Le Monde des hommes – Buru Quartet I
Le nationalisme, dans le monde occidental d’aujourd’hui, est un sale mot – et pourtant c’est une idée noble du nationalisme qui sous-tend l’oeuvre de l’auteur indonésien Pramoedya Ananta Toer Buru, dont le premier volume Le Monde des hommes vient d’être publié par Zulma.
L’histoire : À la fin du XIXe siècle, en Indonésie – alors colonie hollandaise – le jeune Minke s’émerveille de toutes les perspectives qu’ouvre l’ère moderne. Cet indigène, avide de culture, qui doit à son ascendance noble le privilège de faire des études secondaires, évolue avec aisance au sein de la communauté coloniale, mais n’en revendique pas moins farouchement son identité javanaise. Maniant la plume avec brio, il signe sous un pseudonyme, dans les journaux néerlandais, des articles dénonçant le racisme dont ses congénères sont victimes. Racisme qui s’exprime avec une violence et une cruauté particulières lorsqu’il se lie d’amitié avec Nyai, la concubine d’un riche négociant hollandais, et s’éprend de sa fille, Annelies, au mépris de toutes les conventions.
La conception du nationalisme de Toer a été formé sous la domination coloniale de son pays par les hollandais, puis sous le régime militaire des indonésiens. Ce concept englobe les idées de liberté individuelle et de dignité, ainsi que le droit des individus et, par extension, des nations qu’ils forment, d’être dans l’autodétermination. Ce nationalisme là n’est bien entendu pas approuvé par les régimes coloniaux ou les dictatures.
Toer (1925-2006) a passé une bonne partie de sa vie en tant que prisonnier politique et, en fait, ce roman a été raconté oralement à ses co-détenus en 1973 lorsqu’il a été emprisonné dans la colonie pénitentiaire de Buru Island. Il fut d’abord emprisonné (1947-1949) par le gouvernement néerlandais après une révolution anti-britannique et hollandaise, puis par le gouvernement indonésien, d’abord en 1963, lorsqu’il soutint les minorités chinoises, puis après un coup d’Etat militaire en 1965. Il a été emprisonné jusqu’en 1979, puis assigné à résidence surveillée jusqu’en 2002. Les deux premiers romans ont été publiés en 1979/1980, et ont été traduits en anglais en 1981 par le diplomate australien en Indonésie, Max Lane, qui a été rappelé en Australie cette même année par voie de conséquence. De toute évidence, le gouvernement indonésien n’a pas apprécié…
Le monde des hommes se déroule en 1898, et apporte un regard fascinant sur la vie coloniale en Indonésie à cette époque. Il raconte l’histoire d’un indigène, le seul à fréquenter une école d’élite. Étant un natif, il n’a pas de nom officiel. Il est appelé Sinyo ou Nyo, Gus, et le plus souvent Minke.
Le roman suit son destin alors que l’autorité coloniale fait de son mieux pour qu’un indigène ne dépasse pas sa condition sociale. La vie se révèle paradoxale pour Minke – d’une part son éducation lui enseigne à penser, à raisonner et à croire que tout est possible d’autre part la structure coloniale, dans laquelle il vit, fait en sorte que peu soit possible.
Le roman est peuplé de personnages de diverses origines ethniques avec la classification officielle, légale et bien entendu raciste de ceux qui vivent aux Indes néerlandaises : Purs-sangs (néerlandais), Indigènes et Métis ou Eurasiens appelée Indos ou Indies. On y croise aussi des français et des chinois. La couche strictement appliquée des droits décidés par la colonie est mise à l’épreuve par une grande variété d’opinions politiques et personnelles et donne un excellent aperçu d’une société complexe.
Minke absorbe et admire la culture européenne, puis vit l’humiliation, le mépris, la souffrance, l’injustice. Lui, l’autochtone, n’a aucun droit. Le droit est celui du Blanc, du pur-sang… Pramoedya avait intitulé le premier tome Terre des Hommes en hommage à Saint-Exupéry, qui est donc devenu Le monde des hommes. Une question de droits ou de méconnaissance ?
Comme beaucoup de romans engagés, les personnages et les complots sont simplifiés et exagérés pour prouver un point de vue. L’histoire possède une trame mélodramatique et même une histoire d’amour mais sans beaucoup de complexité – ni de nuances de gris apportées aux personnages. Ils sont là pour servir un but.
Cela dit, c’est un roman vraiment passionnant. Racontée à la première personne – avec la voix de Minke – l’histoire nous saisit immédiatement. C’est en grande partie parce qu’elle est aussi une histoire de passage et de changement. Parallèlement aux remises en cause d’idées, c’est aussi le développement émotionnel, social et intellectuel de Minke. Son « mentor », Jean Marais, lui explique qu’en tant que personne instruite, il doit apprendre à agir de façon juste, d’abord par ses pensées, puis par ses actes. C’est ce que signifie être éduqué.
Ce conseil influencera la pensée et les actions de Minke à partir de ce point. C’est avec une ironie amère qu’il comprendra que cette éducation occidentale sera aussi la cause de problèmes.
L’avenir ne cesse de nous tourmenter, de nous torturer ! Le moment venu, chacun le rejoint – bon gré, mal gré, corps et âme – et trop souvent il se révèle un fieffé despote. Je finirais par accéder, moi aussi, à ce qu’il me réserve. Qu’il soit un dieu bienveillant ou cruel, c’est mon affaire, bien sûr : les hommes n’applaudissent trop souvent que d’une main.
Il y a beaucoup d’autres choses à découvrir et souligner dans ce livre – y compris le rôle joué par le langage dans le contrôle et l’application du pouvoir et du statut – mais plutôt que de faire un texte beaucoup plus – trop – long à lire, je terminerai avec les mots de l’enseignante préférée de Minke, Magda Peters.
… sans amour de la littérature, vous n’êtes que des animaux intelligents.
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