Les bâtisseurs de l’oubli
Les bâtisseurs de l’oubli de Nathalie Demoulin est un de mes derniers coups de cœur. Je n’avais jamais entendu parler d’elle, je ne savais pas qu’elle avait déjà écrit des romans plutôt bien accueillis, bref je suis toujours à la traine quand il s’agit de littérature française. cette fois-ci c’est le titre qui m’a beaucoup plus.
L’histoire : Sur les vestiges des cités antiques, Marc Barca a, depuis son rapatriement d’Algérie, et durant cinq décennies, édifié, de La Grande-Motte à Sète, un empire de béton gagné sur un delta toujours plus menacé par les eaux montantes de la Méditerranée.
En ce jour de Saint-Sylvestre 2012, ce Titan vieillissant peut désormais méditer sur cette œuvre imposante et chimérique, secrètement née de l’arrachement à la terre natale, et qui lui a valu de partager des années heureuses avec sa compagne, la belle Hélène.
Les voix se croisent, les narrations se mélangent, les chapitres se répondent et tout entre en résonance. Un long voyage en train est parfait, entre deux rendez-vous à la terrasse d’un café, beaucoup moins….
Marc Barca (le Mama) est Prométhée dans toute sa splendeur; il occupe l’espace, le temps et la vie de ceux qui l’entourent. Il est celui qui porte le poids du passé, et une souffrance jamais effacée. (Il me fait penser à un personnage à la Gérard Depardieu).
Il est aussi celui qui décide:
«Il avait en tête une ville idéale, des ambitions féroces après quarante ans de compromis. Il balaya le fétu de pavillons d’un revers de main. La mer effacera tout, fut sa conclusion.»
Ce sud est le pays de la mer, des marais et du vent. Il y a quelque chose de Jean Giono dans la description amoureuse des étangs, des poissons, des vagues et du temps. C’est poétique, singulier, aucune image n’est un cliché vu et usé.
Ici le texte est dense et le langage recherché, c’est un bonheur de découvrir au détour d’une page un mot peu usité, ou de chercher la signification d’un autre. Nathalie Démoulin sait décrire, ses phrases sont des photographies d’une période mais aussi d’un lieu
«Sur cette Méditerranée qui est un récit de navigations, de marchandages, de conquêtes, d’exils et d’abandons. Sur ces treize mille ans de chemins maritimes, d’esquifs enduits de goudron d’asphalte ou de cèdre, de marins liseurs de ciels, ils auraient roulé, secoués par ces grandes ornières que forme la houle, mais déterminés à rallier l’autre rive, coûte que coûte, les morts s’additionnant aux morts dans leur sillage»
Ce Sud magnifique et sauvage qui est la proie des investisseurs:
«Tandis que l’État rachetait aux viticulteurs les terres instables et emmoustiquées d’un littoral inhabitable, expropriant les réticents renâclant à céder leurs lambeaux de désert entre l’étang de l’Or et l’étang du Ponant, tandis que la Compagnie du Bas-Rhône creusait canaux et roubines, montait des barrages, consolidait les routes, asséchant là, irriguant ailleurs, domestiquant à coups d’insecticides les dunes et les vasières, tandis que les élus locaux se découvraient forts d’une nouvelle Costa Brava, jackpot imprévu dans une région qui désespérait de sa mer, Jean Balladur, architecte en charge de la mission, arpentait Teotihuacan et se préparait à raser les baraques, les chalets de bois à moustiquaires, les villas de parpaing, les restaurants à vérandas, les cabanes de chasseurs, les bicoques diverses construites sans permis, pour édifier en leurs lieux et places les avatars modernes des pyramides méso-américaines.
La ville serait pour l’estivant un paradis lacustre, un terminal solaire mesuré en nombre de lits : quatre cent cinquante hectares, soit quarante-trois mille lits à choisir à sa guise entre résidence hôtelière ou locative, appartements, villas, camping, village de vacances, le tout relié par des parcs-promenades, les concepteurs de cette ville futuriste l’imaginant peuplée de piétons à rebours[…] »
Enfin, c’est l’histoire des femmes qui entourent le Mama, personnages dramatiques d’histoires d’amour, de familles et de pertes. Ou comment les illusions et désillusions sont inhérentes à la vie des êtres humains.
Les bâtisseurs de l’oubli fait partie de ces romans que l’on veut partager, lire à voix haute pour montrer combien le langage est beau, comment les mots sont forts et puissants quand ils sont bien choisis.
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