Trois petites notes de musique

Written by murielle

Imaginez la scène. Le détective solitaire rentre dans son appartement tard dans la nuit, ouvre son frigo, non, le freezer. Il y prend la bouteille de vodka. Un verre sale sur la table jonchée de papiers, de photos et des rapports du médecin légiste. Trop fatigué pour dormir. Il regarde par la fenêtre, bien entendu il pleut.  Le détective est ravagé par l’angoisse existentielle de l’horreur qu’il a vue. Il porte le verre à sa bouche, cul sec. Il se dirige vers sa vieille chaine hi-fi et met un CD. La musique emplit la pièce avec Dancing Queen

Et c’est là que vous comprenez tout le dilemme de l’écrivain. Quelle musique choisir? Un livre doit avoir un fond sonore. Une musique, des chansons, qui participeront à la trame de l’histoire. Un polar a souvent une musique de jazz ou un air d’opéra, toujours sombre et wagnérien, jamais de Bizet, Vivaldi ou Rossini. Raccourci un peu facile pour montrer combien le détective est troublé par les crimes qu’il doit résoudre ou ce qu’il aurait dû faire. Est-ce qu’un personnage de roman noir écoute toujours la musique qu’on suppose qu’il doit écouter?

Parce que voilà, je vous l’avoue, je voudrais lire Wallander et qu’il mette une fois, juste une fois, une chanson d’Abba. Ne serait-ce que parce qu’il serait normal de rendre hommage à son patrimoine musical  (qui a même maintenant un musée) et parce que j’aimerais un peu, un tout petit peu de décalage.

 

Billingham est pas mal dans son choix de musique. Son personnage, Tom Thorne aime la country. ce qui est parfait. Les thèmes des chansons sont des histoires sombres, réalistes, tristes voire déprimantes mais racontées avec unemélodie légère. La Country est un genre de musique beaucoup plus à contre courant et ambigu que les non-connaisseurs le pensent. Et d’expliquer son choix de musique ainsi.

J’imagine qu’on donne au personnage principal les mêmes goûts que soi, c’est plus facile d’utiliser les chansons qu’on connaît pour créer une sorte de raccourci émotionnel. Le ton, le genre de la musique va s’insinuer et en informer l’écriture. Une musique va mettre en place une scène, ou créer une atmosphère là ou plusieurs phrases ou paragraphes entiers devraient être utilisés. Elmore Leonard et George Pelecanos en sont les maîtres incontestés, provoquant dans une scène la sensation immédiate de temps et de lieu, simplement par une musique qui est dans le juke-box à l’arrière-plan.

Pour avoir lu beaucoup de polars et connaître quelques personnes qui écrivent, je me suis souvent demandée le pourquoi et comment des musiques choisies. Après tout, j’ai assez fréquenté de bars, salles de concerts, festivals et aussi des écrivains, pour les soupçonner d’être des rock stars frustrées. Encore très récemment le concert de My Bloody Valentine fut l’occasion de voir une plume célèbre jouer de l’air guitar. Et quand on y pense,  Jo Nesbø est aussi dans la musique.

Alors, y a-t-il une bande-son parfaite? Une playlist idéale pour le roman noir idéal?

19 thoughts on “Trois petites notes de musique

  1. Fred says:

    Article lu et aimé. Tu m’as appris une chose: je ne savais pas que Nesbo chantait.
    même si je n’aime pas la country, je comprends pourquoi tu peux aimer parce que t’as raison c’est beaucoup plus controversé qu’on le pense. Musique douce pour paroles horribles. Ton exemple de Cash est super bon.

    • Ben merci! Delia’s gone est une chanson magnifiquement horrible. If I hadn’t have shot poor Delia, I’d have had her for my wife
      Tu n’as pas listé ta bande son. STP?

      • Fred says:

        okaayyy mais pas de scénar à la con comme Laurent ;-)
        Je prends 5 chansons et une musique classique:
        Amy Winehouse: Back to Black
        The Beatles: Happiness is a warm gun (pour être dans le décalage)
        Nina Simone: My man’s gone
        Sonic Youth: Disappearer
        4 Hero: le remix que tu as conseillé à Nathalie, je n’ai pas le titre
        Fauré

        Et toi?

        • Très bon choix. 4 Hero je crois que c’était un remix D&B de Scarface: I see a man die
          je n’ai pas de playlist idéale parce que j’ai besoin d’une histoire et je n’écris que dans le silence.
          Mon personnage idéal écouterait tous les genres musiques ce qui risque de donner la nausée au lecteur donc c’est impossible.
          Ou alors si je devais garder une ligne narrative et musicale un peu constante et équilibrée d’un roman noir, il y aurait:
          la voix de Patrick Watson mais je ne sais pas quelle chanson choisir
          Radiohead: Optimistic (pour l’ironie sans doute)
          Les 15 premières secondes d’Eleanor Rigby des Beatles
          Ghostpoet: Liines
          Husky Rescue: Min Lilla Eld
          Sleep Party People: A dark God heart
          Sparklehorse avec The Flaming Lips: Go (reprise de Daniel Johnston)
          TV on the Radio: Dry drunk emperor
          Lamb: Gorecki
          Justin Vernon (Bon Iver): Bruised Orange (sa reprise de John Prine)
          Un morceau de Janis Joplin
          Jake Bugg: Broken
          Fink: Pretty little thing
          Et je ne sais pas comment mais je glisserais Dolly Parton dans le mix

          • Thierry says:

            Plein de musiques que je ne connais pas et que j’ai envie de découvrir. merci

          • Fred says:

            Oui c’est le bon titre de 4Hero! Sinon j’aime le look de cette playlist. Et tu as remisé ton Ableton?!

  2. Laurent says:

    Ha ha. J’aime que le mec prenne dancing queen d’abba en revenant d’une scène de meurtre.
    La bande son imaginaire pour mon roman noir imaginaire? Il y aurait du Tom Waits pour les moments où le détective boit. Il faudrait aussi Eminem pour qu’il puisse laisser éclater sa rage contre les injustices du monde. Bjork pour la nécessaire virée en voiture la nuit sous la pluie battante. Hey ya d’Outkast pour le décalage, quand le détective est ivre ou quand il prend sa douche froide pour se débarasser de sa gueule de bois.
    Pour te faire plaisir du Johnny Cash (je te laisse choisir la chanson) pour la scène finale quand il se fait descendre par le meurtrier, avant que le meurtrier se fasse descendre par le collègue du détective qui se fera lui-même descendre par le complice du meurtrier qui se fera descendre par l’autre équipe de détectives qui viennent d’arriver.

    • J’aurais bien pris les Cardigans mais ils sont bien et pas assez décalés. Ou alors un truc bien moche comme Ace of Base, après tout le chanteur a fait partie d’un groupe neo-nazi dc ça resterait dans l’ambiance scandi-noir.

      Ta fin est remarquable :-) Et pour Johnny Cash je choisis pour toi, Redemption Day

      I’ve wept for those who suffer long
      But how I weep for those who’ve gone
      In rooms of grief and questioned wrong
      But keep on killing

  3. Nathalie says:

    Murielle, tu es ma djette préférée :-) Je viens de passer deux heures sur youtube à écouter tous les morceaux que tu as listés, puis ensuite j’ai continué à écouter John Prine et Lamb. J’avais découvert dans Musique du jour: TV on the radio, Ghostpoet et Sleep party people. Merci!

  4. Le roman noir et Abba, en principe, semblent incompatibles. Même pas Walander, ce citoyen correcte dans le pays de la correction, qui au lieu de vodka ou whisky boit du café, beaucoup de café, et qui rêve d’émigrer en Afrique et se dévouer à une belle cause, je parviens à l’imaginer en écoutant “Chiquitita”, ni non plus La Passion selon saint Matthieu, soit dit en passant.
    Cette littérature (je pense à la suédoise particulièrement) a ses clichés bien établis, et elle ne quitte pas ses schémas si facilement.
    La question du choix de la musique pour ces personnages qui se penchent sur le côté sombre de la vie, et qui découvrent toute la méchanceté dont l’être humain est capable, est certainement compliquée.
    L’écrivain Patricia Cornwell a opté pour la nourriture. On ne connaît pas les gouts musicaux de son personnage Kate Skarpetta, médecin légiste, mais elle prépare de bons petits plats dont l’auteur nous fournit tous les détails.

    • S’il y a bien un écrivain qui sait mêler cuisine et crime, c’est Andrea Camilleri :-)

  5. Il faut choisir la musique au hasard. Pour moi Abba serait un choix humoristique, car je trouve leur musique assez ringarde (opinion personnelle).

    • Je ne suis ni spécialiste ni fand de Abba – malgre mon prénom et le film. Mais pour avoir eu droit à une leçcon d’Abba par ma copine suédoise, je sais combien leur plus célèbre groupe est une affaire sérieuse. Ils ne sont pas ringards, sinon leur musique ne continuerait pas à être jouée, chantée, reprise, samplée et dansée plus de 30 ans après. Ils ont su écrire des chansons pop parfaites avec de belles harmonies, des paroles pas toutes stupides (par ex. The Day Before You Came parle de dépression), de jolies voix, et des arrangements toujours de qualité. Franchement, composer des chansons de 3 minutes qui racontent une histoire c’est pas si facile. Money, Money, Money a le cynisme sombre des chansons satiriques de Kurt Weill. C’est un groupe de pop parfait. De la bonne pop. Meme des rockers comme Dave Grohl disent avoir été influencés par eux. Et quels groupes ringards a son musée? hein hein? :-)

  6. Je disais : « je trouve leur musique assez ringarde (opinion personnelle). » Dieu me préserve d’imposer mon point de vue. Dans un tout autre domaine, Anatole France était de son temps l’auteur le plus lu et admiré en France, même par Proust qui ne tarissait pas d’éloges. Qui le lit actuellement ? Être de très bons techniciens et avoir un immense public ne veut pas dire qu’ils (ABBA) deviendront pérennes. Toutefois je souhaite me tromper.

    • ah oui mais je ne crois pas qu’on puisse comparer littérature et musique. La « mode » littéraire va mais ne revient que rarement et les auteurs oubliés le sont parce que les lecteurs les oublient. Il faut aller chercher les livres – sur les étagères poussiéreuses des « magasins » des bibliothèques, espèce de purgatoire avant qu’ils ne passent à la trappe ou dans les boutiques de seconde main. Alors que la musique populaire, pas besoin de la chercher pour l’écouter. Elle est dans les radios, les mixs, les bars et boîtes de nuit, les vinyles, K7 ou CDs des parents, en ligne, etc.
      La musique est partout, la littérature non. Je pense à quelqu’un comme Julian Barnes, il est traduit dans des dizaines de langues, il est connu et reconnu (ventes, critiques et prix) dans de nombreux pays et pourtant je ne connais personne autour de moi qui ait lu un seul de ses nombreux romans et aucun de ses poches n’est en vente dans les deux librairies de mon quartier et certains de ses romans sont dans la réserve de la médiathèque de ma ville où personne n’ira les demander… Et il n’est même pas difficile à lire. Comme quoi…

      Je crois qu’on oublie ou ne sait pas combien Abba a marqué une époque dans de nombreux pays. En France on les trouve ringards, mais par exemple en Angleterre – tout comme en Suède – c’est pas du tout le cas.

      Bon j’arrête là, comment conclure sinon par dire : thank you for the music ;-)

      http://youtu.be/MfM9gQkfwyg

      • Nathalie says:

        )J’aime les échanges que tu as avec snake. Musique, écriture et ça se termine avec un débat sur les mérites d’Abba. Super! Sinon je trouve que tu nies un peu trop, allez dis nous que toi aussi tu as une combi en satin blanche. Y’a pas de honte :)

        • Nathalie says:

          Jai oublié d’ajouter que je regarde France 2 avec Laurent Ruquier et qu’ils ont parlé du musée d’Abba. Caron est comme toi, il ne trouve pas ça ni ridicule ni ringard :-)

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