Mural banksy - Femme de ménage
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La femme de ménage

Je suis Carine. Je suis femme de ménage. Je fais partie de celles qui se lèvent très tôt. Je vais dans vos bureaux, vos appartements et je connais l’envers de votre vie. Mais vous me voyez à peine.

Mes journées se suivent et se ressemblent presque. Je me lève tôt, j’attache mes cheveux. Pas de douche ou maquillage. Je vais passer mon temps à dépoussiérer, laver, frotter et ranger. Je m’occuperai de moi plus tard.

Ceci dit, je nettoie surtout les maisons déjà impeccables des classes moyennes. Ma présence semble mettre certains mal à l’aise – la culpabilité ou simplement l’inconvénient d’avoir un poltergeist traversant les lieux.  C’est pourquoi, souvent, vous prétextez un appel ou une course urgente et je me retrouve seule.

Les détails importants de votre vie apparaissent spontanément, sans avertissement. Ce sont parfois des odeurs, des choses importantes ou des détails. Vous laissez vos documents sur votre bureau… des factures, des ordonnances médicales, la boîte de la pilule du lendemain. Votre calendrier indiquant votre planning est sur la porte du frigo. Je vois vos rendez-vous avec votre psy et dentiste. Je vois aussi les photos de vos enfants, les cartes postales, les mots intimes.

Les points de votre vie sont liés en un instant : parfois, vous êtes presque trop faciles à caricaturer. La chambre de votre fils adolescent avec les odeurs de transpiration et de sexe mêlés qui vous agressent quand vous ouvrez la porte, la corbeille à papier pleine de kleenex et préservatifs.

Ou vous qui avez transformé un somptueux salon en un espace de méditation/salle de lecture remplie exclusivement de livres sur le divorce et le bien-être. Je vous imagine quittée par votre mari, bouleversée par ce changement, cherchant à reprendre confiance. Vous donnez le change mais se retrouver seule à 60 ans est un tremblement de terre.

Je ne souhaite pas vous espionner mais parfois je vous découvre par accident. Je dépoussière les étagères et la photo d’un homme scotchée à une déclaration de décès par suicide est cachée sous un vase lourd. Si j’en crois la date de naissance, je suppose que c’est votre père.

Sur la cheminée du salon, dans un petit cadre, derrière de plus grands cadres, une photo de vous très jeune et très belle. Je me demande pourquoi vous vous cachez derrière vos amis et votre famille.

Dans la salle de bains, un post-it sur le miroir, une phrase en mode méthode Coué. Cela me fait sourire et me touche à la fois. Oui, tous les moyens sont bons pour que l’amour se manifeste.

J’ai appris à affronter la saleté sans sourciller. Je traite toutes les surfaces de la même façon. Le siège des toilettes couvert d’éclaboussures non identifiables n’est pas différent de la porte du frigo. Certain.e.s d’entre vous ont des habitudes épouvantables. Mais cela ne me dérange pas plus que ça. J’apprécie même cette impudeur ou cette  confiance en moi. Vos excentricités me surprennent et me rassurent.

Nettoyer les bureaux est une autre histoire. Quelle ironie l’exigence inconsidérée des employés alors qu’ils ne paient pas pour ce service… Laisser un papier avec un « merci de remettre la souris à sa place » est un acte passif-agressif sans nom. Alors je prend plaisir à débrancher le câble derrière votre PC. Juste pour vous perdiez un peu de temps le matin, quand vous passez devant moi, déjà pressé, déjà stressé, en ne me disant pas bonjour. Après tout je ne suis que la femme de ménage.

Je fais le ménage mais ce heures ne me définissent pas. Je suis une ombre, un témoin de votre vie, une invisible. Je connais vos secrets. C’est mon super pouvoir.

 » Femme de ménage pieuse cherche emploi dans institution religieuse pour regarder ménage se faire tout seul par opération du Saint-Esprit »

Pierre Dac

 

 Et un livre beaucoup plus sérieux.

Le quai de Ouistreham par Florence Aubenas.

 

 

 

 

 

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