Attention, ce livre peut vous bouleverser…
…est la phrase que l’on pourra peut être voir un jour sur la couverture de Gatsby et A l’Ouest rien de nouveau. Selon le New-York Times, les étudiants américains ont demandé qu’il soit inclus un avertissements sur les œuvres littéraires qui traitent de sujets tels que le viol ou la guerre. La demande a été formellement faite par le syndicat d’étudiants à l’Université de Californie à Santa Barbara. Selon le journal, des demandes similaires sont aussi venues de la part d’étudiants d’autres universités.
Les livres nommés par les étudiants comme potentiellement porteur d’un « trigger warning » – terme utilisé pour prévenir le lecteur de matériel éventuellement pénible à lire – sont entre autres Mrs Dalloway de Virginia Woolf et Le Marchand de Venise de Shakespeare.
Tout ceci part d’un essai cité dans une revue de l’enseignement supérieur Oberlin qui utilise le roman de Chinua Achebe, Tout s’effondre, comme exemple de travail littéraire qui pourrait nécessiter un avertissement. Affirmant que le roman est « un triomphe de la littérature que tout le monde devrait lire, il peut cependant déclencher un stress important auprès des lecteurs qui ont vécu le racisme, le colonialisme, la persécution religieuse, la violence, le suicide, et autre ».
Également, « l’examen des tendances suicidaires chez Mrs Dalloway peut déclencher des souvenirs douloureux pour les étudiants qui pratiquent l’automutilation », a écrit un étudiant de l’université Rutgers, avant de suggérer que « parvenir à un compromis entre la protection des étudiants et la défense de leurs libertés civiles était impératif pour réaliser le potentiel éducatif des étudiants de notre université ». Ainsi, l’intrigue d’une histoire n’est pas gâchée, mais les élèves peuvent « savoir immédiatement si les cours vont discuter le contenu traumatique » et quitter la classe si un sujet douloureux les touchant de près était abordé.
Cette requête me semble bien inutile. Une liste de lecture ne vient pas avec une liste d’effets secondaires indésirables. La littérature est essentiellement pleine de choses qui vont émouvoir, provoquer, mettre mal à l’aise ou déprimer, donner envie de pleurer ou de crier son dégoût. C’est ça aussi la littérature. Et commencer à ajouter des avertissements est absurde. Il suffit de lire le résumé, le quatrième de couverture et parfois même de lire seulement le titre pour deviner le thème et appréhender une histoire. Si un sujet risque de bouleverser, il suffit de le contourner ou de le notifier au professeur, quitter la classe ou faire des maths.
Étudier la littérature c’est choisir de ne pas éviter les sujets qui blessent ou qui fâchent. C’est choisir de ne pas être désactivé intellectuellement. Lire, étudier ou enseigner la littérature, c’est aller à l’encontre de l’étroitesse des idées auxquelles les élèves sont parfois exposés, que ce soit par le manque de contexte historique et/ou l’encadrement constant d’idées en termes d’oppositions binaires – le bien contre le mal.
Ajouter un avertissement rejoint les protestations sur de nouvelles idées qui ne sont pas alignées avec leur vue assimilée du monde. C’est la version soft d’une censure qui marche encore et toujours.
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15 commentaires
burntoast4460
Ma Belle Soeur qui était professeur de français au Lycée de Versailles avait les mêmes problèmes avec les parents d’élèves Versailles qui voulait lui interdire qu’elle parle de certains grands auteurs à leurs enfants. Pour des motifs qui fleuraient bon le catholicisme intégriste.
A part cela Mrs Dalloway n’est pas si facile à lire (mais pas pour des raisons morales ou autres), il faut s’accrocher (ce que je fis). Virginia Woolf avait innové d’une façon tout à fait originale par rapport aux auteurs anglais contemporains.
murielle
Oui, je suis toujours suspicieuse des raisons données qui fleurent bon un intégrisme quelconque.
Antonio
Franchement je trouve cette suggestion ou proposition assez c…
Amaya
Et puis ,
un livre s’ouvre et se ferme , librement
nos yeux aussi . Qui sait mieux que nous ? :-)
Audrey
Sous prétexte de faire attention à la sensibilité et aux traumas des élèves, il y a une démarche bizarre qui n’est pas justifiée. Les exemples donnés par une des étudiantes sur le New York Times ne tient pas la route (à moins que google traduction soit très à coté de la plaque!). Elle a été violée et dit vouloir être avertie si elle lit un livre sur le viol. Autant je compatis autant je ne comprends pas la démarche. Elle peut voir d’elle même qu’un livre traite du viol ou pas. Rajouter une étiquette ne changera pas ses sentiments et sensations dus à son trauma. Malheureusement, elle ne sera jamais entièrement préparée à des déclencheurs de stress à moins de vivre dans une grotte sans aucune interaction humaine.
Comme le dit Laurent, la télé, les journaux, les gens dans la rue, il suffit d’un rien pour déclencher un stress. Elle ne sera jamais avertie de tout tout le temps.
Fred
@Laurent.
Comportement très américain mais qu’on pourrait trouver ici aussi. Il y a encore un peu de liberté mais quand on voit le barouf créé pour le livre « Tous à poil » on peut se dire que les livres qui sont sur le genre, l’homosexualité, et tous les sujets sensibles du moment pourraient se retrouver avec un bandeau qui prévient les âmes sensibles.
Peyo
Je pense que les universités devraient avoir une responsabilité dans la santé mentale de l’élève, mais ça exige aussi une certaine responsabilité de l’étudiant de notifier l’université s’il a un problème de santé et aussi de contribuer à son adaptation propre par certains mécanismes (comme la vérification d’un livre sur Wikipedia).
Ce n’est pas à l’université d’assumer la responsabilité minute par minute en cherchant à deviner chaque déclenchement possible pour chaque élève. Elle laisserait la porte ouverte aux litiges puisque la tâche de constamment avertir chaque déclenchement envisageable est une position impossible à tenir.
Laurent
Je ne veux pas dire que je n’ai pas d’empathie pour les gens qui souffrent de stress à cause d’un évènement sérieux mais un livre peut être fermé et évité s’il traite d’un sujet que le lecteur ne se sent pas prêt à affronter. Il pourra sauter des pages, revenir en arrière quand il se sent prêt, relire un passage etc etc. Je pense que la télé, les films et encore plus la vie quotidienne, faite de rencontres avec des gens qui ne savent rien de la vie privé, sont beaucoup plus à même de provoquer un stress.
Je me souviens d’un article il y a quelque temps déjà où tu avais eu un gros coup de stress face à une affiche de film, il me semble. Je pense que ça fait partie des aléas de la vie, des évènements qu’on ne peut pas contrôler, alors qu’on peut contrôler ses lectures.
Amaya
Les littératures présumées dangereuses me semblent toujours être la signature de périodes obscures … ce n’est peut être pas le cas , mais cela n’augure rien de bon je trouve.
Laurent
Oui, comme une censure de plus. Franchement si on met des warnings sur la couv, plus personne n’achètera ou ne lira le livre.
Amaya
et qui sait … ce serait peut être priver ou tenir à l’écart un déclencheur de libération ?
Laurent
Je ne veux pas passer pour un anti-américain primaire, mais je me demande quel est le taux de chrétiens parmi les étudiants qui ont sollicité ce warning?
J’aurais envie de leur parler de la bible et des warning-triggers à ajouter sur la couverture : génocide, viol, inceste, meurtre, vol, adultère, mariage forcé, familles dysfonctionnelles, bigoterie, culte du diable. Et là ce n’est que Le livre de la Genèse. Ensuite c’est pire…
Nathalie
Je peux parfaitement comprendre qu’un passage dans un livre, tout comme dans un film, peut provoquer un stress quand un traumatisme a été vécu. Mais je ne comprends pas comment cela peut être mis en place. Un livre vient avec un résumé ou une note et un titre, donc si le sujet abordé est trop difficile à lire, il ne sera pas lu. En quoi un avertissement est un plus? Comment l’implémenter? Par exemple, je pense à « Viol, une histoire d’amour » par Joyce Carol Oates. On se doute bien avec ce livre qu’il y aura une scène de viol, on est averti dès le titre, alors ou on le lit en faisant attention et quand la scène arrive, on saute des pages, ou alors on ne le lit pas parce que je comprends qu’on veuille s’éviter un stress supplémentaire inutilement. Ajouter un bandeau qui dise « attention, scène de viol qui peut choquer et provoquer un stress » n’apporte rien.
Je ne souffre pas de stress mais pour les films quand il y a des scènes qui me choquent, je quitte la pièce ou j’avance le film.
Fred
« Guerre et paix ».
Warning! Peut contenir des scènes de guerre.
Benoit
Ils ne peuvent pas simplement lire la quatrième de couverture et décider? Il faut être réaliste, en ces temps modernes c’est difficile de ne pas savoir le thème d’un livre, voire le spoiler. Il y a les résumés des livres, les blogs littéraires, les journaux et magazine, les réseaux sociaux, wikipedia et les forums pour pouvoir demander si un livre est choquant ou pas.
C’est à l’université donc si ce sont des listes de lecture, elles sont basées sur une époque, un genre ou un thème. Si le thème est le colonialisme et esclavagisme on se doute bien qu’il y aura dans les livres à étudier, des scènes de violence et de racisme.