Assez de bleu dans le ciel – Maggie O’Farrell
Peu d’écrivains contemporains ont le talent de Maggie O’Farrell pour combiner des histoires compliquées et fascinantes avec des personnages qui prennent chair. Assez de bleu dans le ciel provoque le même plaisir que ses romans précédents.
Depuis Quand tu es parti en 2000 (et qui fait partie de mes livres de chevet), les romans de Maggie O’Farrell répondent à l’exigence de ses lecteurs, avec l’impératif le plus élémentaire de la narration : la nécessité de découvrir ce qui s’est passé et pourquoi.
Et quand de nombreux livres avec ce genre d’énergie disparaissent de notre mémoire une fois que la dernière page est tournée, les hommes, les femmes et les enfants compliqués de Maggie O’Farrell restent avec nous.
Mais cette fois l’auteure résout le mystère initial assez rapidement. Elle se concentre plutôt sur les conséquences d’une erreur de jeunesse commise par le personnage principal, Daniel Sullivan.
L’histoire : Une maison à des kilomètres de tout. Autour, rien que l’herbe verte, les trembles aux feuilles chargées de pluie et le ciel changeant du Donegal. Ce refuge, Daniel Sullivan s’apprête à le quitter le temps d’une semaine pour se rendre aux États-Unis, son pays d’origine. C’est l’anniversaire de son père, qu’il n’a pas vu depuis des années.
Dans la voiture qui le conduit à l’aéroport, une voix retentit à la radio : celle d’une femme dont il est sans nouvelles depuis vingt ans, son premier amour.
Les souvenirs se déversent. Replonger dans le passé, comprendre ce qui le pousse à abandonner ceux qu’il aime, Daniel ne pense plus qu’à ça.
Mais il y a son épouse Claudette, star de cinéma fantasque, passionnée, qui a choisi d’organiser sa propre disparition pour échapper au monde. Comment lui révéler l’homme qu’il est véritablement ? Que peut-il encore promettre, lui qui n’a jamais su que fuir ?
Le roman regroupe de multiples points de vue allant jusqu’à quatre décennies pour peindre le portrait d’un homme qui voit sa vie comme une série d’indices.
Chapelet de date de naissance, nationalité, écoles, diplômes, postes, publications : quelle chose étrange que d’être ainsi distillé, comme s’il ne restait au bout du chemin que des coordonnées, des scores, des indices. Voilà donc ce que laissera chacun de nous – une série de données encodées ?
Il avoue :
je songe que ma vie n’a été jusqu’ici qu’une longue série de fuites en avant, de moments d’arrêt, caché, comme les mailles tombées d’un tricot. Selon toute vraisemblance, je suis un mari, un « père, un citoyen, un enseignant, mais à la lumière je suis un déserteur, un imposteur, un voleur, un tueur. Je possède une certaine apparence en surface, mais suis sillonné de trous et de galeries en dedans, comme une falaise de calcaire.
En examinant une multitude de moments importants de la vie de Daniel à travers divers points de vue, O’Farrell esquisse un humain pleinement formé sur la page, avec ses charmes, et surtout, ses défauts.
En effet, ce sont les faiblesses et les manquements de Daniel qui forment l’intrigue. L’effet que cela a sur les autres autour de lui est examiné en détail, des anciennes flammes aux actuelles, de sa progéniture aux connaissances. Le roman qui en résulte est plein d’esprit, d’empathie et de résonance. L’image de Daniel, un être imparfait peut servir de miroir dans lequel nous pouvons tous reconnaître des éléments plus sombres de nous-mêmes et, les accepter.
Maggie O’Farrell dénoue les fils enchevêtrés qui conduisent ses personnages à une confrontation déchirante qui va probablement détruire leur mariage. Cette possibilité est d’autant plus douloureuse qu’elle va faire souffrir tout le monde ; les parents problématiques, les enfants vulnérables, les frères et sœurs aimants mais critiques, qui sont tous des observateurs du drame de Claudette et de Daniel. Ils nous rappellent alors que les liens les plus profonds et les plus cruels prennent leur source dans la famille.
Outre Daniel, l’autre personnage central de l’histoire est Claudette Wells, une ancienne star de cinéma qui renonce à son mode de vie glamour pour le bonheur de l’anonymat dans l’Irlande rurale. Le mariage de Claudette avec Daniel est mis sous un microscope parfois peu flatteur, toujours inébranlable, qui retrouve les fils communs à presque toutes les relations humaines.
Claudette aurait pu être un stéréotype – l’actrice troublée psychiquement, incapable de supporter le fardeau de la renommée (elle est aussi à moitié française, ce qui ajoute au potentiel de cliché). Et pourtant, elle est réelle, ses actions ont du sens pour elle-même et, en quelque sorte, pour le lecteur. La relation improbable de Claudette avec Daniel est toute aussi convaincante. Après que leur mariage commence à se décomposer, elle réagit comme beaucoup de femmes le ferait :
Aucune question. Claudette est sans doute la femme la plus imprévisible qui soit.
« Je ne sais pas quoi te dire », déclare-t-elle en levant les yeux vers moi, et sa voix contient une forme d’étonnement, comme face à une toute nouvelle découverte.
« J’ai du mal à croire », poursuit-elle avec une insistance dévastatrice, « que non seulement tu aies pu faire une chose pareille, mais que tu ne m’aies rien dit. Que tu ne m’aies jamais parlé de tout ça, d’elle. Que tu aies porté cette histoire en toi depuis tout ce temps. Et que tu disparaisses dans la nature, tout à coup, parce que tu…
… parce que tu ne savais pas quoi faire de ta culpabilité. »
Elle me regarde d’un air encore plus consterné que choqué. Puis elle répète : « Je ne sais pas quoi dire. »
Et de comprendre que ce roman n’est pas sur le fait d’être perdu. Il est sur la perte – perte d’amour, perte de liberté, perte de famille, perte de la vie que vous pensiez avoir.
Parce que tout le monde a un manque. Tout au long de ce roman tendre et non sentimental, les personnages titubent, dérivent et se débattent d’un gâchis à l’autre, espérant toujours qu’il y ait assez de bleu dans le ciel.
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2 commentaires
Mimi
Je lis tout ce que cette auteure écrit et j’aime beaucoup ses romans. Ton avis me conforte car ce sera bientôt l’une de mes prochaines lectures …
murielle
Bonjour et bienvenue ! Maggie O’Farrell est toujours aussi formidable :-)