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L’étranger ou l’existence aliénée

On peut mesurer le succès d’un livre – et de son auteur – aux ventes qu’il suscite, au nombre d’articles écrits ou au nombre de fois qu’il est volé. Un article récent dans l’Independent explique que le roman le plus volé, particulièrement par les garçons de 15-16 ans, est L’étranger d’Albert Camus.

Certainement parce qu’il n’est pas bien épais mais aussi parce que c’est un des classiques avec une résonance actuelle. Un de ces romans/essais qui a permis, et qui permet encore, de se retrouver dans un personnage, comme une résonance dans un moment de trouble.

Il est l’exploration de l’existence aliénée et du mal-être dans une société qui se désagrège. Il est l’histoire de ceux que beaucoup de jeunes gens peuvent vivre maintenant. Il raconte un personnage du passé, mais aussi du présent.

L'étranger - Albert CamusL’histoireCondamné à mort, Meursault. Sur une plage algérienne, il a tué un Arabe. À cause du soleil, dira-t-il, parce qu’il faisait chaud. On n’en tirera rien d’autre. Rien ne le fera plus réagir : ni l’annonce de sa condamnation, ni la mort de sa mère, ni les paroles du prêtre avant la fin.

Comme si, sur cette plage, il avait soudain eu la révélation de l’universelle équivalence du tout et du rien.

« Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. » Avec une telle phrase pour amorcer une histoire courte et intense, la description du non-sens du monde ne peut que toucher les jeunes dans le monde entier. C’est le manifesto parfait d’un écrivain pour plaire à une jeune personne en devenir.

Albert Camus a tout pour plaire. Beau dans des photos atmosphériques en noir et blanc, qui écrit des choses sérieuses d’une manière qui était vraiment « cool », il était un outsider, un rebelle avec ses cols retournés qui ne faisait pas partie de la foule.

Il a ainsi écrit le roman rebelle original sur la confusion et l’aliénation d’un jeune homme dans un monde malhonnête et aléatoire. Écrit dans les années 1940, il a été le prédécesseur d’une série de rebelles et d’outsiders. Des stars de cinéma comme James Dean et Marlon Brando ont dépeint les solitaires au bord de la société, pas même sûrs de contre quoi ils protestaient.

– Hé Johnny, tu te rebelles contre quoi ? demande t’on à Marlon Brando dans l’Équipée sauvage
– Qu’est-ce que tu me proposes ?

Vouloir être quelqu’un qui n’est pas voulu. Être étranger c’est avoir une identité expérimentale. Le succès de Camus reflète sa capacité à être encore moderne. Si L’étranger a marqué son époque et à marque encore maintenant, c’est par son originalité et son universalité. Il était et reste le premier véritable modèle pour le jeune adulte solitaire.

Camus et son étranger représentent une attitude impassible, directe et dépassionnée. Mais aussi un sens de l’immédiateté.

L’étranger de l’histoire est un jeune homme qui commet un crime non prémédité dans un moment d’aberration, puis est lentement et méthodiquement condamné à mort pour cela. Mersault, le tueur qui n’aime pratiquement rien, semble dire Camus, n’a pas beaucoup plus de sens que la procédure judiciaire qui apporte toutes sortes de raisons pour le tuer. Les sentiments de Mersault envers sa mère pèsent plus lourdement dans la balance de la justice contre lui que le fait que, dans un moment d’ivresse et étourdissement, il a tiré sur un Arabe.

Il peut y avoir une justice poétique, bien que cela soit futile. Incidemment, le sort de la famille arabe est complètement négligé dans la procédure.

Tous les personnages rencontrés dans la première partie de l’histoire – le propriétaire et même un client, un restaurant où il mange, les gens à l’enterrement de sa mère, les gens qui vivent dans le même bâtiment – ont un rôle à jouer dans le procès.  Enfin, l’histoire est racontée à la première personne, de sorte qu’il n’y a rien entre le lecteur et Mersault que le récit de sa vie de condamné indifférent et insensible. Jusqu’à la fin, très peu de choses comptent pour lui et même alors, il maintient une étonnante objectivité.

Albert Camus

Camus a décrit Meursault comme « un homme qui accepte de mourir pour la vérité » et l’a caractérisé comme « le seul Christ que nous méritons ».

JEAN 19:16–30 :

La mort de Jésus
Après cela, Jésus sait que tout est fini. Tout ce qu’on lit dans les Livres Saints doit arriver. C’est pourquoi Jésus dit : « J’ai soif. »
Il y a là un récipient plein de vinaigre. Les soldats trempent une éponge dans le vinaigre, ils mettent l’éponge au bout d’une branche d’hysope et ils l’approchent de la bouche de Jésus. Jésus prend le vinaigre. Ensuite il dit : « Tout est fini. » Il baisse la tête et il meurt.

L’étranger :

Et moi aussi, je me suis senti prêt à tout revivre. Comme si cette grande colère m’avait purgé du mal, vidé d’espoir, devant cette nuit chargée de signes et d’étoiles, je m’ouvrais pour la première fois à la tendre indifférence du monde. De l’éprouver si pareil à moi, si fraternel enfin, j’ai senti que j’avais été heureux, et que je l’étais encore. Pour que tout soit consommé, pour que je me sente moins seul, il me restait à souhaiter qu’il y ait beaucoup de spectateurs le jour de mon exécution et qu’ils m’accueillent avec des cris de haine.

 

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