Demain, et demain, et demain : entre jeu et réalité

Written by murielle

Quand Macbeth soliloque « Demain, et demain, et demain », il parle de l’acharnement et de la futilité de la vie.
Quand Gabrielle Zevin emploie ces même mots, elle parle de « la possibilité sans cesse renouvelée d’une renaissance, d’une infinie rédemption. L’idée qu’en continuant à jouer, on peut remporter la partie éternelle, parce que rien ne l’est jamais. »

Il y a des chances et des recommencements infinis. Pas besoin d’être un joueur pour comprendre l’attrait. Le jeu est souvent opposé à la lecture. Mais dans ce livre, Zevin lie ces deux compagnons dans un langage simple et accessible au non « gamers».

Son histoire commence en 2000 quand deux étudiants, Samson Mazer (mathématiques à Harvard) and Sadie Green (informatique à MIT), se retrouvent par hasard dans une gare. Ils ne se sont pas parlés depuis l’enfance. Quand à l’hôpital Sadie rendait visite à sa sœur et que Sam se remettait doucement d’un accident de voiture qui avait tué sa mère et cassé son pied en 27 morceaux. Ils avaient fait connaissance dans la salle de jeux créant un lien grâce à Super Mario Bros.
Et ce lien amical si précieux ne s’est pas délité. Leur rencontre dans la gare était donc inévitable, comme un point de reprise et surtout le début d’une complicité créative prolifique.

C’est l’histoire d’un garçon qui rencontre une fille mais ce n’est jamais une histoire d’amour même si c’est romantique. Quand Sam propose à Sadie de faire un jeu vidéo avec lui, c’est presque une demande en mariage. Ils s’aiment mais jamais de la même façon et jamais au même moment. Leur relation est l’union de deux esprits et mondes qui sont beaucoup plus purs et doux qu’une attirance physique. Comme le dit Sadie « Les amoureux sont courants… Les vrais collaborateurs dans cette vie sont rares. »

Pour Sam, handicapé, le jeu est une liberté, lui faisant oublier son corps cassé et limité.
Quand il expérimente la douleur du membre fantôme, il la conçoit comme une erreur basique de programmation : « Si seulement il avait pu s’ouvrir le cerveau et effacer le code erroné. Malheureusement le cerveau humain est un système aussi impénétrable que celui d’un Mac. »

C’est dans ce genre de moment que Zevin, floute la frontière entre la réalité et le jeu, l’une répondant à l’autre.

Dans une autre passage, l’histoire devient entièrement virtuelle, et nous suivons un nouveau set de personnages qui existent dans un jeu multijoueurs appelé « Pionneers ». Quand la narration s’efface, le jeu se révèle être un moyen de communication et de réconciliation pour ses joueurs dans le réel.

Demain, et demain, et demain est un roman qui tient dans un équilibre léger, charmant mais jamais niais. Le monde de Zevin est riche, texturé et ludique.

Je ne sais pas si elle a lu « Le monde selon Garp» de John Irving. Mais elle l’a recréé quelque part.
Ce sont des romans sur des personnages intensément créatifs, mais qui se débattent et échouent parfois à porter leurs bagages trop lourds : le sexe, la mère, l’argent et l’identité.

Peut-être était-ce cette envie de jouer qui réveillait la part de sensibilité et de fraîcheur qu’on trouve dans chaque être humain. Peut-être était-ce l’envie de jouer qui nous protégeait du désespoir.

Et dans le roman de John Irving :

Si Garp avait eu le droit de formuler un seul souhait, un souhait immense et naïf, il aurait souhaité pouvoir transformer le monde en un lieu sûr.

Les deux romans traitent de la fantaisie et de la cruauté : la création et un traumatisme infantile, une amputation, un accident de voiture mortel. Tous deux sont finalement déchirés par un acte aléatoire d’une violence choquante.

Gabrielle Zevin a peut-être écrit un des romans de la nouvelle génération.

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