Caméra dessinée sur fond jaune
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Léviathan

Vainqueur du prix du meilleur scénario à Cannes cette année, ce drame fonctionne sur plusieurs niveaux. À première vue, il se concentre sur le refus d’un homme têtu, Kolia,  de vendre sa maison familiale, située dans un endroit de choix pour le marché de l’immobilier près de la mer de Barents.

leviathanMais c’est aussi un acte d’accusation dévastateur de la corruption qui imprègne tous les niveaux de la société russe, du gouvernement local à l’église orthodoxe.

Il est dit de Léviathan qu’il est un chef-d’œuvre. Je ne sais pas. Mais c’est un sacré acte polémique contre l’administration actuelle du Kremlin. Son attrait n’est pas seulement dans son éclat mais aussi dans son courage. Une scène montre ainsi des amis qui canardent littéralement les photos encadrées des anciens présidents de la Russie mais sans les portraits récents « on n’a pas le recul historique »…

Le portrait de Poutine, lui, pend au-dessus du bureau du maire local corrompu, qui force Kolia à quitter le domicile familial afin qu’il puisse construire son propre palais sur le site. Un prêtre parle de « réveiller l’âme du peuple russe », alors que leurs esprits gisent écrasés à ses pieds. La corruption est si endémique qu’ils ont même perdu Dieu.

Mais malgré les apparences,  Léviathan n’est pas uniquement une attaque contre Poutine et les institutions russes. Le film aurait été inspiré par un cas dans le Colorado. En 2004, Marvin Heemeyer, un soudeur de 52 ans – victime d’une expropriation injuste – a conduit un tank blindé dans la ville et détruit une douzaine de bâtiments municipaux avant de se suicider. Initialement Zviaguintsev voulait raconter son histoire puis le temps a passé, l’histoire a évolué et s’est terminée en Russie.

Léviathan n’est finalement pas une histoire si extraordinaire. Elle me rappelle entre autre le film Chute Libre (Falling Down) avec Michael Douglas. Ce sont des histoires dont on pense qu’elles ne peuvent pas se produire dans un pays démocratique. L’histoire de quelqu’un dans le désespoir. Personne n’écoute. Personne ne tient compte de ce qu’il dit. On est entre la colère, la résignation et la rage.

extrait-leviathan

Une fois pour toutes, ce film n’est pas à propos de la Russie. Ses thèmes sont universels, son énigme éternelle. Même ce qu’il dit sur le patriotisme, et la façon dont il peut être canalisé par les figures d’autorité à des fins horribles, l’accaparement des terres, le désespoir des hommes, tout ceci est applicable dans le monde entier.

Andrey Zviaguintsev sait ce que c’est de ne pas avoir une voix. Maintenant âgé de 50 ans, il a servi dans l’armée pendant deux ans après l’école secondaire, puis a étudié le théâtre à l’université. Mais pendant une décennie, les offres de travail n’ont pas afflué. Il a travaillé comme balayeur de rue avec pas même de quoi acheter un ticket de bus. Puis, au tournant du siècle, la chance a tourné, il a dirigé des soaps et des séries policières à la télévision. Il était si bon qu’il pu trouvé les fonds pour faire un drame familial venant de nulle part et prendre le premier prix au festival du film de Venise en 2003 avec Le Retour. Le Bannissement (2007) et Elena (2011) ont suivi.

Léviathan est son film le plus accessible à ce jour, en partie à cause de l’humour et de la forte teneur en alcool dans son sang. Ainsi, l’idée de son personnages pour fêter un anniversaire est d’aller près un lac désert avec femmes et enfants, de se souler et de sortir les fusils. Ils titubent complètement ivres, se mettant en garde les uns les autres de ne pas boire autant. « Est-ce que tu peux conduire? » une femme demande à son mari, alors qu’il titube, quasi paralytique, vers la porte. « Bien sûr, » répond-il. « je suis agent de la circulation. »

Alors voilà. C’est un peu ça Léviathan, quand quelque chose est tragique, il faut y ajouter de la comédie.

6 commentaires

  • burntoast4460

    J’avais bien aime « Chute libre » avec Michael Douglas. Aux USA, c’est assez courant ces colères rentrées vis a vis de la société, qui débouchent sur des tueries. Cela fait penser au phénomène de l’Amok, étudié par les psychiatres, et fort bien rendu par Stephan Sweig dans « Amok » (entre autres).

  • Laurent

    Je ne pensais pas que c’était ton genre de film. Mais ta critique est convaincante parce que parmi ce que j’ai lu et qui parle d’une attaque en règle contre la Russie, il y a quelque chose de manquant. Oui on voit les présidents russes et ça se passe là bas, mais comme tu le dis c’est d’bord inspiré d’une histoire vraie qui se passe aux USA et comme Nathalie le dit, c’est une histoire universelle. La rage, la colère, le sentiment d’injustice, la loi du plus fort sont des choses qui se passent partout. La seule différence c’est le degré d’alcoolémie dans le sang.

  • Nathalie

    Je l’ai vu hier soir et je l’ai trouvé très fort. Ça se passe en Russie mais c’est vrai que ça pourrait se passer presque n’importe où. Il suffit de vivre dans un pays où il y a de la corruption et où la terre devient un bien convoité par les puissants. C’est partout…
    Y’a une rage qui naît de l’impuissance et qui touche tout le monde. C’est un film super!

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