Écrire

Jacques

Je ne suis plus tout jeune. Je suis malade. Des années d’abus ont eu raison de mon corps. Des années à m’amuser, boire et faire la fête. Des années à trouver le plaisir au fond d’une bouteille. Mais peu m’importe. Rien ne m’importe vraiment. Comme rien ne m’a importé, jamais.

Je ne suis plus tout jeune. Je suis fatigué. J’ai quelques regrets. Je me suis marié, j’ai divorcé. J’ai eu une fille que je n’ai pas élevée. Un enfant, c’était trop de responsabilités que je n’ai pas voulu assumer. Une fille, née de l’espérance de sa mère et de mon ennui… Les gosses, c’est pas pour moi. Qu’est ce que j’aurais pu faire d’une fille? Comment m’en occuper? Et l’aimer? Je ne sais pas ce qu’elle est devenue. Elle a quel âge maintenant? 39, 40 ans? Bon sang que le temps passe vite!

J’ai bien profité tout de même. J’avais du charme et aucun souci avec les femmes. Elles ont toujours aimé ma belle gueule. Elles ont toujours voulu prendre soin de moi, elles pensaient être uniques, être celles qui me changeraient et feraient de moi un homme rangé. Aucune n’a compris qu’on ne change pas un homme. Jamais. J’ai vécu avec l’une, avec l’autre mais je n’ai jamais vraiment aimé. La partie romantique de l’amour m’a assez vite échappée, seule la partie fonctionnelle – ce simulacre de la reproduction – m’intéressait. 

Je ne suis plus tout jeune. Je suis malade. Je sais que je mourrai seul. Je ne me fais pas d’illusions : je finirai sans personne. Mais cette solitude je l’ai cherchée, je l’ai méritée. Il n’y aura personne pour me tenir la main ou pour me pardonner. J’ai voulu la liberté. Je dois être prêt à la payer. Je mourrai à mes torts. Ce sera ma seule générosité.

Il n’y a pas de bons pères, c’est la règle. Qu’on n’en tienne pas rigueur aux hommes, mais au lien de paternité qui est pourri.  Les Mots – Sartre

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