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Azadi – Une liberté cher payée

Être blogueuse, c’est choisir de ne pas choisir. C’est parler de ce qu’on veut quand on veut et comme on veut. Mais être critique littéraire, lire pour les autres, c’est prendre parfois des chemins de traverse, ne pas rester dans les voies balisées qui nous confortent dans nos opinions et nos goûts. C’est continuer un joli voyage qui nous apprend toujours un peu plus sur nous et sur le monde.

Parfois on n’a même pas à choisir quel livre lire pour son prochain article. Quelqu’un pose un livre sur un coin de table au café et dit, « tiens c’est pour toi ». Ce fut le cas d’Azadi de Saïdeh Pakravan.

 

azadiL’histoire :

Azadi signifie « liberté » en persan. Il y a ceux qui la rêvent et ceux qui en paient le prix.

Téhéran, juin 2009. Après des élections truquées, une colère sourde s’empare de la jeunesse instruite de Téhéran. Dans la foule des opposants la jeune Raha, étudiante en architecture, rejoint chaque matin ses amis sur la place Azadi pour exprimer sa révolte, malgré la répression féroce qui sévit. Jusqu’au jour où sa vie bascule. Après son arrestation, et une réclusion d’une violence inouïe, ses yeux prendront à jamais la couleur de l’innocence perdue…

Tout en levant le voile sur une psyché iranienne raffinée et moderne, sans manichéisme et avec un souffle d’une violente beauté, Azadi raconte de façon magistrale le terrible supplice de celle qui cherche, telle une Antigone nouvelle, à obtenir réparation. Et à vivre aussi… là où le sort des femmes n’a aucune importance.

Dès la première page d’Azadi, on est dedans. Dans la ville, dans le pays, dans l’Histoire. Tout commence ce jour de Juin 2009 quelques jours après la victoire contestée de Mahmoud Ahmadinejad.

La nuit tombe sur ce mercredi de troubles et d’agitation alors que Massoud et moi faisons un dernier tour sur la place Baharestan à présent vide de manifestants. […] Nous avons reçu l’ordre de vérifier les rues adjacentes avant de retourner au Sepah, le quartier général des Gardiens de la Révolution.

On entre rapidement, brutalement dans les histoires, et dans les vies de plusieurs personnages :

Raha, jeune fille d’une bonne famille laïque du nord de Tehéran, étudiante, activiste contre le gouvernement d’Ahmadinéjad :
Hossein, musulman fervent et membre des gardiens de la révolution.
Kian, le fiancé de Raha.
Les mères de Raha et Kian.
Gita, une expatriée iranienne qui vit maintenant aux États-Unis.

Et sur quelques pages, Neda. Neda Agha-Soltan, cette jeune fille tuée par balle au cours d’une des manifestations qui deviendra le visage emblématique de leur lutte.

neda-agha-soltan-zadi

C’est ma mère et d’autres personnes qui se trouvaient là qui m’ont raconté tout ça.[…] Au départ, tout de suite après les élections, d’accord, c’était tout bon et nous étions plein d’enthousiasme, sûrs de nos chances de pouvoir amener un changement, de pouvoir même avoir de nouvelles élections si nous les réclamions assez fort, et peut-être même plus de libertés, comme à l’époque où Khatami était président. Mais les choses changeaient, les forces de l’ordre devenaient plus dures, plus brutales, arrêtant davantage de monde.

Tout est raconté à la première personne ; les multiples narrateurs créent une chorale de voix et d’opinions qui donnent à ce roman une interprétation formidable, composée de tessitures et de tonalités différentes. Ce sont ces voix qui racontent leur histoire, chacune à leur façon, mêlées dans une texture complexe.

Il n’y a rien de simple ou de facile quand on connait des évènements de cette dimension. L’âge, le sexe, l’éducation, la religion et la classe sociale influent et guident les comportements de manière presque organique. Mais rien n’est figé, rien ne se passe comme on le pense.

manifestantes_iran-juin-2009- Zadi

 

Et ceci sans répit. Les chapitres courts, les voix changeantes donnent un rythme rapide, presque essoufflé, on va vite, on lit vite et on vit intensément par procuration.

Il y a la violence, les viols et les tortures :

« Tu vas être exécutée dans une heure, il me dit. Tu ne vas pas mourir vierge, ou tu irais tout droit au paradis! Les putes n’ont aucune place au paradis! […] Je croyais qu’il ne me restait plus de cris mais je m’entends à nouveau hurler. S’il y a une échelle de la douleur, j’ai du en parcourir tous les degrés. »

La deuxième partie, celle après « l’ignoble histoire » – cet acte jamais nommé, cet évènement oun etefagh – devient plus calme. C’est la reconstruction personnelle avec les visites chez un analyste.

Je sais d’expérience depuis ces dernières semaines que je peux contrôler mes émotions quand c’est nécessaire, que je peux toujours présenter un front solide et faire face à une situation difficile. Mais à la minute où on me montre de la compréhension, de la compassion ou de la sympathie, je perds toute contenance et l’attitude parfaitement neutre que j’essaie de cultiver.

Mais le calme ne signifie pas l’apaisement. Le cauchemar est là, « précis, avec les mêmes détails qui se répètent d’une nuit à l’autre« , et la seule manière pour s’en débarrasser est de remettre les tortionnaires entre les mains de la justice.

C’est un nouveau combat, violent mais différent, qui commence. Il n’est plus physique, il est judiciaire. Il est celui d’une jeune femme qui accuse les gardiens d’une prison de la république islamique.

Ce combat devient universel :

[…]quelqu’un a créé une page de groupe Facebook à mon nom et le buzz augmente autour de moi

Enfin le roman offre un espace de réflexion, quelque chose de plus introspectif. Il est sur la perception, sur les mots et les actes, sur les idées et les débats. Il est politique, culturel et historique. Il nous invite à apprendre, observer et changer notre perception du pays. Il nous parle de liberté, de celle dont un peuple rêve, ou se souvient, quand il vit dans l’oppression.

Nous vivons dans une société où existent trop d’impossibilités. Comme tout le monde ici, nous ne disons pas ce que nous pensons et osons parfois à peine penser, de peur des conséquences, de représailles, de châtiment. Nous transposons dans notre vie privée les habitudes que nous avons prises dans notre vie publique.

Il a suffit d’une nuit pour lire Azadi. Une nuit pour vivre un morceau de l’Histoire et découvrir un pays déchiré et beaucoup plus complexe que les unes des média et la propagande politique nous laissent croire.

Malgré la répression, malgré les bains de sang, malgré la brutalité, malgré ce que l’occident considère une dictature, Saïdeh Pakravan parle de l’Iran avec quelque chose proche de l’amour ou du pardon. Elle qui est née là-bas, avant de partir en exil après la révolution islamique de 1979, et qui vit aujourd’hui entre Paris et Washington.

Peut-être parce que souvent, on ne peut pardonner ou accepter que de loin.

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