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Écrire,  Questionner

Une histoire de fille sans mère

Les histoires mère/fille ne sont pas toujours formidables. Et par pudeur je ne parle pas vraiment de la mienne. Peut-être aussi parce que c’est toujours mal vu de dire quelque chose de négatif sur ses parents : « On n’a qu’une seule mère, blabla ».

Il m’arrive de rêver d’elle.  Toujours des rêves désagréables emplis de critiques et remarques déplacées, etc. Je n’aime pas ce que je ressens dans ces rêves. Cette sensation me ramène des années en arrière dans cette famille trop toxique pour moi. Mais cela ne dure pas. Mes sentiments d’abord ambivalents sont très clairs maintenant. Ils sont neutres. Je n’ai plus ni colère, ni peine, ni regrets. Juste le fait qu’il m’a fallu trop trop d’années pour me débarrasser de ces blessures d’enfance/adolescence et même vie adulte.

Je ne vais pas m’appesantir sur le passé. Je l’ai fait avec ma psy. Mais disons qu’après avoir fait de mon mieux pour être la fille que ma mère aurait voulue, j’ai « échoué ». C’était voué bien entendu à l’échec. Une enfant hypersensible, introvertie, et avec une touche de dépression déjà très jeune, n’allait pas faire le poids avec une mère drama queen, narcissique et égocentrique dont le mari, l’avait quittée car il n’avait finalement pas envie d’être père.

Certes je lui reconnais des qualités – elle est forte, elle est décidée, elle est courageuse – mais celle d’être mère n’en fait pas partie. Je l’excuse aussi ; elle avait 21 ans quand elle m’a eue. Elle était bien trop jeune. Et elle était bien seule.

Femme assise sur un tabouret, la tête cachée par un nuageCette envie d’écrire sur le sujet vient de ma lecture du jour : Ruquier, vies secrètes par Marcela Iacub

Marcela Iacub s’adresse à Laurent Ruquier :

« Tu l’as fait sur ce que tu ressentais pour elle et sur la manière dont tu la jugeais. Tu as oublié de mentionner les petits abus plus ou moins volontaires qu’elle a perpétrés sur toi et qui t’exaspèrent encore. Et aussi les sentiments que tu lui prêtais, sa personnalité, son immoralité qui est toujours ton repoussoir et qui a fait de toi l’honnête homme que tu t’acharnes à être. »

Il y a quelque chose de très familier dans cette description. Et il m’a fallu un trop plein et la mort violente et brutale de mon père (lui aussi c’est une sacré histoire) pour décider que je devais couper les ponts. S’éloigner jusqu’à ne plus la voir fut extrêmement douloureux. Mais c’était nécessaire pour ma survie. Après une énième « conversation » stérile avec elle, j’ai cru que j’allais me taper la tête contre les murs. Je retournais ma colère contre elle sur moi. Et ce n’était plus possible.

J’ai lu quelque part qu’une famille sur cinq connaît un éloignement, et ce phénomène est considéré comme aussi fréquent que le divorce. Pourtant, très peu de gens en parlent ouvertement. Parce que la stigmatisation est forte. On devient l’enfant ingrat.

Du jour au lendemain j’étais devenue la fille aînée qui n’aime pas sa mère malgré tout ce qu’elle avait fait pour elle… Clairement j’étais la personne à éliminer. Ceci dit je n’avais déjà plus ma place sur les photos. Alors…

Sans doute parce que l’être humain est une espèce tribale et relationnelle, nous compromettons souvent notre santé et nos valeurs pour rester en contact avec ceux qui nous ont donné la vie. Il y a quelque chose de contre-intuitif à ne pas être en contact avec sa famille biologique. La famille comme une valeur refuge alors qu’elle peut être aussi le foyer et l’origine de nos malheurs. Et la mère, parfois trop puissante ou trop centrale pour permettre l’épanouissement d’un enfant est souvent un élément narratif qui va au delà de la fiction.

Par notre désir d’appartenir à une tribu saine, nous pouvons consacrer beaucoup d’énergie à essayer de garder ou réintégrer sa mère dans sa vie ou de la changer. En vain. Elle demeure aux marges de notre identité, à la fois menace pour nous-mêmes et pour notre origine.

J’ai pour ma part tout essayé : les discussions sans jugement, la remise en question personnelle, les lettres manuscrites pour expliquer mes ressentis, mes attentes, mes questionnements. J’ai su rester calme et d’autre fois j’ai pleuré et exprimé ma souffrance. J’ai proposé des milliers de choses. J’ai même fait du chantage. Et puis j’ai compris douloureusement que quoi que je fasse, quoi que je dise ou je taise, cela ne servait à rien.

Ma propre mère était une femme impénétrable dont j’avais besoin de me défaire pour devenir moi-même, mais elle est aussi quelqu’un dont j’entrevois l’image dans mon propre reflet. Peut-être y a-t-il eu une certaine ambivalence et une certaine culpabilité à m’éloigner, mêlées à la colère et à la honte plus sourdes de me sentir abandonnée depuis longtemps.

Mais parfois, la seule façon de survivre est de se séparer d’une situation dangereuse pour le mental et/ou le physique. Grandir et mûrir c’est aussi apprendre à se séparer. À quitter. Il me fallait l’espace pour m’individualiser et d’être moi-même.

J’ai compris aussi, que peut-être, je n’éprouvais finalement plus ou peu d’amour pour ma mère. Je ne la voulais plus dans ma vie. J’étais déjà bien seule moralement dans une famille réduite et compliquée. Autant l’être concrètement aussi. À défaut d’être heureuse, je ne serai pas plus malheureuse.

La bonne nouvelle pour ceux qui se sentent impuissants ou qui attendent que quelqu’un change, c’est que le travail de guérison personnelle marche. Ne plus espérer, ne plus faire d’efforts, tirer un trait (même s’il n’est au début qu’au crayon papier) est le début de la guérison. Elle commence par soi et par le retour à soi-même. Elle est positive. Même si parfois les rêves sont un rappel du passé !

 

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