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Un travail comme un autre

Je continue la rentrée littéraire ; encore une semaine de lecture avant que je fasse ma rentrée à moi. Aujourd’hui c’est encore un roman américain Un travail comme un autre de Virginia Reeves et c’est encore un roman avec peu de légèreté.

virginia-reeves-un-travail-comme-un-autreL’histoireRoscoe T Martin est fasciné par cette force plus vaste que tout, plus grande que lui, qui se propage avec le nouveau siècle : l’électricité. Il s’y consacre, en fait son métier. Un travail auquel il doit pourtant renoncer lorsque Marie, sa femme, hérite de l’exploitation familiale. Année après année, la terre les trahit. Pour éviter la faillite, Roscoe a soudain l’idée de détourner une ligne électrique de l’Alabama Power. L’escroquerie fonctionne à merveille, jusqu’au jour où son branchement sauvage coûte la vie à un employé de la compagnie…

La suite c’est la prison pour Roscoe et son homme de ferme Wilson. Virginia Reeves mesure le temps de prison en explorant les relations de Roscoe avec les autres prisonniers et les gardes, qui sont souvent aussi violentes que ceux qui y sont confinés.

Les expériences vécues vont laisser des cicatrices mentales et physiques durables. La mission de Roscoe comme maître-chien, ceinturé à un chien pour chasser ceux qui cherchent à s’évader, explique la déshumanisation d’un système pénal.

L’homme ne ralentit pas. Dans un instant, il atteindra le bois, j’ignore ce que cela signifie pour moi, s’il me faudra le suivre. Si cette grande bête puissante continue à ce train d’enfer, mon corps lâchera, telle une ancre traînée à travers le sous-bois, ma peau et mes vêtements se déchirant contre le sol et les buissons… Il est déjà à plusieurs mètres. Le gardien dans le champ s’est déplacé pour sortir de sa ligne de mire. Alentour d’autres hommes travaillent, tous en uniforme rayé. En entendant le coup de feu, ils se sont redressés, leurs mains ont cessé la cueillette, leurs yeux suivent l’action. Ils soutiennent tous l’homme à terre. Je le vois. Ils lui font un tunnel, un passage secret, exactement là où il est tombé, un corridor menant à l’océan où l’attend un bateau. Je lui souhaite d’y arriver, moi aussi.
Mais il ressurgit, son corps déchiré s’élève au milieu du champ, criblé d’épines.

La description de la chaleur poussiéreuse des prisons de l’Amérique profonde et la situation explosive des hommes dans des cellules surpeuplées se mêlent aux auto-explorations de Roscoe, de ses souvenirs, sa famille et la construction des alternateurs qui le mènera à sa perte.

Cette structure alternée semble parfaite pour maximiser les conflits et faire pression, mais malgré les défis que les personnages de Reeves subissent – la tromperie, la mutilation, l’abandon, la trahison, la cruauté sous de nombreuses formes – ils restent philosophiques et éclairés.

Je viens d’avoir trente-trois ans, et ma vie se divise en deux, les années à Kilby, et celles d’avant Kilby. J’espère qu’il y en aura d’autres après, mais je préfère ne pas trop y croire. Quand l’espoir est déçu, c’est encore plus dur.

Marie possède également un regard pragmatique, philosophique et tout en douleur sur tout ce qui la sépare de son époux.

Ce n’était pas une chose en particulier qui l’empêchait de voir Roscoe – que ce soit en prison, durant le procès, puis au pénitencier – non, ce n’était pas une chose, c’était un tout. Un tout composé de ce dont il avait eu le malheur d’hériter en l’épousant, ce qu’il avait apporté avec lui, son amour immodéré de l’électricité, son entêtement dans sa pratique, sa paresse à la ferme la première année, ses mensonges sur le courant qu’ils recevaient, sa façon d’exploiter Wilson. Toute cette laideur, mais aussi d’une certaine manière, la beauté qu’elle avait naguère vue en lui – la force de défier ses origines, les circuits de son cerveau qui lui permettaient de comprendre un mécanisme aussi nouveau et étranger que la manière d’apprivoiser l’électricité, les traits de son visage, ses mains calleuses, même l’homme qu’il était dans leur chambre, à la fois tendre et ardent. Tous ces aspects lui étaient douloureux.

Enfin, c’est la libération anticipée et le retour à la ferme maintenant florissante qui apporte un certain nombre de révélations surprenantes et la résolution des mystères.

Ce roman est une étude de la croissance d’un homme face à sa responsabilité personnelle. C’est aussi un acte d’accusation et une histoire de triomphe contre le système pénitentiaire et le racisme des États-Unis. Et tout ceci dans un ton qui étonne, loin des élans passionnés d’autres écrivains du Sud. Il est froid, calme et posé à l’image de son héros, comme une réaction et la seule manière de survivre.

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