Découvrir,  Lire,  Questionner

Histoires d’exil

Il ne vous aura pas échappé que ces dernières semaines l’actualité traite de l’immigration sous tous ses angles et formes. L’angle politique, culturel, économique, linguistique, comptable, politique et la forme froide, objective, subjective, émotive, tangible ou humaine. Migrant pour certains, réfugiés pour d’autres, le choix des mots compte : porteur d’un fait statistique, administratif ou sémantique, c’est selon…

Je ne suis ni politicienne, ni historienne. Mais ma petite connaissance littéraire me permet de dire que le sujet de l’exil existe depuis des siècles. Et que l’histoire ne fait que se répéter. Et surtout qu’il est temps de faire une piqûre de rappel sur ce que signifie quitter son pays, qu’il soit sous le joug d’une dictature, dans la misère économique ou en guerre. Partir et tout abandonner derrière soi, au risque de perdre sa dignité et la vie. Parce que parfois, le choix est entre mourir sûrement et mourir peut-être.

Partir poussé par le désespoir et arriver dans l’espérance, l’histoire des migrants est le sujet puissant de nombreux romans. Devenir « l’outsider », « l’étranger », « l’autre » est un état dans lequel tous les immigrés et leurs enfants vont se débattre.

Parce que les raisons et les conditions de la fuite sont telles, qu’on en vient à se demander si – malgré l’espoir essentiel de l’acte – il est possible d’entendre les portes se fermer tranquillement derrière eux. Qu’est-ce que survivre et à quel prix?

bundesarchiv_bild_ju%cc%88dische_familie_im_exil

 

(La plupart de ces livres sont assez récents, mais n’hésitez pas à visiter aussi votre bouquiniste préféré pour chercher les titres plus anciens).

Arc de Triomphe – Erich Maria Remarque

Un auteur qui a connu l’exil et qui reste dans mes favoris est l’oublié Erich-Maria Remarque. Malgré un livre qui a connu un succès mondial – À l’ouest rien de nouveau – il est de ces auteurs qui reste malgré tout mal connu. Or il a écrit les magnifiques Après, Trois camarades, Les exilés, Le ciel n’a pas de préférés et La nuit de Lisbonne. Remarque a connu l’Allemagne nazie, ses livres brulés en autodafé, l’emprisonnement puis la perte de sa nationalité.

Dans Arc de Triomphe, le Dr Ravic, est un chirurgien allemand, apatride réfugié à Paris, qui vit en opérant de façon illicite malgré l’absence d’autorisation de pratiquer la chirurgie.Il est l’un de ces nombreux errants de l’avant guerre, vivant sous la menace constante d’être ramené dans son pays d’origine. Tout comme dans Les exilés, l’errance des apatrides, leur désir d’appartenance à un pays et le désespoir d’être personne  sont des sujets qui restent toujours contemporains.

fairbridge-children-molong-historical-society

Juan Gabriel Vasquez – Les Dénonciateurs 

Un jeune journaliste publie les souvenirs d’une vieille amie de la famille, une juive allemande arrivée jeune en Colombie pour fuir le nazisme, et qui s’est trouvée confrontée alors à une autre forme de persécution. En 1943, la Colombie avait en effet dressé la liste noire des exilés pouvant nuire au pays.

Ce premier roman d’un auteur colombien  traite d’un sujet peu connu et assez rarement abordé, celui des Allemands exilés en Colombie durant la Seconde Guerre mondiale. Des listes d’Allemands supposés entretenir des relations avec les milieux nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. Ce sont pour la plupart des Allemands venus s’installer en Colombie pour fuir le nazisme, mais d’autres sont  des sympathisants, donc agitateurs et opposants au régime colombien, adversaire déclaré de l’Allemagne.

C’est un roman à plusieurs facettes qui parle d’exil d’une manière différente et multiple mais aussi de filiation et de secrets.

Le pigeon anglais – Stephen Kelman

Originaire du Ghana, Harri, 11 ans – de son vrai nom Harrison – vient d’arriver dans une banlieue de Londres.

Un corps d’adolescent poignardé dans une ruelle de sa cité. Et comme les policiers n’arrivent pas à « attraper celui qui a tué le gars qu’est mort » – « Ils n’arriveraient même pas à attraper froid« , ironisent les gamins alentour -, Harri décide de mener l’enquête lui-même (avec l’aide d’un pigeon-confident dont le point de vue s’exprime ici et là en contrepoint de celui du narrateur).

Harare Nord – Brian Chikwava

« Personne se soucie de me donner des tuyaux corrects avant que je vienne en Angleterre. Alors au moment d’arriver à l’aéroport de Gatwick je déçois ceux de l’immigration parce que quand je m’avance pour présenter mon passeport à l’homme qui mâche du chewing-gum assis derrière son bureau, je profère le mot magique – asile – et je leur décoche un sourire d’Africain autochtone, plein de dents. On m’arrête.
Quelles que soient leurs raisons pour m’arrêter, ceux de l’immigration me laissent partir après huit jours. Je leur en veux pas vu que ces gens ils font rien que leur combine. Mes proches par contre, ils ont une attitude préoccupante : faut que j’attende deux jours de plus pour que la femme de mon cousin vienne m’embarquer ».

jamaican-immigrants-arriving-at-tilbury-dock-in-1948-on-the-empire-windrush

 

Hortense et Queenie – Andrea Levy

Je me souviens de ce roman publié en 2004 en VO. Je travaillais alors comme bibliothécaire à Londres et ce fut le livre le plus demandé, le plus réservé et le plus discuté cette année là. C’est ainsi que j’ai appris à connaitre l’origine de la génération Windrush, et une partie de l’histoire des immigrants afro-caribéens.

Londres, 1948. L’Angleterre est encore secouée par la guerre. Au 21 Nevern Street vit Queenie Bligh, une belle femme de tempérament, élevée à la dure dans les Midlands. Son mari, Bernard, n’est pas rentré des Indes, où il servait dans la Royal Air Force. Pour survivre, Queenie est contrainte de prendre des locataires, dont un couple de Jamaïquains, Gilbert et Hortense. Gilbert Joseph vient lui aussi de faire la guerre sous le drapeau de l’Empire et l’uniforme bleu de la RAF. Déterminé à rester à Londres, il subit bon gré mal gré le racisme ordinaire.

Mon Antonia – Willa Cather

Il m’est arrivée dans ma vie de française en angleterre de parler à des immigrés illégaux bien moins chanceux que mois. Je me souviens de cet indien qui me disait être venu  parce que « quelque chose pouvait être fait », un avenir, peut-être. Cela m’a rappelé les immigrés dans le roman de Cather – de Bohême, principalement, mais aussi de Scandinavie – qui vivaient dans des maisons de terre et travaillaient le sol du Nebraska.

«Il me semblait que le monde restait en arrière, que nous étions passés de l’autre côté, et avions quitté la juridiction humaine. […] Le chariot avançait en brinquebalant, me conduisant je ne savais où. Je ne crois pas que j’avais le mal du pays. Si nous ne devions jamais arriver nulle part, cela n’avait aucune importance. Pris entre cette terre et ce ciel, je me sentais comme effacé, gommé.»

Questions de pouvoir – Bessie Head

Elizabeth, une femme métisse, n’est pas assez blanche en Afrique du Sud et pas assez noire au Botswana, son pays d’accueil. Ce qui suit est roman brutal et radical qui montre l’émigration comme une folie nécessaire; une folie qui permet à Elizabeth de résister face aux jeux de pouvoir de la race et du sexe, pour finalement  créer et réclamer une nouvelle identité pour elle-même, comme femme immigrée africaine.

Pinjar le squelette – Amita Pritam

1935 l’empire des Indes britanniques se prépare aux violents événements de la partition qui secoueront le pays en 1947. Le Goujarat, province située à l’ouest, se verra coupée en deux, entre Pakistan et Inde, musulmans et hindous…

Pinjar, qui signifie « squelette », se distingue en étant l’un des rares romans qui observe l’Inde comme une partition – avec ses migrations ultérieures – à travers les yeux d’une femme, Pouro. C’est une histoire profondément compatissante avec une femme courageuse qui croise d’autres femmes toutes aussi courageuses.

Fils de pionner – Ole Edvart Rølvaag

De toute évidence, la migration volontaire est un acte d’espoir, et il n’y a pas plus optimiste qu’Hansa, un norvégien qui, en 1873, vient avec sa famille dans le Dakota: « On lui a dit que ce pays ne manque d’opportunité ». Le plus touchant et le plus triste est l’optimisme de Per, son refus de regarder les faits, et comment, même dans le plus dur hiver des Prairies, il est là-bas, travaillant héroïquement, convaincu qu’il peut bâtir un endroit qu’il appellera maison.

Exil – Henri Fabuel & Jean-Marie Minguez

C’est l’histoire de l’exode républicain au lendemain de la guerre civile espagnol, en 1939, à travers les yeux du personnage principal, Francisco, le grand père paternel du dessinateur Jean Marie Minguez. 

A large group of refugees fleeing Paris in anticipation of the German invasion, 1940. (Photo by FPG/Hulton Archive/Getty Images)
A large group of refugees fleeing Paris in anticipation of the German invasion, 1940. (Photo by FPG/Hulton Archive/Getty Images)

Je voudrais également vous parler d’autres romans formidables mais ils pas – encore? – traduits en français : je les cite tout de même pour les lecteurs en VO  :

Zebra Crossing – Meg Vandermerwe

Basé la plupart du temps à Cape Town, ce roman parle des vicissitudes des migrants noirs illégaux dans la ville. La Coupe du monde – « le plus grand événement jamais eu lieu en Afrique » – est proche et Chipo, une albinos du Zimbabwe, est à la recherche de sa fortune. Douce, courageuse, curieuse, elle est une excellente guide de cette nouvelle Afrique du Sud.

Preparation for the Next Life – Atticus Lish

C’est l’histoire de Zou Lei, un Chinois musulman immigrant illégal, et Brad Skinner, un soldat désabusé qui a combattue en Irak. Zou, dont le nom signifie « tonnerre », montre une grande résilience. C’est Brad qui lutte pour survivre.

C’est un roman plein de détails, parfois bouleversant, souvent beau dans la façon dont il donne la vie à une scène : « il est venu vers elle, ses bras chuchotant sur le corps de sa parka »

The UnAmericans – Molly Antopol

Boaz est un israélien qui a suivi son épouse américaine, Mira, à Boston. Leur mariage est chancelant – il « existe si bien dans sa tête », alors qu’elle « est juste en vie ». L’histoire devient une exploration dans les limites de l’amour, et Boaz n’arrive pas à trouver une langue pour expliquer son mariage américain, pas « un seul mot pour décrire ce type de solitude« . C’est l’exil de la langue autant que celle de l’esprit.

Il y a tant d’autres romans qui parlent de l’exil mais j’ai peur de vous fatiguer. Ce sera peut-être l’occasion de poster un autre article, une autre fois. Et en attendant pourquoi ne pas terminer par une citation bien judéo-chrétienne si chère à la plupart de nos politiques…

Car j’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger; j’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire; j’étais étranger, et vous m’avez recueilli.

Matthieu 25:35

3 commentaires

  • Benoit

    Bonsoir. Après avoir vue Nadine Morano dans ONPC hier soir, il est effectivement temps de faire une piqure de rappel face à des propos immondes. j’aime bien aussi le clin d’oeil chrétien en citant la bible!

    • Fred

      Je n’ai pas vu l’émission, seulement des extraits aujourd’hui et ça suffit.
      Murielle, j’aime cet article qui sans tomber dans l’angélisme met les choses en perspective. J’ai très envie de lire la plupart des romans proposés, surtout Pigeon English.

  • Audrey

    Il faut prendre le temps de lire mais c’est un article qui en vaut la peine. Oui comme tu le dis, il y a beaucoup d’autres romans qui parlent de l’exil. Ta liste est différente, plus actuelle et moins classique. J’aimerais pour ma part que tu continues cette liste, je te fais confiance dans les choix :-)

quelque chose à dire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

En savoir plus sur DES CHOSES À DIRE

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Continue reading