle est hyperbolique, elle devient de plus en plus grasse avec chaque expression qu’elle utilise.
    Joliment écrit!

  9. Très bonne analyse littéraire / cinématographique. Le moment où on est le plus jaloux, c’est quand, adolescent, la fille que vous « aimez » s’intéresse à d’autres. Othello reste indépassable dans la splendeur de la représentation.

  10. Dans Cyrano d’Edmond Rostand, c’est aussi assez tragique.

  11. Gilles says:

    Poursuivez sur cette voie, c’est un véritable plaisir de vous lire.

  12. Virginie says:

    Article fort sympathique, une lecture agréable. Ce blog est vraiment pas mal, et les sujets plutôt bons, bravo !

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