Découvrir,  Écrire

Geneviève

Pourquoi suis-je ici ? Que m’est-il arrivé ? Pourquoi ai-je dû quitter mon appartement en centre-ville pour cette maison de retraite ? J’étais tellement heureuse là-bas, et maintenant je vis dans une chambre qui est dans un immeuble sans aucun charme et aseptisé. Des amies me rendent visite et me disent : « C’est tellement propre et chaleureux ! Et tout est sécurisé. »

Eh bien, mon appartement était tout aussi chaleureux et propre. Et j’adorais me promener dans ma ville aux rues pavées.

Il y a beaucoup d’autres femmes ici et une poignée d’hommes. Dans l’entrée se trouve une pile de magazines qui me rappellent que je suis une senior. La bibliothèque dans le salon accueille des romans vieux de 30 ans. Rien de bien intéressant. La télé est toujours allumée, bruit de fond pour nous rassurer nous les vieux. Parfois un ronflement se fait plus fort qu’un applaudissement.

Un résidente, souriant gentiment, m’a dit : « Tout le monde est gentil ici. Et on s’habille bien. » J’ai regardé mon pantalon et mon cardigan confortables, noirs bien sûr, et j’ai pensé que j’allais dénoter.

J’ai été invitée à rejoindre le groupe de bingo et le cercle de crochet. Dans les deux cas, j’ai refusé. Je ne suis pas prête à m’intégrer. Je n’arrive pas encore à accepter et m’amuser. Et puis, le pire moment : quelqu’un a exprimé publiquement son indignation face à l’invasion des réfugiés. Il me faut trop d’énergie pour laisser libre cours à mes sentiments passionnés et contraires à ce sujet. Mais je note mentalement les personnes à éviter.

Et la première personne sera le maire. Qu’il m’agace celui-là à venir nous rendre visite en coup de vent. Toujours le même sourire condescendant, les mêmes excuses pour ne pas rester trop longtemps. Toujours flanqué de l’adjoint au 3 âge. À la limite de nous caresser la tête comme des bons toutous qui voteront pour lui aux prochaines élections. Bien entendu ce jour-là, nous sommes presque en mode exposition. Les handicapés devant, les valides à leur place aux tables. « N’oubliez pas de sourire surtout. C’est grâce à monsieur le maire que vous avez eu le repas de Noël à la maison des associations. » Tu parles d’un repas de fête : du blanc de dinde et des pommes de terre sautées tièdes… Plutôt l’euthanasie que revivre cette sortie.

Il y a quelques éléments positifs à l’ehpad. L’animateur sportif par exemple. Il s’appelle Cédric. Il est souriant et patient. Je pense qu’avec l’âge j’ai perdu les filtres. Je lui dis qu’il a un joli postérieur. Il me fait un clin d’œil et esquisse un twerk.

Il vit une petite histoire avec l’aide-soignante, Djemila. Les sourires échangés quand ils se croisent dans les couloirs, les regards appuyés, les doigts qui se touchent quand ils se passent les clés. Autant de signes qui font se demander. Ce pourrait être une nouvelle : « Une romance chez les vieux ».

D’ailleurs, en parlant de romance, je sais que c’est enfin terminé. Je ne vivrai pas cette dernière histoire d’amour. Je suis devenue pragmatique, voire cynique. Les hommes de mon âge ont une mentalité que je n’aime pas. Jusqu’au bout ils seront dans l’incompréhension de leur environnement et la victimisation. J’ai peut-être même du mépris pour eux.

Peut-être aussi à force d’écouter Jeanine ma voisine. Jeanine, elle, est nostalgique. Souvent avec les mêmes réflexions. Pourquoi passé un certain âge, elle était devenue invisible ? Elle n’attendait plus le grand amour. Mais elle voulait se sentir vivre encore. Avoir des papillons dans le ventre. Rougir à un regard appuyé, à une plaisanterie échangée. Pourtant elle savait qu’elle ne séduirait plus. Mais juste un moment, avoir cette sensation. Une idée de possibilité. Je la plaignais d’être toujours dépendante d’un désir, même âgée.

La directrice m’a demandé ce que j’aimais le plus dans la vie ici. J’ai longuement réfléchi, j’avais tant de choses à répondre puis j’ai changé d’avis. « Maintenant que je suis ici, je n’ai plus besoin de penser » lui ai-je dit.

Je suis en sécurité, au chaud et c’est propre. Finalement rien n’est grave, n’est-ce pas ?

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