Le confinement, le temps et des livres

Written by murielle

J’ai recommencé à lire beaucoup. Des livres plus ou moins sérieux et même d’auteurs que je n’aimais pas juste pour confirmer ce que je pensais déjà sur eux. J’aurais pu comme Thomas VDB (merci à Véronique pour le lien) relire les gros classiques mais j’ai choisi des livres différents. Une bronchite qui commence tout juste à passer, une chaudière en panne depuis deux jours et le confinement font que le moral en prend un coup et que j’ai besoin de m’évader.

Ceci dit, ma situation est ok et je ne me permettrais pas de me plaindre. Il y a hélas bien pire et je pense à ceux dont les visites sont la seule parcelle de bonheur et qui en sont privés. Aussi, une pensée pour les patients en hôpital psychiatrique qui connaissent déjà le confinement et le vivent peut-être différemment, pour le moment.

J’aurais pu écrire sur des livres sur le thème de l’épidémie mais France Culture, entre autres, l’a déjà fait très bien. Je vais donc plutôt vous parler du changement d’heure. Depuis plusieurs semaines, je suis assez déphasée et j’ai juste réalisé aujourd’hui qu’il allait falloir avancer les pendules d’une heure : cette nuit de samedi à dimanche, on passe à l’heure d’été. À 3h du matin, il sera 4h.

Livres tempsCarl Sagan a dit un jour que « les livres brisent les chaînes du temps ». Il parlait de la façon dont les livres nous permettent de jeter un œil dans le passé, mais les livres peuvent également nous offrir une meilleure compréhension plus précise de la nature du temps, peu importe à quel point cette nature est vraiment bizarre. Alors que le temps glisse, nous sommes peu à le comprendre.

Je n’arriverai jamais à m’en tenir à la science dure pour construire une compréhension du temps. En fait, cela fournirait une image déséquilibrée du temps, laissant de côté le fait crucial que nous sommes des individus subjectifs avec des points de vue uniques.

 

Ce qui m’amène à vous parler d’Abattoir 5 de Kurt Vonnegut. Billy Pèlerin, l’antagoniste du livre, survit aux bombes incendiaires de Dresde en se cachant dans un abattoir – un événement que Vonnegut a vécu par lui-même – forcé d’assister aux événements de sa vie, sans aucun contrôle, encore et encore :

« Écoutez, écoutez :
Billy Pèlerin a décollé du temps.
C’est un veuf gaga qui s’est endormi, Billy a ouvert les yeux le jour de son mariage. Il est entré par une porte en 1955, est ressorti par une autre en 1941. Il est repassé par cette porte pour se retrouver en 1963. Il garantit qu’il a assisté plusieurs fois à sa propre naissance, à sa mort et qu’il rend visite aux événements intermédiaires quand ça lui chante.
C’est lui qui le dit.
Billy ne saisit plus le temps que par saccades, ne décide pas lui-même de sa destination, et les voyages ne sont pas forcément drôles. Il jure avoir constamment le trac car il ne sait jamais dans quel recoin de sa vie il va devoir tenir son prochain rôle. »

Également, Mrs Dalloway de Virginia Woolf. Un jeu lucide et brillant de cette subjectivité du temps – la façon dont il colle ici et glisse là, la façon dont le présent est saturé dans le passé et le futur, la façon dont il se contracte et se développe. L’expérience d’une journée d’une femme à Londres est une expérience de moments qui semblent occuper des siècles et des décennies qui s’effondrent avec une seule pensée. Pendant tout ce temps, Big Ben sonne l’heure, un métronome qui maintient tout ce flux en équilibre.

Et elle se sentait très jeune : en même temps vieille à ne pas le croire. Elle pénétrait comme une lame à travers toutes choses : en même temps, elle était en dehors, et regardait. Elle avait la sensation constante (et les taxis passaient) d’être en dehors, 13 en dehors, très loin en mer et seule ; il lui semblait toujours qu’il était très, très dangereux de vivre, même un seul jour.

 Pour un exploration plus sombre et rêveuse du voyage dans le temps, Le temps n’est rien d’Audrey Niffenegger suit les amoureux du temps, Henry et Clare. Henry est né avec un trouble qui provoque la réinitialisation aléatoire de son horloge génétique, le propulsant dans le temps, le tirant en arrière et en avant dans sa chronologie d’une manière qui ne lui permet pas de contrôler où il va, ni combien de temps il reste.

À présent, j’attends Henry. Il se volatilise malgré lui, sans jamais prévenir. Je l’attends. L’attente, chaque fois, semble durer une année, une éternité. Chaque instant s’écoule lentement, transparent comme du verre. À travers chacun de ses instants, j’entrevois une infinité de moments identiques, prêts à se succéder.

 

Enfin, dans Serpent de lune de Penelope Lively, le temps se joue de l’élasticité de la mémoire, des souvenirs joués et pillés indéfiniment, de différents moments dans le temps et de différents points de vue. «La chronologie m’irrite», explique Claudia. « Il n’y a pas de chronologie dans ma tête. » Et elle dévoile ainsi le contenu de cette tête dans une histoire personnelle surprenante et fracturée, du temps éclaté. Le serpent de lune (Moon tiger en anglais) est une bobine antimoustique qui brûle toute la nuit tout comme la vie de Claudia, vieille dame, ancienne journaliste et historienne, qui revoit dans le désordre ce qui a le plus compté dans sa vie, les années, ou les moments les plus intenses. Mais ce qui résiste le plus aux flammes, c’est son chagrin pour quelque chose qui n’a jamais existé.

N’est-ce pas vrai ? Finalement, les moments que nous regrettons le plus souvent ne sont pas ceux que nous avons vécus mais ceux que nous avons évités. Ce sont les choses que nous n’avons pas faites qui sont sources de regrets.

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