Charlie’s Country

Written by murielle

Jamais un à fuir les sujets difficiles, Rolf de Heer aborde ici les répercussions de l’exhérédation dans la culture aborigène.

Charlie’s Country est le troisième film dans une trilogie informelle de collaborations entre l’écrivain / réalisateur Rolf de Heer et l’acteur David Gulpilil. Ten Canoes (2006) avait montré la culture aborigène avant l’arrivée des blancs, et The Tracker (2002) avait étudié la relation entre les hommes blancs et les aborigènes au début du 20e siècle. Maintenant Charlie’s Country explore les répercussions dans l’Australie contemporaine.

charlies-country-filmL’histoire :

Charlie est un ancien guerrier aborigène. Alors que le gouvernement amplifie son emprise sur le mode de vie traditionnel de sa communauté, Charlie se joue et déjoue des policiers sur son chemin. Perdu entre deux cultures, il décide de retourner vivre dans le bush à la manière des anciens. Mais Charlie prendra un autre chemin, celui de sa propre rédemption.

Charlie (Gulpilil) vit dans une communauté aborigène assez reculée dans la Terre d’Arnhem, où lui et les autres hommes de la communauté se débattent dans les liens culturels dans un monde dominé par la loi des blancs et le racisme délibéré ou accidentel. Il utilise les malentendus culturels à son avantage, mais est aussi obligé de tenir compte de la loi ; ainsi sa lance de chasse amoureusement conçue est confisquée car classifiée comme une arme.

Nous suivons Charlie alors qu’il quitte sa communauté. Comme ses ancêtres, il construit un abri, peint l’écorce, et sculpte un nouveau bâton de chasse avec lequel il pourra attraper du barramundi dans la rivière. Mais il est seul : séparé des siens et avec les ancêtres disparus depuis longtemps, le monde que veut Charlie, n’existe plus.

 

Dans la brousse, sa santé déjà périlleuse se détériore, et il est finalement contraint d’aller à l’hôpital à Darwin. Après en être sorti trop tôt, il rencontre une femme qui achète illégalement de l’alcool pour sa communauté (qui montre combien la prohibition n’a pas les effets voulus), avant de se retrouver en prison après quelques histoires avec la police.

Le film de De Heer est une lente mise en accusation de la relation entre le droit colonialiste blanc et le peuple aborigène. Heer demande à son public de découvrir et de réfléchir sur la vie de Charlie et l’affrontement complexe de cultures, lentement en prenant son temps, sans chercher à tout saisir dès le début.

Ainsi, lorsque Charlie est inculpé, il l’est pour un crime qu’il a effectivement commis, mais nous voyons également les circonstances complexes et difficiles qui le conduisent à ce point.

Le rythme est soutenu, la caméra de Jones est souvent immobile et le travail photographique est formidable : il faut du temps pour voir la scène et embrasser la verdure de la Terre d’Arnhem. De même l’action se déplace parfois hors de l’écran. Le travail de Heuzenroeder et Currie (ingénieurs du son) est riche, capturant la plénitude des sons dans la forêt, le silence inconfortable de l’hôpital et est modulé par le refrain clair, simple et répété du piano de Graham Tardif.

Mais c’est dans la performance de Gulpilil que le film trouve sa puissance. Charlie est à la recherche de quelque chose qu’il ne peut pas savoir ou identifier. À travers de longs plans du photographe Ian Jones, reposant uniquement sur le visage de Gulpilil, nous avons une relation intime avec cet homme. La lourdeur du monde se lit sur son visage. Il nous montre la colère, la résignation, la défiance et la tristesse en même temps, sans un mot.

 

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De Heer reste proche de la réalité de Charlie, un homme fier, qui dérive de crise en crise, toujours plus profondément dans son isolement. C’est une histoire dévastatrice, en partie parce que nous sentons que certaines luttes ne sont pas étrangères à Gulpilil lui-même.

De Heer semble vouloir garder un ton narratif simple : ne rien forcer et l’histoire se racontera d’elle même…. Il y a peu de dialogue, et finalement le thème principal ne se complique pas avec des histoires secondaires. Pour notre plus grand plaisir.

Ce qui est essentiellement l’histoire simple d’un homme devient l’histoire complexe d’un peuple marqué par des centaines d’années de domination colonialiste. Les actions et images répétées capturent le calme tranquille de la vie de Charlie et nous demande de réaliser avec lui une réflexion et une analyse critique de l’Australie contemporaine. Celle de l’envers du décor, loin de ses plages faites pour le surf et de ses terrains de cricket.

C’est cette autre Australie que De Heer souhaite nous montrer. L’Australie qui ne parvient pas encore à cacher le sort dramatique des premiers indigènes, leur extermination lors des guerres de conquête coloniale par les colons puis l’apartheid qu’ils subissent et les conditions déplorables dans lesquels elle les condamne à vivre. L’Australie coloniale, celle des blancs, celle qui reste toujours aussi injuste avec ses premiers habitants dont elle a fait de leur pays leur propre prison…

Pour ceux qui veulent aller plus loin dans la réflexion, le journaliste John Pilger a écrit de nombreux articles sur le sujet et réalisé en 2013 un film Utopia.

5 thoughts on “Charlie’s Country

  1. Laurent says:

    Oui c’est une très bonne critique d’un film qu’il faut voir.

  2. Magalie says:

    Bonjour. Je suis nouvelle ici. Je voulais te complimenter sur le design et le contenu de ton site. J’adore le style et j’aime la variété de tes articles. Bonne continuation!

  3. Mag says:

    It’s always good to see the dark side of a country. What Australia did with its indigenous is despicable.

  4. J’ai lu il y a longtemps quelques livres sur le « temps du rêve » des aborigènes et sur leurs difficultés avec le monde anglo-saxon. J’avoue que je n’ai toujours pas bien cerné ce « temps du rêve », même après un cours de Philippe Descola (ethnologue).
    Les australiens ont une mentalité assez dure, de par leurs origines (bagnards déportés d’Angleterre en Australie), j’ai pu le constater lors d’un voyage en Nouvelle Zélande.
    Les aborigènes commencent seulement à être respectés, mais certainement pas compris. Il faudra encore beaucoup de temps.

  5. Marie-Claire says:

    Pour une fois que je connais le sujet! J’ai vécu plusieurs années en Australie. D’abord la référence à JOhn Pilger est une trés bonne référence car il a beaucoup traité du sujet. Il y a presque trois australies, celle des australiens blancs, celle des immigrés surtout grecs et chypriotes et celle des aborigènes. L’Australie est fondamentalement raciste et cela ne date pas d’hier. Ceux qui rêvent de vivre là-bas sont éblouis par le mirage du soleil, du surf et de la vie facile. Ils sont souvent déçus.

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