Le Complexe d’Eden Bellwether
« J’ai beaucoup écrit sur l’espoir. Ma théorie est que l’espoir est une forme de folie. Une folie bénigne, certes, mais une folie tout de même. En tant que superstition irrationnelle, miroirs brisés et compagnie, l’espoir ne se fonde sur aucune espèce de logique, ce n’est qu’un optimisme débridé dont le seul fondement est la foi en des phénomènes qui échappent à notre contrôle. »
C’est ce que dit Herbert Crest, l’un des personnages centraux du roman de Benjamin Wood, Le Complexe d’Eden Bellwether.
Les dichotomies de la raison, de la superstition, de la folie, de la science et de la foi donnent prétexte à un roman de grande envergure qui possède une fluidité et une lucidité étonnantes pour un premier roman.
L’histoire :
Cambridge, de nos jours. Au détour d’une allée de l’imposant campus, Oscar est irrésistiblement attiré par la puissance de l’orgue et des chants provenant d’une chapelle. Subjugué malgré lui, Oscar ne peut maîtriser un sentiment d’extase. Premier rouage de l’engrenage. Dans l’assemblée, une jeune femme attire son attention. Iris n’est autre que la sœur de l’organiste virtuose, Eden Bellwether, dont la passion exclusive pour la musique baroque s’accompagne d’étranges conceptions sur son usage hypnotique…
Bientôt intégré au petit groupe qui gravite autour d’Eden et Iris, mais de plus en plus perturbé par ce qui se trame dans la chapelle des Bellwether, Oscar en appelle à Herbert Crest, spécialiste incontesté des troubles de la personnalité. De manière inexorable, le célèbre professeur et l’étudiant manipulateur vont s’affronter dans une partie d’échecs en forme de duel, où chaque pièce avancée met en jeu l’équilibre mental de l’un et l’espérance de survie de l’autre.
Oscar a vingt ans, son profil studieux l’a poussé à quitter sa famille ouvrière de Watford (grande banlieue du nord de Londres) pour une vie à Cambridge.
Eden est un prodige de la musique qui croit que la musique – et en particulier celle du compositeur de musique baroque, Johann Mattheson – peut affecter ses auditeurs et les changer physiquement et spirituellement.
« Eh bien, Mattheson croyait, et je le crois aussi, que les compositeurs ont le pouvoir d’affecter et de manipuler tes émotions, tes passions, comme disait Descartes. Par leur musique, ils sont tout à fait capables de te faire ressentir tout ce qu’ils veulent que tu ressentes. Un peu comme une expérience chimique : si des éléments sont associés selon une certaine formule tu obtiens une certaine réaction. »
Pour démontrer la puissance hypnotique de la musique Mattheson, il organise des soirées en petit groupe, joue avec un clavicorde dans le style du compositeur pour accompagner ses propres essais audacieux de guérison, il hypnotise ainsi Oscar, lui plante un clou dans la main, puis panse sa plaie.
« Alors qu’il s’apprêtait à rouvrir les yeux, la mélodie du clavicorde brisa le silence. Le genre de sonorité qui vous saisissait, sèche mais douce, légère mais pure, et la musique retomba en cascade autour de lui comme de la neige.
Un air d’abord lent et mélancolique, qui le relaxa. Note après note, il sentait son corps se détendre. L’air circulait en douceur dans ses poumons et son pouls semblait se réguler de lui-même. Boum boum boum. Il avait des picotements dans les bras, la tension dans ses épaules s’atténuait, comme des plis qu’on effaçait au fer. Il se sentait si bien, si calme, qu’il se surprit à sourire. »
Iris, persuadée que son frère souffre du complexe de la toute-puissance et a besoin d’aide psychiatrique, demande à Oscar de l’aider à trouver la preuve de la maladie d’Eden. Herbert Crest, un psychologue vieillissant dont la tumeur au cerveau l’a incité à faire des recherches sur la médecine alternative et la guérison par la foi.
C’est quand Eden commence à administrer son « traitement » à Crest que les questions autour de sa santé mentale deviennent primordiales.
Est-ce qu’Eden est possède un don ou est-ce une illusion? Quand est-ce qu’un comportement excentrique devient pathologique? Quel est le rôle de la foi dans le monde moderne?
« À la place d’une foi aveugle en Dieu ou dans la spiritualité, comme dans les temps anciens, nous vouons à présent un culte à la logique de la science. Pour les faits, pour ce qui est prouvable. Et c’est très bien. Mais notre foi moderne dans la science est devenue aussi aveugle que l’était notre foi en Dieu. »
Le roman s’aventure aussi dans les questions de généalogie et de classe sociale très marquée en Angleterre. Dans quelle mesure Eden est un produit de ses parents riches et exigeants? Oscar, peut/doit-il quitter son emploi comme aide soignant dans une maison de retraite pour poursuivre ses études, et échapper ainsi à l’héritage familial difficile ?
Puis il y a Cambridge, son « village » dans la ville, l’université qui a ses propres règles. Si le monde clos des étudiants – privilégiés – devient parfois étouffant et claustrophobique, des instants de grande beauté apportent une bouffée d’air – un jeu de tennis au clair de lune imaginaire entre Oscar et Iris, par exemple.
L’humour mêlé à l’émotion sont également présents, en particulier chez Paulsen, l’un des résidents de la maison de retraite.
« Il était plus de neuf heures, et il savait que le Dr Paulsen voulait qu’on le réveille ; à la différence des autres résidents, il ne se satisfaisait pas de passer la journée à dormir. Il n’aimait pas perdre son temps devant la télévision, ni mettre la semaine à assembler les pièces d’un puzzle pour reconstituer une photo de paysage ensoleillé prise dans un pays étranger qu’il n’était plus en âge de visiter. (« Je n’ai jamais compris le concept du puzzle, avait-il déclaré un jour. L’image est déjà sur la boîte, où est le mystère ? ») »
C’est un roman imprégné d’intelligence et d’intégrité. Benjamin Wood aborde la psychologie des personnages et l’appréhension des maladies psychiques avec respect et clarté même si elles mériteraient parfois moins de légèreté.
Le roman hésite parfois dans sa capacité à porter le poids de ses thèmes. Les caractères ne sont pas toujours fouillés et sont définis par les besoins de l’intrigue. C’est certainement le cas pour le fascinant Eden, qui pourrait être le personnage d’un roman complet mais cela s’applique aussi à Oscar, qui semble ne pas avoir de vie, physique ou mentale, en dehors des exigences immédiates de l’histoire.
En soi, il n’y a rien de mal avec cette approche, et ce roman est suffisamment réussi et habile dans l’histoire, le débit et le rythme – en particulier dans les derniers chapitres – pour supporter cette critique.
Mais quand vient la fin – et c’est une fin vraiment écrasante et imposante – on a le sentiment que les personnages ont été trop légèrement esquissés et le ton parfois trop léger pour un final si puissant. Toute la partie sur le procès est formidable et montre combien parler d’une maladie psychique est semblable au serpent qui se mort la queue.
Et d’attendre avec impatience le film thriller qui ne manquera pas d’être fait.
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4 commentaires
Adam
Je l’ai acheté en numérique, beaucoup plus pratique pour moi qui voyage beaucoup. Résultat je l’ai lu en quelques heures. Un livre à lire même s’il y a quelques longueurs et quelques faiblesses. On découvre des choses, on peut aussi parfois être choqué par le traitement de la maladie mais c’est un livre très intéressant qui je pense comme Murielle serait un bon film.
Benoit
J’ai commandé le livre !
Amaya
Le ton léger pour un final si puissant , ça me semble aussi bien résumer les germes ou les signes d’ une folie. C’est peut être un parti pris alors …
Je ne partage pas les pensées du personnage Herbert Crest citées au début sur l’espoir , … Engager ce récit avec les sons de l’orgue , ça me plait , c’est bien trouvé. Il y a tous les ingrédients pour être attirée par ce roman. :-)
Pierre
C’est le genre de livre qui va me plaire. Merci pour le conseil de lecture!