Questionner,  Râler

Une année excitante

Je ne sais pas vous, mais moi je pense que 2015 va être une année excitante. Pas formidable, pas positive mais excitante oui. Je le sens dans mes os. Ça commence déjà. Il suffit de lire les journaux pour comprendre que Michel Houellebecq a réussi son coup. Il est partout. Et lu ou pas, son nouvel opus fait réagir.

Avant même Noël, tous les journaux ont parlé du livre Soumission. Il n’y avait pas encore grand chose à en dire – à part le résumé de l’histoire – mais qu’importe. En mettant islam, élections, gouvernement et France dans un article, ça allait faire des clics. Et ainsi donner l’opportunité aux acharnés anonymes du clavier d’y aller de sa critique, de son offuscation, et de son commentaire enragé/zemmourien sur ce Houellebecq de mes deux qui prédisait un futur sinistre pour « not’ pôvre France »…

Donc dès le 7 janvier on va s’amuser à lire les pour, les contre, les cris « au génie » et les « pendez-le ». En ce qui concerne mon opinion, vous en saurez plus le 7.

Mais ce n’est pas tout. Il va y avoir de la belle littérature dans les mois qui arrivent. 2014 était pas mal et 2015 continuera sur sa lancée. Les films annoncés donnent déjà envie de s’abonner à une salle de cinéma, si possible dans un endroit qui ne vend pas de pop-corn ni de soda version XL. Il y a aussi de beaux spectacles en perspective, ici et ailleurs. De jolies expos et de la musique, encore de la musique. Même la télé va nous ravir : Game of Thrones saison 5, anyone?

Et l’apocalypse annoncée, c’est pour quand? Et bien, elle est déjà là depuis plusieurs années. Elle est venue insidieusement pour certains et brutalement pour d’autres. Elle s’est affublée de plusieurs noms qui font la une des média : « Crise », « Catastrophe », « Ebola », « Nouveaux chiffres du chômage », « État Islamique », « Populisme », ad nauseum…  Elle est dans les massacres, les terreurs, les brutalités et les enlèvements.

Elle est aussi dans La violence des riches, celle qui distingue les classes sociales, appauvrit les pauvres et enrichit encore plus les riches. Elle est dans le spectacle affligeant des politiques qui ne quittent jamais la scène, incapable de comprendre que leur heure de gloire est terminée, trop habitués aux dorures et aux avantages indécents. Trop ancrés dans une tradition bien française de rester jusqu’au bout parce qu’ils savent qu’ils pourront revenir. Et de voir toujours les mêmes, avec une nouvelle patine, faisant la couv’ des magazines. Que c’est triste un peuple sans mémoire.

Elle se manifeste dans la vulgarité la plus crasse, le racisme, l’homophobie, le sexisme qui se déversent par flots pour noyer toute pensée un peu nuancée. Elle est dans le refus d’un maire de marier les homosexuels ou d’inhumer un bébé rom dans sa commune. Elle est dans le mobilier urbain anti-SDF. Elle est dans les troubles mentaux en hausse, dans la solitude. Elle est dans les réactions égoïstes où on se recentre sur son petit monde quitte à ignorer la détresse de l’autre voire même à la dénoncer ou la rejeter. Elle est dans le « nous » et le « eux ».

Elle est enfin décrite dans un livre formidable de Florence Aubenas : En FranceL’apocalypse est déjà là, quand les plus faibles, les plus touchés, ont perdu jusqu’à la force de lutter. Parce qu’une révolution ou simplement le combat quotidien demande une énergie et une passion que beaucoup ont perdues. Comme le dit la journaliste : Quand les gens se plaignent encore, ils expriment des doléances, cela a un côté positif. Quand ils ne disent plus rien, c’est vraiment le désespoir qui gagne. 

Lisez la. Parce qu’avec délicatesse et respect elle a dessiné un portrait juste et difficile de cette France qui souffre, qui se bat ou qui abandonne et qui parfois malgré tout – en dépit de tout – offre une lueur d’espoir quand Joe et Marie se marient.

Et en attendant des jours meilleurs, je continuerai à garder les yeux et l’esprit ouverts, à lire, voir des films, des expositions, à écouter de la musique, à chercher la culture et l’ouverture. Parce que je veux du pain mais aussi des roses.*

Oui, je suis sûre que cette année sera excitante. Même si je préfèrerais qu’elle soit belle.

 

* et de vouloir rendre hommage à des femmes comme Rose Schneiderman

21 commentaires

  • Benoit

    Je relis cet article et je me dis qu’il y a quelque chose de prophétique dedans. Pas positive, pas formidable mais excitante. C’est un début d’année qui restera dans les mémoires. Un mois de janvier meurtrier, cruel et forcément excitant. Oui.

    • murielle

      Oui. Je parlais d’année excitante et voilà que ça commence déjà. Et puisqu’il m’est reproché mon choix « vocabularistique », le mot « excitant » est pertinent : augmentant le niveau d’éveil d’un individu (Larousse).

      • Peyo

        Oui j’avais trouvé le choix du mot excitant comme une chose positive et n’avais pas du tout compris le sens que tu y mettais. Merci de repondre à mon mail et de m’expliquer. Du coup, c’est un billet presque divinatoire et plus philosophique que je ne l epensais.

        • murielle

          Pas de souci. Je suis très – trop – à cheval sur le choix des mots et j’essaie au maximum d’employer le sens premier. Les écrits restent et je ne veux pas me relire un jour et ne pas me comprendre ou regretter la tournure d’une phrase. Mais quand il y a incompréhension c’est ma faute également, ça veut dire que je n’ai pas su m’exprimer clairement.

  • Nathalie

    Vivement ta critique de Houellebecq. Aujourd’hui il n’y en avait que pour lui partout. Toutes les radios, tvs et journaux ont parlé de lui, de l’islamophobie et quasiment tous les intervenants et soi-disant spécialistes n’avaient pas lu le livre. Y’avait de quoi en rire.

    • murielle

      La critique sera sur Eklektika demain et ici plus tard. Je l’ai faite ce week-end avant que les revues soient faites pour ne pas être influencée par ce qui pourrait être dit ou écrit. Et bien m’en prit parce que oui aujourd’hui tout le monde s’est déchainé. Le pire c’est ceux qui parlent d’islamophobie sans lire le livre et jugent l’auteur et ses précédentes déclarations mais ne parle pas du roman en tant que tel. C’est toujours le même débat : juger l’auteur en tant qu’homme ou en tant que romancier. Comme il y a avec Gide. Comme il pourrait y avoir avec des dizaines d’artistes…

  • Peyo

    Bonne Année! C’est difficile de trouver un équilibre entre les actualités qui sont toutes terribles et catastrophiques et la volonté personnelle d’être heureux. Ce sera mon défi cette année.
    Pour Michel Houelebecq j’attends de lire ton avis avant de me décider. J’ai quand même lu celui de Bernard Pivot qui est positif.

  • Isabelle

    Bonsoir Murielle. C’est un très beau texte qui effectivement pourrait être presque lu comme un discours ou un cri du coeur. C’est toujours important de dire encore et encore que derrière les chiffres ou les intitulés il y a des hommes et des femmes. Derrière le mot SDF, il y a un être humain qui a connu une apocalypse dans sa vie pour en arriver à ce stade ; une maladie qui n’a pas été diagnostiquée, un divorce, un problème personnel, une maladie psychique, des dettes, un passé à fuir, une envie de mourir, ou le désespoir. On les dépouille des droits les plus basiques, celui de dormir ou de se reposer. Il y a une inhumanité terrible quand on justifie par exemple les bancs grillagés pour faire venir la clientèle dans les magasins. Si les magasins sont parfois vides, ce n’est pas la faute des SDFs, quelqu’un qui veut acheter passe outre et achète. Ceux qui ne vont pas dans les boutiques ont certaienement comme première raison l’absence du pouvoir d’achat.

  • Benoit

    J’aime ta vision parce qu’elle souligne tout ce qui est catastrophique dans le monde mais aussi au niveau personnel. Et même temps il y a encore des lueurs d’espoir, des lumières avec la culture, la littérature et l’amour parfois. Mais la citation bread and roses montre combien c’est difficile parce qu’il faut les deux, mais quand on a faim on oublie le parfum des roses.

  • Laurent

    Oui à tout! Et au fait que ce sont toujours les mêmes hommes politiques depuis des décennies. À quand un changement? Comme aux USA, si tu perds à une élection, tu ne te représentes pas. Tu continue le travail politique, dans le gouvernement ou au niveau plus « local » ou tu fais autre chose mais tu n’attends pas dans les startblocks pour les prochaines élections. Juppé sur la couverture des Inrocks était ridicule. Y’a comme un vrai problème en France.
    J’aime aussi beaucoup ta description des « nous » et « eux » qui comme le dit burntoast, soulève le coeur. Il reste des actes magnifiques de solidarité mais qui semblent rares parfois qu’il faut les souligner et en même temps il y a le pire, les passages à tabac et le rejet donné en exemple par les autorités ou les politiques. Le maire refusant l’inhumation d’un bébé mort dans son sommeil est un connard de première.

  • burntoast4460

    En gros, je suis d’accord sur tout. Florence Aubenas nous permet d’espérer, alors que Zemmour, Renaud Camus et consorts, portes paroles de la lie de la société, lie qui ne pense qu’au meurtre et l’exclusion brutale de ceux qui ne sont pas « nous », nous soulèvent le coeur.

  • Marie-Claire

    C’est triste de penser que la soi-disant crise ne touche que les mêmes. J’avais lu le livre d’Aubenas et elle montre bien que cela fait longtemps que c’est la même chose. Son reportage dans une CAF est terrible mais aussi c’est le quotidien des usagés et du personnel.
    Tu as écris un très beau texte qui mélange bien ce qu’on ressent, une espèce d’espoir et de pessimisme.

  • Fred

    Ouais. Tu postes rarement le Dimanche. C’est la première fois que je te lis en prenant mon petit dejeuner, je mange mon croissant et je me sens comme un con sentimental.
    Bravo. Tu as écris quelque chose proche d’un manifeste. Un article sincère et fort. Je regrette de ne pas être sur facebook pour partager ton article et inciter ceux que je connais à le lire.

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