Mes amis. Un roman miroir
Un jour férié. Quand on est en petite forme et qu’on présente des tendances asociales, le mieux est de le passer seule, chez soi à lire.
J’ai donc lu.
Mes amis d’Emmanuel Bove. Je ne me souviens plus qui en parlait ni dans quel magazine, mais avec cette simple description : style dépouillé, phrases courtes et humour noir, j’ai voulu le lire.
Victor Bâton vit seul, dans une chambre de bonne miteuse, avec pour unique revenu une pension d’invalidité. Traîne-savates, il erre chaque jour dans Paris dans l’espoir de faire de nouvelles rencontres. La ville le renvoie à son extrême solitude, et agit en même temps comme une ouate protectrice. Mais chaque tentative de lier une relation est un échec. Et pour cause. Obnubilé par sa quête impatiente d’amitié, il fausse tout rapport, et projette sur ceux qu’il croise sa propre mesquinerie.
Dans un style faussement simple, avec un « sens du détail touchant » selon Beckett, Emmanuel Bove dessine le portrait de cet antihéros agaçant autant que fascinant, et dépeint par touches, d’une précision extrême, la misère solitaire, le quotidien, l’absurdité de la condition humaine. D’une grande modernité à sa parution en 1924, ce texte, très salué à l’époque, a influencé beaucoup de nos contemporains.
Victor Bâton a connu la première guerre mondiale, et il en est sorti mutilé à la main gauche, invalide à 50 %. Sa pension lui permet de survivre chichement. Il passe son temps à déambuler dans les rues, dans l’espoir de rencontrer enfin une âme sœur, un ami, ou peut-être même un amour. Il passe son temps à imaginer ces rencontres, dès qu’il croise quelqu’un, il élabore des possibles histoires communes. Mais à aucun moment il n’arrive à se mettre à la place de l’autre, qui n’est qu’une sorte de prétexte à l’imagination, à finalement un retour sur soi.
Je m’assois sur une chaise –une chaise de jardin qui se plie- et je pense à l’avenir.
Je veux croire qu’un jour je serai heureux, qu’un jour quelqu’un m’aimera.
Mais il y a déjà si longtemps que je compte sur l’avenir !
Et c’est en ça que Mes amis est très moderne. Et qu’il résonne en moi. Un désir d’être avec l’autre mais une volonté de rester seul, comme malgré soi. C’est un livre étrange, que l’on peut lire à différents niveaux. C’est en apparence très réaliste, très descriptif, avec des phrases courtes, un vocabulaire simple. Mais c’est en profondeur plus malaisant. Le quotidien est différent, comme un monde parallèle, comme imaginaire, comme une distorsion.
Ce mélange de réel et d’imaginaire, ce mélange d’empathie et de rejet pour le narrateur est une expérience intéressante. Un miroir tendu qui ne joue pas en notre faveur. Je m’y suis vue. Je ne me suis pas aimée…
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3 commentaires
LO
En tout cas, cela me fait plaisir (très) de te lire Muriel. Et aussitôt une image, celle de tes chaussures de sport pour aller courir dans Bayonne. Muxus
murielle
Merci à toi :-)
Fred
Je vais d’abord le lire et commenter ensuite :)