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la pluie et quatre livres

J’ai tout de même délaissé la Scandinavie pour quatres autres romans noirs/policiers. Un anglais qui écrit sur l’Allemagne nazie, un catalan qui écrit sur Barcelone, une canadienne et un israélien.

Prague fatale de Philip Kerr

Il semblerait que Bernie Gunther ait plus de vies qu’un chat, puisque le policier de Berlin vit sa huitième en 2014.

Prague fatale fait partie d’une série dont les histoires ne sont pas par ordre chronologique mais le protagoniste à l’humour noir reste cohérent, stoïque, consterné par les autres et lui-même. Après l’Amérique du Sud, Cuba et les États-Unis dans les années 1950, il est de retour en Septembre 1941, pendant la Seconde Guerre mondiale, cette fois dans le service du monstre Reinhard Heydrich, Reichsprotektor de Bohême.

prague-fatale-philip-kerrL’histoire :

Berlin, 1942. Bernie Gunther, capitaine dans le service du renseignement SS, est de retour du front de l’Est. Il découvre une ville changée, mais pour le pire. Entre le black-out, le rationnement, et un meurtrier qui effraie la population, tout concourt à rendre la vie misérable et effrayante. Affecté au département des homicides, Bernie enquête sur le meurtre d’un ouvrier de chemin de fer néerlandais. Un soir, il surprend un homme violentant une femme dans la rue. Qui est-elle ? Bernie prend des risques démesurés en emmenant cette inconnue à Prague, où le général Reinhard Heydrich l’a invité en personne pour fêter sa nomination au poste de Reichsprotektor de Bohême-Moravie.

C’est une roman policier, digne d’Agatha Christie, dont les romans sont lus par Heydrich quand il a du temps libre dans sa vie de super-humain. On entrevoit son agenda bondé, y compris un rendez-vous à Wannsee. Ce moment d’horreur positionné avec tact surpasse les nazis séjournant au château: comme les personnages d’Agatha Christie, les invités ont tendance à se fondre dans le nombre, comme s’ils ne faisaient plus qu’un.

L’intrigue est habilement menée, avec une trappe intégrée dans la forme, mais elle est finalement moins intéressante que les observations de Gunther. Il se bat pour préserver quelque chose de lui-même dans la destruction morale à laquelle il a été obligé de participer – il a servi dans une unité d’exécution de la police sur le front de l’Est.

Maintenant, il trouve un miroir déformant dans le pragmatisme ironique de son assistante, Kahlo, qui se décrit comme «un steak », brun à l’extérieur mais rouge au milieu.

Kahlo a besoin d’une promotion pour pouvoir fonder une famille.

L’épouse de Gunther est morte depuis longtemps, tuée par l’épidémie de grippe de 1919, et il sait que sa liaison avec Arianne, la belle fille au vestiaire du Jockey bar, n’a pas d’avenir. Qui est-il vraiment ? Que veut-il ? Finalement la meilleure description du bonhomme est celle faite par le sinistre Reinhard lui-même :

« À bien des égards, vous êtes quelqu’un de précieux à avoir sous la main. Comme un cintre tordu dans une boîte à outils, vous n’êtes pas conçu pour un usage spécifique, mais vous pouvez vous révéler quelquefois utile. De fait, vous êtes un excellent policier. Tenace. Déterminé. Et, d’une certaine manière, vous avez fait de l’excellent travail en tant que garde du corps. Mais vous êtes aussi indépendant, ce qui vous rend dangereux. Vous avez des principes que vous vous efforcez de respecter, mais ce sont les vôtres, ce qui signifie, en définitive, que vous n’êtes pas fiable. »

Prague Fatale reste une histoire aussi absorbant les autres dans la série. Contrairement à certains auteurs de thrillers historiques, Kerr est capable de laisser les détails d’une période vivre leur propre vie. Les passages, où Gunther étudie le meurtre d’un travailleur étranger dans une station de Berlin S-Bahn, sont particulièrement efficaces : le black-out de la ville est parfait pour assassiner, la nourriture manque et il est rapporté que le tapir du zoo de la ville a été volé pour être mangé.

À la radio, Hitler et Goebbels poussent la nation à donner au secours d’hiver. La Wehrmacht a atteint Kiev, et rien ne peut aller mal, sûrement…

Une fois de plus Philip Kerr dessine avec talent le portrait de l’Allemagne nazie comme celle d’une normalité dérangée.

Le bourreau de Gaudi d’Aro Sainz De La Maza

 

le_bourreau_de_gaudiL’histoire :

Un corps en flammes est retrouvé pendu au balcon d’un des monuments les plus emblématiques de Barcelone, La Pedrera, d’Antonio Gaudí. Bien mauvaise publicité pour la ville à quelques semaines de la consécration par le pape de la Sagrada Familia. Les services policiers sont aux abois et réintègrent l’électron libre Milo Malart, révoqué par mesure disciplinaire. Tandis qu’il enquête en binôme avec une jeune sous-inspectrice, qui semble tout droit sortie d’une série américaine à succès, les meurtres s’enchaînent selon un rituel immuable : toujours des membres de l’oligarchie barcelonaise, férocement mutilés au sein des édifices du célèbre architecte qui fait la gloire de la ville. Barcelone a vendu son âme au diable ; elle doit payer le prix de sa magnificence.
La chasse à l’homme est ouverte, mais qui cherche-t-on ? Un prédateur sadique assoiffé de vengeance ou la victime d’un système politique arrogant et corrompu, qui sacrifie les plus fragiles au faste tapageur de la ville et à sa manne touristique ? Pour répondre, il faut d’abord décrypter le symbolisme ésotérique des œuvres de Gaudí, aux formes proprement hallucinantes.

Un long résumé pour une histoire elle aussi très longue. Mais malgré le nombre de pages et la forme – très convenue – on se laisse prendre.

Parce que qu’on s’intéresse à Milo Malart, le dépressif, et surtout parce que c’est un manifeste politique. Qu’est-il arrivé à Barcelone?

« Tous entassés en cellules d’or, les uns sur les autres, chacun protégé de son voisin dans son monde isolé. Pour lui, c’était un paradoxe de plus de Barcelone. Solitude et isolement dans une agglomération où le besoin de remplir le vide était une urgence prioritaire. N’importe quoi sauf le néant. La ville entière réclamait à cor et à cri le contact humain et cependant elle était le royaume de la solitude et de la méfiance vis-à-vis de l’autre. »

La ville des prodiges, dont la démocratie n’est qu’apparente, est gouvernée par des familles de la haute-bourgeoise et quelques cercles corrompus. Une ville contaminée par les scandales politico-financiers dont la façade touristique peine de plus en plus à cacher la misère sociale, la pauvreté, les expropriations sauvages, et conséquence d’un capitalisme à outrance.

Vous ne verrez plus Barcelone de la même façon…

La Femme d’un homme de A.S.A Harrison

la-femme-dun-homme-a-s-a-harrisonL’histoire :

Elle c’est Jodi. Lui c’est Todd. Elle est une femme d’intérieur idéale et une psy de renom. Il a le charisme et la gloire de ceux qui réussissent. Elle l’aime aveuglément. Il la trompe allégrement. Elle et lui forment le couple parfait, en surface. Mais les apparences peuvent-elles longtemps rester trompeuses ?

Les fissures de Jodi et sa relation de 20 ans avec Todd sont soigneusement plâtrées pour créer le placage de deux vies réussies et bien vécues. La lente désintégration – insidieuse jusqu’au point où assassiner l’autre est parfaitement logique – est épouvantable, et terriblement plausible, dans son inéluctabilité.

Tout aussi convaincant et troublant que le thriller psychologique de l’année dernière, Les apparences, La Femme d’un homme est le premier roman de l’auteur canadienne ASA Harrison – et aussi, malheureusement, le dernier, elle est morte en Avril.

Une Disparition inquiétante de Dror Mishani

 

une-disparition-inquietante-dror-mishaniL’histoire :

Ofer Sharabi n’est pas rentré de l’école.
Le commandant Avraham Avraham, alerté par la mère d’Ofer, n’est pas plus inquiet que ça : les adolescents fuguent volontiers.
Quelques jours plus tard, après l’enquête de routine et une battue infructueuse dans le quartier de Holon où vit la famille Sharabi, il faut se rendre à l’évidence : il s’agit bien d’une « disparition inquiétante ». Le policier, rongé par ses problèmes existentiels, est loin d’aborder l’affaire avec sérénité et lucidité. Il n’a même pas repéré le comportement étrange de Zeev, le voisin prof d’anglais qui donnait des cours particuliers à Ofer.
Dans cette banlieue modeste de Tel-Aviv, chacun a quelque chose à cacher. Et Avraham Avraham se révèle être un enquêteur des plus atypiques. Il faut dire qu’en Israël, selon lui, les tueurs en série, les enlèvements sordides ou autres crimes spectaculaires, ça n’existe pas.

Bien entendu ce n’est pas le cas et il devient clair que les choses ne sont pas ce qu’elles semblent …

C’est un premier livre assuré, avec une résolution tout à fait inattendue. Et l’opportunité de découvrir un autre Israël, celui des banlieues.

« Autrefois, il n’y avait là que du sable. Maintenant, tout était devenu transparent. Du verre partout. Sur les dunes qui séparaient Névé-Remez de Kiryat-Sharet, deux quartiers résidentiels gris où il vivait depuis toujours, des constructions avaient poussé comme des champignons : des tours d’habitation, une bibliothèque municipale, un musée du design et un centre commercial. Dans le noir, ces édifices ressemblaient à des stations spatiales plantées sur la Lune. »

5 commentaires

  • Marie-Claire

    Le livre de Kerr m’interesse. Je ne connaissais absolument pas cet auteur et l’idée d’un flic ancien SS est originale et culottée. Je vais chercher ses livres à la bib.

  • Benoit

    Et voilà comment on se retrouve à acheter plus de livres que nécessaires pour les cadeaux de Noël :-) C’est mon frère qui va être content avec les livres de Kerr et de Mishani. Le libraire était impressionné avec mes choix. Il a maintenant le lien vers ton blog!

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