Une vie comme les autres
La couverture d’Une vie comme les autres d’Hanya Yanagihara est une photographie de Peter Hujar. Il montre un jeune homme, les yeux fermés et la tête appuyée sur sa main, à l’air désespéré. Mais l’homme ne pleure pas. Il jouit. La photo s’appelle Orgasmic Man, prise d’une série réalisée par Hujar en 1969.
C’est une image remarquablement appropriée pour un livre qui a trouvé son public et est devenu quasi culte. Ceci dit, âmes sensibles ou impatientes s’abstenir. C’est un pavé bourré de douleurs, de misère et de violence sexuelle.
L’histoire : Ils sont quatre amis de fac, et ils ont décidé de conquérir New-York : Willem, l’acteur à la beauté ravageuse ; JB, l’artiste peintre, aussi ambitieux et talentueux qu’il peut être cruel ;Malcolm, qui attend son heure dans un prestigieux cabinet d’architectes ; Jude, le plus mystérieux d’entre eux, celui qui, au fil des années, s’affirme comme le soleil noir de leur quatuor, celui autour duquel les relations s’approfondissent et se compliquent cependant que leurs vies professionnelles et sociales prennent de l’ampleur.
Jude, qui est handicapé pour des raisons révélées vers la fin du roman, s’automutile. À travers une série macabre de flashbacks, Yanagihara révèle que, enfant, il a subi des années d’abus sexuels horribles par d’innombrables hommes qui ont payé pour le violer, après avoir été pris en charge par des familles d’accueil, un médecin, puis un moine dépravé. Le roman juxtapose l’histoire de l’enfance de Jude avec les relations adultes qu’il entretient avec ses amis, en particulier Willem. Il se demande si l’amour d’une famille choisie est suffisant pour soulager un traumatisme profond.
Cette fixation sur le trauma et l’abus a rendu Une vie comme les autres classique auprès des lecteurs préoccupés par leur identité et leur santé mentale. Par ceux qui sentent que le monde est un endroit profondément insensible, avec l’amitié comme seul rempart. À sa manière brutale ce roman a pioché dans les peurs et les obsessions de notre époque. Et dans sa réalité aussi. Il est même devenu une pièce de théâtre jouée actuellement à Londres.
Mais Une vie comme les autres est un roman fatiguant pas uniquement pour sa longueur – beaucoup de pages sautées – mais pour ce côté sombre et déprimant. La violence est gratuite, ni belle, ni significative, ni bien écrite. La violence est crue, facile, pendant des pages et des pages et des pages. Les plaintes, les plaintes et les plaintes aussi. Si bien qu’on y devient insensible au mieux, agacé au pire.
Les thèmes importants sont finalement abordés superficiellement pour laisser la part belle aux cicatrices physiques et morales dont Jude s’excuse toutes les trois pages. Il s’excuse auprès de ses amis, de ses parents adoptifs, de Willem – devenu son amant et son protecteur – de son entourage qui l’absout toujours, sans apporter de jugement, toujours avec bienveillance, jusqu’à l’épuisement. Et cette épuisement m’a gagnée. J’ai cherché en vain une bouffée d’air frais. Et j’ai rapidement compris que l’issue ne pourrait être que fatale.
Lire la souffrance purement et pleinement et tenter de rester en empathie épuisent. Jude, qui tient son nom du saint patron des causes perdues, n’espère son salut de rien. Et pour l’écriture répétitive et brouillonne d’Hanya Yanagihara, pas de salut non plus…
« Il songera qu’il est piégé, piégé dans un corps qu’il hait, avec un passé qu’il exècre, et qu’il ne pourra jamais changer. Il aura envie de pleurer, de frustration, de haine et de douleur, mais il n’a pas pleuré depuis ce qui s’est passé avec Frère Luke, après s’être promis de ne plus jamais pleurer. Il songera qu’il n’est rien, une coquille évidée, dans laquelle le fruit s’est depuis longtemps momifié et a rétréci, et qui maintenant n’émet plus qu’un petit bruit inutile. Il éprouvera ce picotement, ce tremblement de dégoût qui l’afflige dans ses moments les plus heureux comme dans ses moments les plus malheureux, celui qui lui demande qui il pense bien être pour déranger autant de gens, pour considérer qu’il a le droit de continuer alors même que son corps lui dit qu’il devrait s’arrêter. »
Et si l’envie de livre un livre sur la souffrance vous tenaille, alors préférez Douleur de Zeruya Shalev…
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