Labor omnia vincit

Written by murielle

L’expression dit que « l’homme est une créature d’habitudes ». Travailler pour soi c’est se créer des habitudes différentes de celles imposées par un travail salarié. On ne se lève pas toujours à la même heure, on s’accorde des pauses différentes, on peut travailler tard, tôt, la nuit ou le dimanche. En quelque sorte, dire non au patronat c’est dire non à la routine. Être indépendant/fainéant/inemployable est finalement un acte politique, que dis-je, c’est un acte marxiste.

Cela n’empêche que travailler seul doit rester un acte productif; il faut bien payer l’essence pour le yacht. Il faut être efficace. Je comprends l’ironie terrible de parler de Marx pour parler de productivité – c’est à peu près aussi absurde que vouloir des conseils sur la gestion d’une entreprise rentable auprès de Jésus (radical-socialiste) ou sur les relations humaines auprès de Gengis Khan. Cela dit, je ne serais pas étonnée de voir sur les rayons d’un supermarché des livres pseudo-psycho traitant des sujets précédents.

karl-marx-news-of-the-coming-revoltQuoique vous pensiez de ses idées, Marx fut prolifique; un projet inachevé de publier les œuvres complètes de ce dernier et de Friedrich Engels est censé dépasser les 120 volumes. Pourtant, il a travaillé dans des conditions difficiles. Aux angoisses financières chroniques, l’exil et les tragédies personnelles, se sont ajoutées des habitudes de travail spectaculairement stressantes : longues journées et nuits faites de lecture et d’écriture frénétiques, suivies par l’épuisement nerveux et physique, une incapacité totale à respecter les délais, même si le bien-être de sa famille en dépendait. L’historien Sperber dit que « le chaos impénétrable de livres et de papiers … c’était son étude ». Il avait une obsession de l’exhaustivité, combinée avec une incapacité à résister à de nouveaux projets – avant même d’avoir terminé les premiers – et une négligence de l’hygiène personnelle.

Dès qu’il avait écrit quelque chose, Marx avait l’habitude de se lever et marcher autour de la table, de plus en plus rapidement, jusqu’à ce que quelque chose se produise en lui, et qu’il s’assoit pour écrire à nouveau.  Engels reprochait à son ami d’être si facilement distrait qu’il ne réalisait pas son potentiel. Un peu sévère de la part d’Engels étant donné que l’œuvre de Marx s’est avérée modérément influente, mais sa frustration est compréhensible.

lego_karl_marx_and_friedrich_engelsComment dire? Si on soumet ce comportement à une lecture marxiste, on pourrait voir les habitudes de bohème comme un refus de se conformer aux valeurs d’une société qu’il a cherché à transformer. Une vision beaucoup plus simpliste – la mienne – est que certaines personnes créatives ont besoin du chaos pour s’exprimer. Les lieux communs sur la créativité tels que l’importance de l’équilibre, l’absence de distraction, la discipline du corps et de l’esprit, etc. sont clairement minés par les nombreuses créations chaotiques d’hommes tels que Marx . Le désarroi et l’anxiété étaient ce qui a motivé son travail , son absence même d’équilibre et de calme est ce qui a permis son originalité et le volume de sa production.

Bien sûr le manque de sérénité est une manière de vivre moins agréable. Mais c’est le rappel nécessaire que, contrairement aux messages de beaucoup, le travail le plus créatif n’est pas la mise en œuvre méthodique de certaines techniques. Bon sang, comme je déteste les techniques que les (mauvais) conseilleurs donnent. La mise en place d’une routine conduirait à croire que tout le monde serait alors en capacité de créer. La créativité comme travail de la pensée n’est pas nécessairement compatible avec une vie paisible. La créativité n’est pas à la portée de tout le monde. Un bureau ordonné et un calendrier n’entraînent pas le succès. Vous voulez les conseils de créativité selon Marx?  Soyez constamment anxieux, en colère, fatigué et fauché.

Bien entendu j’exagère, il est des créatifs, artistes et artisans, qui ont créé et produit avec un état d’esprit plus apaisé et une vie plus harmonieuse. Quelques contemporains de Karl, comme Dickens et Twain, étaient riches, connus, heureux, talentueux et productifs. Ils étaient également pourvus d’une magnifique moustache. Hasard?…
J’ai donc décidé de continuer de tourner le dos aux habitudes. Finalement mes insomnies, les promenades impromptues à des heures indues, la consommation immodérée de thé, et quelques autres activités que je garderai privées sont des actes marxistes. Je suis persuadée qu’un jour les effets seront révolutionnaires.

8 thoughts on “Labor omnia vincit

  1. Peyo says:

    Une vision alternative du travail créatif qui me plait. Un juste milieu entre le travail torturé et le travail trop discipliné.

    • en quelque sorte, mais un juste milieu je ne suis pas sûre. J’ai appris à aimer mes nuits blanches mais je pourrais les échanger avec plaisir contre une vie plus diurne.

  2. Hello,
    chouettes photos ;)
    Moi je suis très bordélique en fait, ce qui est un vrai drame pour ceux qui m’entourent, mais si je ne laissais pas mon esprit partir dans tous les sens, avec autant de bon que de mauvais, comment pourrais-je avancer ? Ça fait des dégâts parce que je pense que cette attitude est quelque peu « égoïste », alors j’essaie de me soigner un peu, car un peu de rangement dans tout ça n’enlèvera rien à la personne extraordinaire que je suis ;)

    • Si tu t’y retrouves dans ton bazar, ce n’est pas grave.

  3. Amaya says:

    Il y a tellement de pépites dans tes quelques lignes ….que …. je ne sais pas par où commencer :-) au fait ce portait rouge est magnifique
    C’est comme pour faire une valise ; j’essaye de la faire la plus légère et la plus petite , c’est plus pratique mais c’est difficile . Rassembler toutes les idées , n’est pas mince affaire, et je dois être un peu fainéante :-)

  4. « Un travail acharné vient à bout de tout », mais Marx n’a jamais terminé à temps ses travaux.
    Ce qui est amusant c’est qu’il ait été aidé financièrement de bout en bout par Engels qui n’a jamais manqué d’argent et dont le père était un grand industriel anglais du textile, pur produit du capitalisme féroce de l’époque.
    D’aucun accusent Engels d’avoir dénaturé les écrits de Marx après le décès de celui-ci (enterré à Londres).

    • Je ne savais pas pour l’aide financière d’Engels. J’en apprends des choses! Oui, je suis allée sur la tombe de Marx, je dois avoir une photo qui traine quelque part :-)

      • Dans le cimetière de Highgate où est enterré Marx, il y a des tombes extraordinaires qui valent la visite. Notamment une tombe dans un style égyptien-victorien et…des vampires qui attirent les chasseurs de vampires, même si nul n’en a jamais vu :)

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