Un rat de bibliothèque…
…et un héros
L’obsession de la lecture établit une distance entre le lecteur et le monde connu, les livres choisis et aimés tracent une carte de qui nous sommes. Ce sont ces livres qui nous définissent. La littérature se substitue aux textes sacrés en nous parlant du monde qu’ils ont déserté. Le roman investit le réel, en exigeant de nous, ses lecteurs, toujours plus d’imagination.
Mais lire est l’activité la moins dramatique qu’il soit. Un roman dont le personnage principal serait un rat de bibliothèque va connaître rapidement un problème. Que fait-on faire à un lecteur qui passe son temps le nez dans les pages, ignorant volontaire de la vie autour de lui? Généralement, un lecteur ne peut pas être le héros d’un roman à moins qu’il ne devienne un aventurier à la Indiana Jones. Qui lirait un roman sur un personnage, confortablement installé sur son sofa plongé dans un livre?
L’attrait de l’histoire serait d’être le témoin de ses luttes internes et externes pour passer à l’action, pour se transformer, faire quelque chose de cette connaissance engrangée. Voir comment son intelligence et sa sensibilité parviennent à affronter le monde qui s’offre au dessus de la couverture du livre.
Alors j’ai cherché quels (anti-)héros existaient dans la littérature ; la recherche fut ardue et peu prolifique. J’ai alors redoublé d’effort tant je souhaitais trouver quelques personnages qui rendraient la lecture attirante.
Camarades lecteurs, j’ai le plaisir et la fierté de vous présenter mes trouvailles :
Don Quichotte de Cervantes
Il est le lecteur-héros par excellence.
Il faut savoir que cet hidalgo, dans les moments où il restait oisif, c’est-à-dire à peu près toute l’année, s’adonnait à lire des livres de chevalerie, avec tant de goût et de plaisir, qu’il en oublia presque entièrement l’exercice de la chasse et l’administration de son bien. Sa curiosité et son extravagance arrivèrent à ce point qu’il vendit plusieurs arpents de bonnes terres à blé pour acheter des livres de chevalerie à lire. Aussi en amassa-t-il dans sa maison autant qu’il put s’en procurer.
Cervantes nous dit qu’il n’y a pas de Don Quichotte. Il y a un homme Quichano qui a lu tant de livres sur la chevalerie qu’il a en perdu la tête. Il décide de s’appeler Don Quichotte et d’homme de lecture il devient homme d’action. Le livre est pour lui un code de conduite qui jalonne son parcours de repères, un viatique indispensable qui justifie son infortune et le réconforte contre l’arbitraire et la médiocrité du réel. Il est sa propre fiction et ce qui est formidable dans ce livre c’est de savoir qu’il existe un lecteur qui devient chevalier. Son imagination devient de la folie, mais peut importe, elle est aussi une célébration de la littérature.
Vie de Samuel Johnson par James Boswell
Johnson est un poète, essayiste et critique littéraire. Il crée le Dictionary of the English Language, publié en 1755 après neuf années de travail. C’est aussi un homme énorme et insatiable. Il dévore les livres. Aveugle d’un oeil depuis sa naissance, il lit de près, la tête toujours penchée (on apprendra plus tard que c’était un symptôme de la Maladie de Tourette), une bougie suffisamment proche pour faire tomber de la cire sur la copie de Shakespeare empruntée à la bibliothèque et mettre le feu à sa perruque.
Quand il vit chez son ami Hester Thrale, il y a une servante dont la tâche est de remplacer sa perruque à chaque fois que Johnson finit un livre.
Sa vie est fascinante tant elle est dédiée aux livres, mariage d’amour pour le meilleur et pour le pire, dans la richesse et dans la pauvreté. Voeux de consécration qui prennent tout leur sens après avoir lu sa biographie. Et si vous ne vous sentez pas le courage de la lire, allez au moins visiter sa page wikipedia. La vie de Johnson est un roman. (Ne serait-ce que parce qu’il était un conservateur avec des valeurs et des idéaux sociaux – une rareté)
La Reine des lectrices par Alan Bennett
À la recherche de ses corgis qui se sont échappés, la Reine tombe par hasard sur un bibliobus et décide d’emprunter un livre. Ainsi commence l’obsession de la lecture pour Sa Majesté.
La reine découvrait que chaque livre l’entraînait vers d’autres livres, que les portes ne cessaient de s’ouvrir, quels que soient les chemins empruntés, et que les journées n’étaient pas assez longues pour lire autant qu’elle l’aurait voulu. Elle découvrait aussi que les livres ne se souciaient pas de leurs lecteurs, ni même de savoir s’ils étaient lus. Tout le monde était égal devant eux, y compris elle.
Possession de Antonia Susan Byatt
On est en 1986. Dans la salle de lecture de la Bibliothèque de Londres, (qui est l’endroit idéal pour un rat de bibliothèque) Roland Michell, un étudiant chercheur post-doctorat, (parfait travail de rat de bibliothèque) tourne les pages d’un livre qui appartenait autrefois à son héros, le poète victorien Randolph Henry Ash. Le livre est noir, épais et couvert de poussière. Son dos est brisé, il est bandé et attaché avec un noeud. Mais cachées dans ses pages, Roland trouve deux lettres non signées écrites à la main par le poète. Les lettres suggèrent une histoire d’amour.
Ainsi commence un des plus grands thrillers vécu par un lecteur.
84 Charing Cross Road par Helene Hanff
Charing Cross n’est plus ce qu’il était. La rue des amoureux littéraires a vu la plupart des librairies et bouquinistes fermer pour être remplacés par des chaines de magasins et autre horreurs de la société de consommation. Ce fut une rue mythique et un endroit incontournable grâce, entre autre, à ce recueil épistolaire entre Helene Hanff, auteur américaine vivant à New-York et Franck Doel, un employé de la librairie Marks & Co. échange qui s’interrompra en 1968 avec la mort de ce dernier.
À la recherche de quelques obscurs classiques, Mlle Hanff veut un éventail de livres, des choses comme un dictionnaire de Vulgate latine, une copie de Virginibus Puerisque de Robert Louis Stevenson, une deuxième édition de Izaak Walton Le Parfait Pêcheur à la ligne, et beaucoup, beaucoup plus encore. Frank Doel, compagnon idéal du rat de bibliothèque, les trouve dûment pour elle.
Un livre comme ça, avec sa reliure en cuir luisant, ses titres dorés au fer, ses caractères superbes, serait à sa place dans la bibliothèque lambrissee de pin d’un manoir anglais ; on ne devrait le lire qu’assis dans un élégant fauteuil en cuir, au coin du feu – pas sur un divan d’occasion dans un petit studio minable donnant sur la rue et situé dans un immeuble en grès brun délabré
Enfin, parce que je ne peux pas écrire sur les livres sans penser à l’enfant qui est en chacun de nous.
Matilda par Roald Dahl
Peut-être finalement le plus brillant de tous les livres sur les rats de bibliothèque. Mathilde connait un début de vie peu prometteur ; les livres, dont elle raffole, sont absents de la maison. Elle est une “lectrice orpheline”, une enfant sans livres. Elle apprend à lire très tôt, et devient un petit rat de bibliothèque. Ah! Et elle est aussi une petite fille avec des super pouvoirs…
A trois ans, Matilda avait appris toute seule à lire en s’exerçant avec les journaux et les magazines qui traînaient à la maison. A quatre ans, elle lisait couramment et, tout naturellement, se mit à rêver de livres. Le seul disponible dans ce foyer de haute culture, La Cuisine pour tous, appartenait à sa mère et, lorsqu’elle l’eut épluché de la première page à la dernière et appris toutes les recettes par cœur, elle décida de se lancer dans des lectures plus intéressantes
– M. Hemingway dit des tas de choses que je ne comprends pas, lui expliqua Matilda. Surtout sur les hommes et les femmes. Mais j’ai beaucoup aimé son livre quand même. Avec sa façon de raconter les choses, j’ai l’impression d’être là, sur place, et de les voir arriver.
– Un bon écrivain te fera toujours cet effet, dit Mme Folyot. Et ne t’inquiète donc pas de ce qui t’échappe. Lis tranquillement et laisse les mots te bercer comme une musique.
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9 commentaires
Nathalie
Le bibliothécaire nympho est un phantasme des lecteurs je pense :-)
Je n’ai jamais lu Don Quichotte. Il serait temps que je m’y mette parce que ta description et les commentaires de Burntoast donnent envie.
Fred
Raymond Jean : La Lectrice
« Avancer encore. Plus loin. Tout en laissant venir, par bribes, à mes lèvres, tous ces petits bouts, fragments, éclats de choses lues qui dansent dans ma tête, ces morceaux de pages que je ferais bien de me mettre en devoir d’apprendre par cœur »
Amaya
:-)
Peyo
Un livre qui devrait faire partie selon moi des romans dont le lecteur est le héros est « Si par une nuit d’hiver un voyageur » d’Italo Calvino.
C’est une narration totalement différente de ce que j’ai pu lire auparavant. Le lecteur est dans l’histoire.
burntoast4460
Pour la petite histoire une fois que la censure de l’Eglise espagnole avait donne son « imprimatur », rien ne pouvait être modifie ni change. Ce qui nous permet d’avoir accès au texte exact de Cervantes.
En revanche, pour Shakespeare, il est très difficile de connaitre les textes exacts de ses pièces, d’autant que nous n’avons le plus souvent accès qu’au textes écrits de mémoire par les grands acteurs de l’époque.
«
burntoast4460
Don Quichotte n’est pas facile a lire, car il y a de très nombreuses digressions, des histoires enchâssées les unes dans les autres et des impossibilités burlesques (un âne qui meurt et réapparaît quelques chapitres plus loin). Les lecteurs contemporains de Cervantes avait déjà relève de nombreuses invraisemblances, d’ailleurs parfaitement normales dans ce genre de livre.
burntoast4460
Roger Chartier du College de France a commis de nombreux cours sur Cervantes et un livre : « Cardenio entre Cervantes et Shakespeare. Histoire d’une pièce perdue ». Paris : Gallimard, 2011.
Le plus grand rat est, pour moi, Borges. Insurpassable.
Sinon, très beau billet, dont je note quelques livres a lire.
Benoit
La bibliothécaire nympho, c’est drôle :-)
Laurent
Encore et toujours impressionné par la qualité de tes articles et en particulier quand il s’agit de livres (et de films).
Il faut que je relise Don Quichotte. Puis je vais commencer par la fiche wiki de Samuel Johnson que je ne connaissais absolument pas.