Debout dans la tombe d’un autre
Quelqu’un a-t’il vraiment cru que Ian Rankin allait arrêter d’écrire sur John Rebus ? Qui a pensé qu’il était hors de question de faire le deuil du détective alcoolique acariâtre parti à la retraite en 2006?
Bien entendu, il suffisait de prendre son mal en patience et d’aller voir du coté des détectives scandinaves jusqu’à ce que Rankin décide de rappeler l’un des plus célèbres policiers écossais. Il avait laissé entendre qu’il le tuerait dans son prochain romain. Mais après le tollé de ses fidèles lecteurs, Rankin lui a donné un sursis. Il revient avec Debout dans la tombe d’un autre.
C’est parfois difficile d’aller contre son lectorat, Conan Doyle l’a prouvé en ressuscitant Sherlock Holmes. Qui sait si Rebus aurait trouvé préférable d’être poussé dans les chutes de Reichenbach.
L’histoire :
Depuis que l’inspecteur Rebus a pris sa retraite, il végète aux marges de son ancienne vie et travaille comme civil à la résolution d affaires classées non élucidées, frustré de ne plus être en première ligne.Quand un vieux « cold case » sort du placard à la suite de la disparition d’une jeune femme, il ne résiste pas à la tentation, s’empare du dossier et parvient à récupérer sa place à la crim’.
Mais Rebus reste Rebus. Il est toujours aussi buté, dispersé et ingérable, et se met vite tout le monde à dos : son ancienne collègue Siobhan Clarke, son vieil ennemi Ger Cafferty ; et le nouveau patron du crime organisé d’Édimbourg qui cherche à se faire un nom. Ajouté à cette liste, Malcolm Fox, du service des Plaintes, la police des polices, qui compte bien faire tout son possible pour empêcher sa réintégration. Fox est convaincu que Rebus est pourri jusqu’à l’os et à mesure que ce dernier franchit une ligne après l’autre, on se demande si Fox n’a pas raison.
Donc, nous retrouvons le toujours fumeur, toujours buveur, Rebus travaillant avec l’unité de résolution d’affaires classées mais à titre civil.
« Aucune affaire urgente sur le feu : il travaillait désormais sur les morts du passé, des victimes de meurtres oubliées du reste du monde. Le SCRU, Serious Crime Review Unit, l’Unité de révision des crimes graves, avait onze dossiers en instance. Des affaires qui remontaient loin, la plus ancienne à 1966, la plus récente à 2002. »
Mais quand une femme arrive avec une histoire, il prend le temps de l’écouter. Sa fille a disparu de Aviemore, sur l’A9, en 1999, et elle pense que la disparition d’autres jeunes femmes a un lien.
Et vous savez quoi? Son ancienne protégée, Siobhan Clarke, est déjà sur l’affaire. La paire va alors se lancer dans une enquête qui verra Rebus parcourir la longueur de l’autoroute A9, ses «milliers et milliers d’hectares à l’état sauvage », dans sa vieille Saab, fouillant les secrets enfouis et retrouvant ses vieux ennemis, entraînant la colère de ses supérieurs et franchissant encore et encore la ligne jaune dans sa quête de justice.
« Vous étiez un bâtard à l’époque aussi. Mais pas si gros et si vieux», lui dit un ancien détenu. « Difficile de ne pas être d’accord», lui répond-il.
Ce qui a changé est le monde dans lequel il évolue. N’étant plus un policier, il doit rester à l’écart alors que d’autres interrogent et prennent les décisions. Il est décrit comme un dinosaure, et il y a du vrai quand on le voit écrivant des notes pour ses collègues plutôt que de les envoyer par e-mail.
« John Rebus devrait être éteint, Clarke. D’une certaine manière, l’âge de glace est venu reparti et l’a laissé encore nager autour tandis que le reste d’entre nous a évolué», explique Malcolm Fox. «Je connais un flic qui a mal tourné quand j’en vois un. Rebus a passé tant d’années à franchir la ligne, qu’ il a réussi à l’effacer complètement. »
Fox, est le nouveau personnage de Rankin. Il a déjà été la vedette de deux romans : Plaintes et Les guetteurs. Rankin s’amuse clairement à opposer ses têtes d’affiche l’une contre l’autre. Dans une scène, quand Rebus initie une première réunion avec Fox – après avoir appris qu’on enquêtait sur lui – le contraste de la paire est glorieux. Fox avec un verre d’eau du robinet et une banane, Rebus étouffant des rots de Irn Bru.
Les dialogues ciselés, l’humour du nord teinté d’ironie à peine voilée et l’esprit sardonique sont toujours présents.
«La plupart des flics ressemblent à des flics, mais Fox aurait pu être cadre moyen dans une entreprise de matières plastiques ou aux Impôts».
Ce contraste pourrait se révéler problématique pour l’auteur dans les livres à venir; Fox était un héros irrésistible dans les romans précédents, mais il est bien pâle en comparaison avec Rebus.
Le sentiment de mortalité est également là, dans les pensées de Rebus, dans l’environnement, les objets.
Tout comme Prospero, la troisième de ses pensées est son tombeau. Même sa collection de vieux tickets de concert insiste sur ce sentiment « « D’ailleurs, le billet d’entrée au concert devait toujours traîner quelque part. Une manie qu’il avait, même s’il savait pertinemment que ce serait un truc de plus à virer à la poubelle quand il ne serait plus là. À côté de son tourne-disque était posé un médiator en plastique. »
Certains des passages les plus émouvants du livre sont ses réflexions sur les musiciens de son âge – les magnifiques chanteurs de folk Jackie Leven, John Martyn et Bert Jansch – qui sont décédés depuis.
Le titre original est d’ailleurs une ligne dans une chanson de Jackie Leven
« Quand il brancha le lecteur CD de sa voiture, une voix profonde et viscérale sortit des hauts parleurs : celle de Jackie Leven, « standing in another man’s grave » – debout dans la tombe d’un autre homme. Rebus fronça le sourcil. Un instant il se retrouva au cimetière, à fixer des têtes et des épaules, somme toute sans déplaisir. Il tendit le bras vers le siège passager et réussit tant bien que mal à sortir le livret texte de son boîtier. La chanson avait pour titre « Another Man’s Rain », la pluie d’un autre homme. Il avait mal compris : Jackie Leven était debout sous la pluie d’un autre homme. »
La musique est là, présente, entendue ou dans la tête : « S’il avait fait une mixtape pour son trajet en voiture, il y aurait eu plein de chansons avec pour thème la route : Canned Heat et les Rolling Stones, Manfred Mann et les Doors »
Je vous conseille par ailleurs, d’aller faire un tour sur le site de l’auteur qui propose des playlists. Parce que la musique est essentielle à l’auteur et à son personnage.
Enfin il y a l’Ecosse, Edimbourg et les paysages du Nord qui tiennent dans les romans de Rankin une place prépondérante, pratiquement aussi importante que celle de son personnage. Mais ici on ne fait pas dans le touristique. C’est le revers de la médaille qui l’intéresse, avec tous les aspects sociaux et politiques que cela implique.
C’est pourquoi un roman de Rankin n’est jamais juste une histoire de détectives et de meurtres à résoudre. C’est avant tout une chronique sous la forme littéraire qui dépeint systématiquement et avec talent l’Écosse et ré-examine son identité depuis des décennies.
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Un commentaire
burntoast4460
J’en parle à Madame qui lit beaucoup de policiers.