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Le racisme et un livre magnifique

On est d’accord qu’on vit dans un monde extraordinaire ? Des actes de bonté, d’humanité d’un côté et de l’autre la bête immonde qui grandit. Voir toute une partie du monde décomplexée sur son racisme, jusqu’à l’afficher, m’effraie et me fait rager. Et dans ce brouhaha, dans ce chaos, il y a les livres. Toujours les livres. J’ai juste fini le roman de Jason Mott, L’enfant qui voulait disparaitre. Et il faut que je vous en parle.

L'enfant qui voulait disparaitreL’histoire :

Au cours d’une tournée promotionnelle pour son dernier roman, un écrivain noir américain fait la connaissance d’un enfant à la peau si sombre qu’on le surnomme Charbon. D’abord rencontré dans la salle à manger d’un grand hôtel, le gamin d’une dizaine d’années réapparaît à chaque étape de la tournée et raconte sa vie, ses parents et leur idée folle : le pousser à devenir invisible pour ne pas avoir à subir le destin que sa couleur de peau lui réserve.
L’enfant existe-t-il vraiment ? Affecté d’un étrange mal qui l’empêche de distinguer la réalité du produit de son imagination, l’écrivain serait bien incapable de le dire. Mais réelle ou fantasmée, cette rencontre va remettre en question son rapport à sa propre histoire, à sa condition et lui faire admettre une cruelle évidence : être noir aux États-Unis signifie vivre sous une menace constante.

Quelle claque ! L’enfant qui voulait disparaitre – Hell of a book en anglais – est un trésor. C’est beaucoup de choses : une critique du monde de l’édition, une comédie bizarre et un tour de passe-passe de métafiction.
Mais c’est surtout une méditation puissante sur le racisme, l’injustice raciale et ses effets sur la psyché humaine.

Deux histoires sont racontées. Celle de l’auteur-narrateur anonyme en tournée pour la sortie de son livre dans plusieurs états américains et celle de Charbon/le Gamin, un jeune garçon qui accepte les injustices de son monde. Le Gamin accompagne le narrateur dans cette tournée de livres parfois mouvementée. À 10 ans, il est « un peu timide et dégingandé ». Il est noir aussi.

« Mais tout cela n’est rien en comparaison de sa peau. Elle est noire. Pas simplement noire, mais du noir le plus profond possible. La peau la plus noire que j’aie jamais vue. Comme un ciel de tempête maritime, couvert de nuages, au cœur de la nuit. Comme de vieilles grottes qui n’auraient jamais été visitées par le soleil. Le genre de noir qui m’incline à penser que ce gamin a dû se peinturlurer le corps. Le genre de noir qui me pousse à me demander si tout cela est bien réel, ou si je suis victime d’un début de maladie oculaire ou d’une crise de nerfs. »

Le truc c’est qu’il est invisible pour tout le monde sauf pour l’auteur. Le Gamin peut apparaître n’importe où : dans la salle de petit-déjeuner d’un hôtel, à l’arrière d’une limousine, dans un aéroport ou un bar. Ils se chamaillent un peu, mais quand le Gamin n’est pas là, il lui manque et il s’inquiète pour lui. Ils s’entendent parce qu’ils sont tous les deux traumatisés par la perte, par la peur et par le fardeau d’être noir « dans un monde qui ne veut pas entendre leurs voix ».

Le chagrin et le deuil forment la plus grande partie du roman. Un enfant noir a été tué par la police. À la télévision, il y a des reportages sur les marches et les manifestations contre le racisme. À toutes les étapes de sa tournée, le narrateur est confronté à des personnes – animateurs de talk-show, lecteurs, son agent – qui lui posent des questions à ce sujet.

En tant que célèbre auteur, on s’attend à ce qu’il dise quelque chose de sage. Mais il est épuisé, son esprit luttant difficilement – ​​souvent en vain – pour éloigner la tristesse d’un autre « enfant noir tué par un flic ».
Sa méthode pour faire à la souffrance des autres est de se retirer dans un état de « rêverie persistante ». Repousser le chagrin, l’intimité et la solitude avec de l’alcool, de l’humour, des gimmicks verbaux et beaucoup d’imagination. Mais ça ne suffit pas. Ça ne suffit plus…

C’est un roman, mais c’est aussi un témoignage qui raconte l’horrible réalité d’une nation où les noirs sont beaucoup plus susceptibles que les blancs d’être arrêtés, fouillés, et tués par la police. C’est un livre sur ce que c’est que de vivre avec ces peurs.

« La Peur. Voilà ce qui était réellement dangereux. Mon estomac était noué et rien n’y faisait. Tout mon corps semblait ne plus m’appartenir. Peut-être ne m’avait-il jamais appartenu. Peut-être qu’il allait me quitter à tout moment et que je ne pouvais rien faire contre ça. Pire, j’étais complètement démuni et impuissant face à cela.
C’était ça, la Peur. C’était ça toutes les peurs que connaissaient les gens d’une certaine couleur de peau qui vivaient à certains endroits. Mais ce n’était pas juste la peur, c’était aussi la vérité. Une vérité qui s’avérait réelle encore et toujours, de génération en génération. Une vérité qu’on se passait dans les contes et les témoignages, de bouche à oreille. Certains corps n’appartiennent pas à ceux qui les habitent. Ne leur ont jamais appartenu, ne leur appartiendront jamais. Une vérité incontournable, horrible, increvable. Celle qui habite des millions de corps qui ne sont pas en sécurité. La Peur.
Elle avait toujours été là, mais désormais je pouvais l’apercevoir. Je pouvais désormais la reconnaître. Et une fois que vous la connaissez, que vous la voyez face à vous, vous ne pouvez plus détourner les yeux. Plus jamais la calmer. Plus jamais oublier[…] »

 

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