4321 – Des vies et des histoires
La semaine dernière j’ai lu 4321 de Paul Auster. Les trains attendus puis annulés sans annonce ni explication, les heures passées dans des cafés proches des gares, un agacement certain vite oublié, forte de l’habitude des « batailles » quotidiennes. Et l’envie de retourner à la lecture de mes classiques.
Ces auteurs lus au début de l’âge adulte, ceux qui ouvrent au monde, non pas du ressenti mais de l’esprit. Quelque chose proche de l’intellect. Ces auteurs qu’on oublie parfois parce qu’on veut aussi lire de nouvelles choses ou des premiers romans ou les rentrées littéraires. Et pourtant je reviens à ces orfèvres des mots et de la relation humaine, qui savent raconter à merveille la petite histoire, celle qui place les personnages au centre d’un récit. Ces brigailles qui font l’humain.
J’ai donc lu 4321 – publié en début d’année mais pas encore traduit en français (en 2018 chez Actes Sud) : quelques 915 pages…
Le roman commence avec la naissance d’Archie Ferguson le 3 mars 1947 à Newark, New Jersey, fils de Stanley, qui gère une boutique d’ameublement et de Rose, qui travaille pour un photographe.
Voici les quatre versions de l’histoire de Ferguson – ce sera le nom de famille tout le long, nom attribué par accident à un grand-père (nom original : Reznikoff) à Ellis Island par un bureaucrate impatient. Les quatre Archies ont le même point de départ – « les mêmes parents, le même corps et le même matériel génétique » – mais, en traversant l’enfance et l’adolescence, ils prennent des chemins divergents.
Chaque Ferguson vit dans une ville différente du New Jersey et a une configuration différente de famille et d’amis. Au fur et à mesure que leurs histoires se déroulent dans des chapitres différents, ils deviennent des personnes de plus en plus distinctes. L’influence de l’argent, ou l’absence de celui-ci se fait sentir, le divorce, l’éducation et tous les autres facteurs qui façonnent les vies.
Paul Auster propose avec amour, quatre représentations détaillées de l’intensité de la jeunesse – de la maladresse, de la frustration, mais aussi de la passion pour les livres, les films, le sport, la politique et le sexe. L’auteur, surtout connu pour sa concision, son approche européenne de la littérature, ses tours de magie et pirouettes, se rapproche ici de Dickens et de ses fresques.
Bien qu’il y ait des échos de la vie d’Auster dans tout le texte (Paul Auster lui-même est né le 3 février 1947, suggérant que ce personnage n’est pas lui, mais c’est lui quand-même), le poids des détails historiques agit comme une défense contre sa propre existence. La guerre froide, l’exécution des Rosenberg, JFK, Martin Luther King, le début du Vietnam, le massacre de My Lai, les fusillades du Kent State : voici un roman aussi attentif aux détails de l’époque, tel un roman de Philip Roth, Richard Ford ou Jonathan Franzen.
Certes 4321 est long, dense et ardu parfois, mais il possède le sens du mouvement dans le temps – et donne le plaisir de voir les Fergusons grandir les uns à côté des autres. Les entrelacements et les disjonctions font partie de ce plaisir. Quand un F traverse une mauvaise période (« La meilleure chose quand on a 15 ans, c’est qu’on n’a pas 15 ans plus d’un an« ), un autre s’épanouit. Quand un choisit AI Ferguson comme nom de plume, un autre opte pour Isaac Ferguson.
La question que l’on se pose est quand et comment tout cela va se terminer ? Et bien par quelque chose proche d’une pirouette, comme d’habitude. Un Ferguson prendra le relais de l’histoire, des histoires… Et de laisser tout de même la lectrice que je suis, légèrement étourdie par ce roman.
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