Questionner,  Râler

Corps et biens

Il y a quelques jours de ça mon neveu blotti contre moi, me caressait le bras pendant que je lui racontais une histoire, puis il m’a interrompue pour me dire qu’il voulait me manger. Ça m’a fait rire et j’ai pensé qu’il n’y avait pas de meilleure façon de se décomplexer d’un corps que l’on trouve trop dodu.

Je me demande combien de fois par jour, on pense à son poids, à son corps, à ce qui ne va pas, à ses défauts physiques que l’on voudrait changer et surtout éliminer.

Il y a des choses qu’une femme pourra admettre : ses complexes. Dire qu’elle se trouve moche, qu’elle est trop grosse, qu’elle ne rentre plus dans ses jeans, que ses cuisses se touchent, qu’elle a des bourrelets, qu’elle a un double-menton, ad nauseum…

Il y a des choses qu’une femme trouvera plus difficile à dire. Les énièmes régimes pour perdre du poids,  le nombre de calories calculées, les repas sautés, les cigarettes fumées parce qu’anorexigènes, le poids yo-yo…

Puis il y a les choses qu’une femme ne pourra pas dire. Elle ne dira pas combien de fois elle se regarde dans la glace, non pas par vanité mais parce qu’elle espère que son corps soit par quelque miracle différent.

Ou au contraire, qu’elle évite toutes les surfaces réfléchissantes, les portes du bus ou du magasin, parce qu’elle ne supporte plus de voir ce corps si différent de celui fantasmé. Elle ne pourra pas dire combien de fois elle pense à son poids, ou son tour de taille, ou tout simplement à son corps en général, qui semble avoir cessé d’être un navire qui la charrie à travers la vie et est devenu un champ de bataille. Comme s’il était de trop.

Je crois que c’est dans toutes les pensées. Je crois aussi que c’est terrible, douloureux et invalidant. Mais je crois que ce n’est pas inhabituel. Je déteste les généralisations mais j’attends encore de rencontrer une femme qui n’ait jamais pensé à son poids. Les inquiétudes, les complexes, les repas sautés, le régime obsessionnel ou le désespoir de ne pas pouvoir perdre (c’est bien le seul domaine ou la perte devient une victoire) est j’en suis sûre ce que peut-être toutes les femmes ont en commun.

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Je ne sais pas pourquoi on se laisse affecter de manière si négative par l’image de soi. Parce que ce n’est clairement pas une question d’intelligence. Peu importe d’où l’on vient et son niveau d’éducation, peu importe le montant de littérature féministe lue et peu importe qu’un amoureux dise qu’on est magnifique, il n’est pas une femme qui ne se compare pas aux plus minces qu’elle. « Une femme n’est jamais trop riche, et n’est jamais trop mince ». (Wallis Simpson)

Les messages sont partout et on a beau dire que l’on est trop intelligente pour tomber dans ce genre de manipulation, celle des média, des compagnies pharmaceutiques, cosmétiques et les autres qui en font des tonnes pour vendre des produits, des régimes ou des styles de vie, rien ne changera le fait que beaucoup de femmes, de tous les horizons de la vie, passent leur existence à s’affamer, ou se haïr, ou les deux.

Puis il y a la culpabilité. Celle de détester son corps dans la mesure où il détourne de tout ce qu’on pourrait atteindre. Dans le sens où on annule des rendez-vous parce que son pantalon boudine, qu’on ne veut pas aller au restaurant parce que quoi que l’on mange ce sera trop gras, qu’on n’a plus envie de sortir parce qu’on se sent moche…
Culpabilité d’être trop préoccupée par son corps plutôt que par ce qui importe vraiment.
Culpabilité de savoir qu’il y a des problèmes bien plus sérieux dans la vie que d’obséder sur son physique et ne pas pouvoir s’en empêcher pour autant.
Culpabilité de savoir combien on ne devrait pas, mais combien on se déteste tout de même.

Mais depuis quand la culpabilité s’effacerait-elle avec la compréhension et l’intelligence ? Les névroses font bien leur boulot, elles sont là pour rester et handicaper, tout comme la honte.

Il y a sans doute celles qui sont très minces et qui sont tout de même (pour cette raison?) obsédées par la balance.

C’est un question féminine, mieux, c’est une question féministe dont on ne parle pas assez, et qui ruine la vie de beaucoup parce que le dégoût de soi rend tout plus difficile. La nourriture est une obsession, elle est partout. Elle est au centre. Elle empiète sur sa vie parce qu’elle est toujours là. Elle s’infiltre dans les conversations, beaucoup plus régulièrement qu’on ne l’imagine. « J’ai trop mangé hier », « ce soir léger », « demain au régime », etc.

Il y a des désordres alimentaires que l’on considère sérieux, puis il y a tous ces comportements qu’on ignore et qui sont tout autant importants. Parce que l’obsession des calories, la restriction, le « saut » de repas, l’obsession de manger sainement, les tactiques d’évitement sont tout aussi difficiles à vivre. Parce qu’être obsédée par son poids en permanence, se détester pour cela, se trouver hypocrite en prêchant l’amour-propre pour les autres et ne pas parvenir à le trouver pour soi-même est une vie difficile à vivre.

 

Les féministes des siècles derniers ont combattu et fait campagne pour l’égalité sociale et salariale, pour la liberté sexuelle et elles ont vu quelques progrès et quelques victoires. Mais elle ont vu aussi leurs filles s’inquiéter de la blancheur de leurs dents, la raideur de leur cheveux et la taille de leurs vêtements. Elles les ont vu devenir obsédées par l’image, impitoyables avec leurs camarades plus grosses et jalouses des plus minces (skinny bitch).

Les femmes sont devenues victimes et bourreaux de leur relation avec la nourriture et c’est une nouvelle violence à leur encontre. Tout est déclencheur de cette haine de son corps. Il faut être mince à tout prix.

Dessin de femme avec des courbes. Il est écrit love your body.

Récemment encore, les photos de nu de Kim Kardashian par Jean Paul Goude (toute modifiée qu’elle soit par la chirurgie esthétique et retouches photo) ont attiré des critiques très violentes. Non pas des objections rationnelles et raisonnées – il y en a plein pourtant – mais parce qu’elle avait un gros fessier et des gros seins.

Une photo de … au hasard, Keira Knightley par Patrick Demarchelier (dernière en date à avoir décidé de poser nue), n’a déclenché aucune réaction.

Le corps est devenu source de souffrance et de désordre et le pire c’est que tout le monde semble l’avoir accepté et intégré. Comme si nous, les femmes, avions renoncé. Comme si nous avions accepté de perdre la bataille.

Pire, nous avons même accepté d’être notre meilleure ennemie.

19 commentaires

  • Mimosa

    Je crois qu’au final, être obsédé par quelque chose est dans la nature humaine! Peut être tout simplement pour ne pas réfléchir aux choses plus essentiels dans la vie, car cela fait peur…

  • nouvelle lectrice

    Bonsoir. Mon compagnon m’a e-mailé cet article qui m’a fait réfléchir. Je pense comme vous que toutes les femmes ont ou ont eu un problème avec leurs images. Celle qui nie ment certainement. J’en suis la preuve. je suis très mince, limite maigre, parce que je contrôle tout ce que je mange. Je pense que c’est un problème et qu’il s’étend maintenant sur mon entourage. Je me rends la vie impossible et finalement être mince ne suffit plus.

  • burntoast4460

    Sur le regard des femmes sur leur corps, je ne peux pas dire grand chose, n’étant pas concerné (rire bête).
    Pour les hommes, à moins d’avoir fait une foire effrénée, je pense qu’il y a moins de regards angoissés..bien que, au travail, à un moment, j’étais le seul à avoir des cheveux blancs (je les ai eu blancs très tôt), tous les autres hommes se faisaient faire des teintes en allant chez le coiffeur.
    Quand aux vedettes masculines des médias, ils se font font botoxer à tout va, notamment Antoine de Caunes qui a « rajeuni » de 10 ans pour son nouveau « rôle » à Canal+ (j’en ai la preuve formelle tout à fait par hasard ; je sais où il se fait très discrètement botoxer).
    Un moment j’ai moi-même pensé à me faire faire des piqûres de botox dans la partie charnue de mon anatomie, (ça fait moins mal)..et puis, on m’a dit que cela ne se verrait pas. :) :)

  • murielle

    Merci pour tous les commentaires. Le sujet est vaste et le temps m’est compté aujourd’hui pour répondre ou débattre! Juste pour ajouter que oui le problème peut s’étendre aux hommes, sans aucun doute, mais peut-être à un moindre niveau. Je trouve que la pression est très forte chez les femmes et que par expérience, l’obsession est plus grande.
    Mais mon article ne se veut aucunement scientifique, juste une observation, une réflexion et un avis personnel.

  • Amaya

    Je suis bien plus obsédée par la nourriture que par le poids. Je pense bien plus à des bons petits plats qu’à la balance et je mange plus souvent que je ne me pèse .C’est comme les séries , je me modère , histoire de ne pas me laisser envahir par ce grand petit bonheur de manger. Alors penser au poids est un moyen pour moi de contrebalancer et d’équilibrer , juste équilibrer et j’y trouve aussi du bonheur , peut être celui d’une certaine « maitrise » de mon corps :-)
    ( j’ai l’impression d’être hors sujet , mais la culpabilité , je m’en BALANCE ! :oops: )

  • Marco

    Bonsoir. Je n’ai aucune théorie sur le sujet, je ne sais pas ce qui est naturel et ce qui est assimilé mais je suis quasi certaine que les femmes sont trop obsédées par tout ce qui tourne autour de la nourriture et du régime. J’ai l’expérience de ma copine qui ne prend pas de frites mais me pique les miennes, comme pour se convaincre qu’elle mange comme il faut. J’ai aussi l’expérience de ma mère qui a toujours été au régime, qui sautait des repas et puis qui en devenait frustrée. J’ai l’expérience de mes collègues femmes qui ont toute une salade et une pomme pour leur repas de midi. En ce moment c’est régime parce qu’elles veulent porter de jolis trucs pour les fêtes de fin d’année. Je sais que c’est facile à dire mais ce serait tellement mieux s’il n’y avait pas cette obsession.

  • Laurent

    Trop tard pour éditer. Je voulais aussi ajouter que je dois avoir tort puisque on se permet de poster sa photo et de la commenter et parler de son gros cul alors qu’on ne posterait pas la photo d’une femme très maigre pour la critiquer de la même façon. Finalement on fait partie de la meute et on est aussi une des causes du mal être.
    D’ailleurs je remarque que tu n’as pas posté de photos et seulement fait un lien.

  • Laurent

    Si les gens commentent sur Kim Kardashian et ses fesses ce n’est pas parce qu’elles sont grosses mais parce qu’elles sont fausses. Pourquoi une femme voudrait se faire grossir le fessier de cette manière est difficilement compréhensible.

  • Hugo

    Murielle, ce dont tu parles va au delà du discours féministe puisque la haine de soi/de son corps va, la culpabilité et tout ce que ça entraîne, marche aussi pour les hommes. Même si c’est à un degré moindre. Il y a aussi une pression pour eux d’être musclés, minces etc…

    • Nathalie

      Tout d’abord je trouve ton article très bien parce que ça touche à l’intime de beaucoup de femmes. Ensuite, je ne suis pas d’accord avec Hugo. Certes les hommes peuvent se reconnaître mais si on prend comme exemple les animateurs télé par exemple (je prendrais bien l’exemple de mon voisin de bureau mais personne ne le connait :-) )
      Les animatrices sont toutes minces ou presque, les présentatrices journaux le sont toutes. Les mecs? Moins. L’embonpoint passe chez les hommes.
      Et on pourrait continuer le sujet avec le thème de la vieillesse. Les rides chez une femme par rapport à celle chez un homme. Là je m’éloigne.
      Ce que je veux dire, c’est qu’on a une tendance sado-masochiste, une tendance à ne pas s’aimer assez (au mieux) ou se haïr (au pire) et que tout ça est accentué volontairement par plein de trucs extérieurs comme les compagnies cosmétiques (ça fait vendre la haine de soi), les produits de régime, de vitamines, les trucs qui font mincir avec de l’électricité et toutes les autres merdes.

  • superwoman

    Bonjour. Benoit, je comprends ton point de vue : associer une question avec le féminisme peut parfois irriter le lecteur. Ça me fait penser à la blague sur « les éléphants et la question juive » :-)
    Mais dans ce cas il y a du vrai si on considère le féminisme comme une question sociale qui regarde les femmes et les hommes. La question à mes yeux, c’est le manque de sympathie qu’on éprouve pour soi-même parce qu’on se compare toujours aux autres et qu’à cette époque la comparaison ne se base pas sur le QI, la culture ou l’intelligence mais sur le physique. Et que les femmes l’ont intégré dans leur ADN. Il faut qu’elle soit mince, si en plus elle peut être intelligence, c’est encore mieux.

  • Benoit

    Ton discours est intéressant mais il y a des points à revoir. Toute conversation qui porte sur les calories, régimes, etc doit être stoppée, car s’engager dans une telle conversation c’est permettre aux névroses de prendre toute la place et cautionner un comportement qui ne doit pas prendre le dessus.
    D’une manière peut-être contradictoire, je pense aussi que l’accent mis sur l’aspect social et féministe de l’alimentation permet également ce comportement de justification.
    Or les troubles de l’alimentation sont liés aussi à d’autres causes que simplement des pressions sociales. J’ai l’impression peut-être à tort que tu extrapole en pensant que l’élimination des troubles de l’alimentation ne se produira que lorsque toutes sortes d’inégalité seront surmontées. Le fait que tu peux faire un argument de la nourriture et de l’image du corps dans notre culture ne signifie pas que les troubles alimentaires sont une partie inévitable, inhérente, et normale de notre tissu social.
    Je pense que c’est aussi une maladie psychologique qui doit trouver sa solution dans un traitement.

    • Fred

      J’ai un défaut, je lis entre les lignes. Pour moi j’ai l’impression que ton commentaire ne contredit pas le post de Murielle. Les désordres alimentaires sont en partie psy mais ils sont aussi déclenchés par des facteurs extérieurs. La pression sociale, parentale ou celles des amis joue aussi beaucoup. Hommes et femmes adoptent des comportements jusqu’à être persuadés que c’est naturel et normal. Les réflexions faites sur un enfant un peu rond sont un exemple alors que la plupart des enfants vont perdre le surpoids en faisant de l’exercice sans leur mettre la pression. On oublie trop souvent d’apprendre aux autres à s’aimer et ce le plus tôt possible.
      Pour information, santé et poids ne sont pas non plus toujours liés. La preuve : je suis grand, maigre et j’ai trop de cholestérol.

  • Audrey

    C’est super intéressant ce que tu dis. je n’ai pas beaucoup de temps devant moi mais une première réflexion c’est que tu touches un point sensible et que tout le monde peut se reconnaitre dans un des comportements que tu décris. Je vais de ce pas le faire lire aux collègues!
    Ensuite, c’est encore plus vrai qu’outre le fait d’être obsédée par la minceur, la bouffe comme ennemi et le corps, on est en plus culpabilisé par les autres mais aussi et surtout par soi-même. C’est comme un cercle vicieux. Il y a des problèmes plus graves dans la vie et pourtant on ne peut pas s’en empêcher.
    Ton article met le doigt dessus.

  • Elise

    c’est un article et une réflexion intéressante. J’ai grandi avec une mère toujours au régime et j’ai suivi la voie. j’ai appris à me priver pour des raisons esthétiques et je justifie mes régimes pour des raisons de santé. je pense que c’est vrai qu’il y a plein de comportements face à la nourriture qui sont des comportements psychologiques proches du désordre alimentaire mais quand on est mince et qu’on ne ressemble pas à un squelette, on passe au travers.
    La pression est partout de toute façon, et comme tu le dis, on est notre meilleure ou pire ennemie.
    Je pense aussi que les hommes commencent à suivre le même chemin sauf qu’ils auront toujours une jolie fille à leur bras alors qu’une femme avec les mêmes problèmes sera célibataire…

  • Marie-Claire

    Un regard honnête sur des problèmes. Je pense qu’il y a très peu de femmes qui n’éprouvent pas ces sentiments dans une certaine mesure. Je ne suis pas sûre de savoir comment nous luttons contre ça parce que c’est comme une attaque de tous les angles – à coup sûr, acheter les magazines et regarder certains programmes de télévision n’aident pas – mais à moins d’être une ermite absolue, c’est impossible de ne pas être influencée par les médias et bien sûr par ceux autour de soi, hommes et femmes, qui vont faire une réflexion plus ou moins agréable, même quelque chose qu’on considère un compliment « tu as perdu du poids ».

    Je me demande si là où on vit a un impact – Je comprends que ce n’est pas spécifique à une classe sociale, mais je me demande si dans des grandes villes, il ya une pression culturelle à vivre et s’habiller d’une manière particulière que l’on ne trouve pas dans les villes de province .

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