10:04

Written by murielle

La rentrée littéraire n’en finit pas de rentrer et le temps manque pour parler de tous les livres lus et aimés mais je m’accroche. Aujourd’hui c’est un roman américain qui m’a posé question, 10:04 de Ben Lerner.

1004_ben_lernerL’histoire : À New York, tout le monde se prépare à la tempête du siècle. Mais la tempête fait déjà rage sous le crâne de Ben : son deuxième roman n’avance pas, il apprend qu’il est peut-être malade, et sa meilleure amie voudrait un enfant de lui. Dans l’ambiance électrique de la ville, Ben explore la Zone, cet espace où l’art et la vie, le réel et la mémoire ne cessent de se répondre à travers des images obsédantes : l’explosion de la navette Challenger, l’Angelus Novus de Klee ou le squelette d’un dinosaure.

Ben est un écrivain célèbre, trentenaire, qui apprend qu’il souffre du syndrome de Marfan, une maladie génétique rare, dégénérescence myxomateuse de la valve aortique :

Quoi qu’il en soit, je devais à présent vivre avec ce poids : il y avait un risque non négligeable que la plus grosse artère de mon corps lâche à tout moment – événement que je visualisais, de façon erronée, tel un tuyau d’arrosage fouettant l’air, aspergeant mon système sanguin de sang ; avant même que je touche le sol, mon regard se fait distant comme si, etc.

La personne à ses côtés est sa meilleure amie, Alex, 36 ans et désespérée d’avoir un enfant.

 Son soutien était moral et pratique mais aussi intéressé car Alex, peu de temps auparavant, avait suggéré une fécondation avec mon sperme. Non, comme elle l’expliqua sur-le-champ tant bien que mal, in copula, mais par insémination intra-utérine parce que, je cite, « ce serait trop bizarre de te baiser.

La perspective de devenir un père prend le pas et le rend un peu plus mature. Les catastrophes des dernières années comme le 11 septembre et l’explosion de la centrale nucléaire de Fukushima, sont autant de raisons pour Ben d’apprendre à négocier son existence et celle de son futur enfant dans un monde terrifiant.

Tout ceci en « faisant le tuteur » pour Roberto, un enfant hypersensible de 8ans, élève dans la classe de CE2 de son ami Aaron à l’école bilingue de Sunset Park.

Ben – le narrateur comme l’écrivain – fait partie de ces auteurs qui se mettent à nu avec plus ou moins de brio pour révéler leurs faiblesses et insuffisances, tel un Knausgaard ou un feu Foster-Wallace. Son constat d’échec personnel, effectué avec une ironie toute new-yorkaise, est presque une fierté. Un mécanisme d’auto-défense et de justification pour contrer toutes les critiques qu’on pourrait lui porter en décrivant lui même son nouveau projet comme « encore un roman sur l’imposture – qu’importe l’idéalisme meurtri dont il découlait. »

C’est un livre au bord de la fiction, où il est difficile de mesurer la part d’autobiographie de la part romancée. Et finalement peu importe de savoir ce qui est réel ou pas. Sa verve et  sa vulnérabilité sont bien plus importantes et sonnent vrai :

…j’aimais la poésie en partie parce que les distinctions entre fiction et non-fiction y étaient non avenues, que la correspondance entre texte et monde importait moins que les intensités à l’œuvre dans le poème lui-même, que les possibilités de sensations s’ouvraient dans le présent de la lecture.

C’est un homme qui se nourrit des mots et conversations et se plaît à faire des phrases aux tournures précieuses et agaçantes, parfois difficiles à lire et dépasser.

Mais c’est aussi ce qui rend ce roman intéressant. Parce qu’il ressemble à une oeuvre poétique, un collage qui combine les langages et les styles. Poussé par le désir d’exprimer une expérience intérieure et d’explorer sa relation complexe entre lui et les autres, Ben Lerner est passé de la poésie à l’écriture d’histoire.

 

1 thought on “10:04

  1. Audrey says:

    J’aime beaucoup ta façon de commenter les livres. On voit que tu les as lus, digérés et aimés. Et tu donnes envie de les lire. Merci

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