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Le Tour de France – Le vélo et quelques livres

Je vous ai sans doute déjà parlé de mon amour du vélo et de la littérature. Et là c’est encore l’occasion. Le Tour de France est terminé, avec encore une fois des duels au sommet, un peu de suspense et un tour plié sans secret après un contre la montre dévastateur.

Le cyclisme… Quel sport ! Il est celui qui suscite toutes les émotions, tous les sentiments. C’est le sport par équipe et individuel à la fois. Il est porteur d’ambitions, de victoires, de sacrifices, de risques, d’efforts toujours, de performances, de tricheries aussi. Il est aussi noble que populaire. Il est intergénérationnel.

Le vélo est le sport qui ressemble le plus à la littérature. Il est aussi celui qui a inspiré de belles histoires. Le vélo et la littérature ne sont plus des sujets frivoles. L’auteur et le lecteur ont quelque chose du sportif, pour la joie qui le pousse en avant, absorbé par les pages ou par une course. 

L’écriture ou la vie titrait Jorge Semprun. Voilà encore un point commun avec le sport. Écrire mais aussi courir pour vivre, pour exister, pour que le sang circule et continuer d’alimenter un cœur qui pourrait défaillir sous le poids de la vie et de ses drames. 

Écrire mais aussi courir – pour sentir l’adrénaline, que chaque effort mêle à l’allégresse de se dépasser, et le bonheur d’aller au-delà de soi et de l’humain. 

C’est peut-être pour cela que l’écrivain Bernard Chambaz a décidé de prendre son vélo et parcourir les États-Unis plusieurs années après la mort de son fils, comme si la route, déliant ses muscles, allait également libérer sa plume et enfin alléger son cœur. Dans Dernières nouvelles du martin-pêcheur, le vélo et l’écriture allaient devenir les ressorts qui permettant d’échapper à l’abîme. 

« Depuis tout ce temps, un coin plus ou moins obscur de ma conscience me pousse à remonter le plus souvent possible sur mon vélo. Je crois avoir compris pourquoi. Les efforts prodigués sur la route, la dépense physique m’ont maintenu en vie il y a 19 ans. Rouler, c’est aller de l’avant. Tant qu’on pédale, on est encore vivant. » 

Le cyclisme et le Tour de France furent l’objet mais aussi les thèmes fascinants pour les écrivains. Le cyclisme est un humanisme qui ouvre la porte du rêve et de l’avenir. Marc Augé l’a bien compris, lui qui a écrit Éloge de la bicyclette.  

La bicyclette a une dimension mythique qui est à la fois individuelle et collective. Le vélo nous apprend à composer avec le temps avec l’espace. 

C’est sans doute cette lutte de l’homme contre soi-même, la nature, les éléments et les autres hommes qui fascine toujours. Et de revenir au temps d’un lexique fleuri et si évocateur grâce à Albert Londres et Antoine Blondin : sucer la roue, becqueter de l’aile, finir en pédalant de l’oreille, faire le coup de la mandoline pour enrhumer ses adversaires et faire rougir les onze dents… 

Antoine Blondin en moto sur le Tour de France
Antoine Blondin

Antoine Blondin. Impossible de citer une seule œuvre de l’amoureux insatiable de la petite reine. Simplement un extrait de Tours de France pour comprendre : 

L’homme se distingue de l’animal en ceci qu’il est doué d’arrière-pensées. Ayez confiance en lui : on peut exiger à l’intérieur ce que l’on ne voit pas à la devanture. Quand Guillaumet, en perdition dans la cordillère des Andes, déclara à son retour : « Ce que j’ai fait, une bête ne l’aurait pas fait », nous le croyons d’autant plus volontiers que ses actes sont chargés de sens et de prix. La signification est un des privilèges de l’espèce. […] Ce Vénitien se promenait avec un quart d’heure d’avance sur tout le monde. Les premiers lacets du Tourmalet lui furent pénibles, les seconds désastreux, les suivants fatals. […] 

Une gloutonnerie l’habitait, qui réclamait son dû sous forme de limonade et de bourrades efficaces. Les allègres indigènes, joignant l’utile à l’agréable, se prodiguaient autour de lui et l’escortaient au pas. On eût dit l’image de la mendicité. L’instinct de réclamer était ici plus fort que celui de se donner. Toute pudeur et toute vergogne étaient bannies. 

On ne peut pas parler de vélo et de cyclisme sans citer celui qui en fut un des reporters les plus honnêtes et passionnés, Albert Londres dans Tour de France Tour de Souffrance : 

L’aventure peut rapidement prendre une sordide tournure. Chloroforme, cocaïne, absurdité de certaines règles et pilules en tous genres rythment leur quotidien et s’avèrent nécessaires pour poursuivre les quinze étapes qui n’ont, selon les frères, rien à envier aux quatorze stations du chemin de Croix. La blasphème est là, ces hommes ne redoutent plus rien, n’invoquent plus personnes et ne peuvent compter que sur deux choses : eux-mêmes et leurs vélos. Que Dieu leur vienne en aide…

Grâce à l’initiative des Éditions du Sous-Sol, dirigées par Adrien Bosc, l’écrit culte du journaliste/écrivain/coureur cycliste et champion d’échecs Tim Krabbé, Le cavalier sera enfin publié pour la première fois en France en Juin. Ce court texte est à la littérature néerlandaise ce que Le Paris-Roubaix est au vélo : un classique. 

Publié en 1978 et vendu à plus de 100.000 exemplaires au Pays-Bas, il est considéré comme un chef-d’œuvre de la littérature sportive. Dans un récit-odyssée de 150 pages pour 150 kilomètres parcourus, Tim Krabbé raconte à la fois les atermoiements du cycliste et alterne dans son récit les anecdotes sur les grands champions et l’histoire de la Grande Boucle.

L’auteur de romans noirs Didier Daenincx a, dans La grande échappée, écrit sur le Tour au temps des équipes régionales et de l’équipe nord-africaine des années 40 et 50. C’est une nouvelle qui bien entendu mêle histoire vraie et politique dans son style ironique.

On dit que ce dimanche 4 mars 1956, deux champions refusèrent de s’arrêter après avoir franchi la ligne d’arrivée et qu’ils disparurent vers les hauteurs d’Alger. On rapporte qu’ils furent aperçus, pédalant de concert, à Ouargla, à El Goléa, à Timimoun, à Bidon Cinq et même jusqu’à Tamanrasset.

Jean Bernard Pouy, autre grand nom de la littérature noire a parlé de l’échappé. 54X13 ou le geste héroïque d’un anonyme Dunkerquois du peloton, Lilian Fauger, champion d’un jour. 

54×13 c’est, accessoirement, une mesure du développement pignon-roue sur le vélo. C’est déjà un bon coup de pédale, du souffle, de l’endurance et des jambes. 

L’échappée comme le moment le plus intense et porteur d’une vérité humaine : celle d’exister et d’être unique. Et le lecteur de vivre pour celui qui décide dans un élan fou de se lancer seul vers la victoire. Avec l’espoir ténu d’arriver au bout, protégé peut-être par une équipe qui ralentira le peloton.

Ou alors la contre échappée en refusant de participer à la chasse, en croyant aux dieux du sport et en ayant, ne serait-ce qu’un moment, son nom cité par les commentateurs. L’envie de ne pas être un anonyme perdu dans la marée humaine colorée des maillots sponsorisés où le coureur est plus souvent une marque qu’un nom : 

Dans la dix-septième étape du Tour de France, Lilian Fauger, un jeune coureur dunkerquois, s’échappe contre toute attente du gros de la troupe avec une telle hargne qu’il va faire le trou. Alors Lilian gamberge : si c’était son jour, son étape ? Et quand derrière, la chasse est lancée, il n’est plus qu’un fuyard, un évadé qui voit revenir sur ses traces une sorte de peloton d’exécution. 

À quoi pense un homme seul dans l’effort et la douleur qui monte ? Quatre heures de l’histoire d’un coureur cycliste. Quatre heures… une vie… 

Qui connaît les courses cyclistes, sait combien ce sport est injuste. 

Don deLillo disait : Les hommes aiment qu’on leur raconte la défaite, l’échec, l’effondrement, la perdition d’un autre ; cela les rend plus forts.

Sans doute parce que la victoire n’apporte pas les mêmes leçons de vie. 

Seuls quelques-uns connaîtront la gloire – mais aussi la déchéance et même la mort – sur des routes dessinées par des hommes impitoyables motivés par la cupidité médiatique et financière. Comment ne pas penser à tous ces équipiers qui vivent le calvaire de la course sans en connaître la félicité. 

C’est ce que décrit Jean-Noël Blanc dans Le nez à la fenêtre. Maurice Bénadour, dit Momo, n’est pas un seigneur du Tour, il n’a pas pour vocation de gagner des étapes, mais d’aider son chef de file à endosser le maillot jaune. C’est un porteur d’eau. À 36 ans, au bord de la retraite, il sait à quoi s’en tenir : « Je suis le plus vieux de l’équipe, le plus petit de la bande, le moins glorieux de tous. » Et de nous raconter l’envers du décor : l’oreillette qui transmet les instructions, le ravitaillement, la camaraderie et les coups tordus, le bruit infernal de l’hélicoptère et des motos, les bluffs, les chutes tant redoutées, les comportements stupides de certains spectateurs… mais aussi les encouragements des enfants. Dans l’enfer de l’Izoard, plus de bonheur ni de douceur. Le cyclisme tue. 

Enfin et ceci est mon coup de cœur éternel, les dessins, textes et l’humour léger mais jamais méchant de Sempé dans Raoul Taburin et dans ses dessins pour le magazine The New-Yorker : 

« Raoul Taburin, l’illustre marchand de vélos de Saint-Céron, cache un terrible secret. En dépit de multiples tentatives, il n’a jamais réussi à tenir sur une selle. Son talent de réparateur lui vaut cependant de solides amitiés : Sauveur Bilongue, vainqueur d’une équipe du Tour de France, le père Forton qui lui cédera son fonds de commerce et surtout Hervé Figougne, le célèbre photographe. Mais Raoul va-t-il accepter de poser pour lui sur son taburin ? N’est-ce pas la chance inespérée d’être à la hauteur de sa réputation ? » 

La parole de fin sera pour le cycliste néerlandais Joop Zoetemelk qui fait partie de la légende du Tour avec seize ans de course, le maillot jaune en 1980, aucun abandon et un seul rendez-vous manqué en 1974. 

À l’arrivée au Mont Ventoux en 1970, le cycliste est interviewé après sa victoire d’étape et répond à la question «comment avez-vous fait?» par le superbe : 

« J’ai pédalé, j’ai pédalé, j’ai pédalé, et j’ai gagné » 

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