Faire le point
Un poste un peu plus personnel aujourd’hui amené par la lecture d’un blog anglais. Encore une fois, comme avec tous les posts qui touche à l’intime, je risque de le supprimer après quelques jours quand je ne supporterai plus de le voir en première page, bien trop en vue des lecteurs et visiteurs. Mais sous la poussée du coude bienveillante d’un écrivain, je m’y risque. Lui en a fait un livre à succès, je peux bien en faire un petit article dans mon coin. Parce que les fêlure sont aussi intéressantes. Au risque de faire dans le pathos.
Deux ans et demi que j’ai perdu la personne qui comptait le plus dans ma vie. Il a été mon amoureux, mon coloc, mon meilleur ami, et plus encore. J’ai tenu bon, comme j’ai pu. Souvent seule parce que les marques de condoléance ne durent qu’un instant. J’ai fait comme si ça allait. J’en ai peu parlé. Je n’ai fait que répondre aux questions posées, sans m’attarder. On ne veut pas rendre une conversation inconfortable ni mettre mal à l’aise celui qui questionne innocemment. Alors on essaie de donner le change, plus ou moins bien, ça dépend des jours.
Mais voilà, il y a quelques mois, la pression de garder tout sous contrôle fut plus forte que ma volonté. Quelque chose de l’ordre du physique autant que du mental. Une douleur énorme. Et cet été, l’impression que mon chagrin ne pouvait plus être contenu. Je savais déjà que j’avais vécu des moments que je ne souhaite à personne, des jours à travailler et à m’inquiéter, des soirées passées à l’hôpital et des nuits sans sommeil. Un an, 8 mois et 8 jours à vivre un cauchemar éveillé. Et puis sa mort. On dit que les 3 D sont les causes les plus courantes du stress : divorce, deuil et déménagement. Deux sur trois c’est pas mal pour une trentenaire, non ?
Bref, cet été, une douleur qui m’a handicapée – littéralement puisque je ne peux presque plus bouger mon bras droit. Et le besoin de couper les liens avec ceux qui ne comprennent pas. Le besoin de ne plus entendre les phrases dites par ceux qui vous entourent… On pourrait en faire un livre, un guide à l’usage des imbéciles « Ce qu’il ne faut pas dire/faire à quelqu’un qui souffre ». Je ne parle pas des maladroits dont on voit la bienveillance qui se cache derrière. Non, moi je parle des cons égoïstes dont il ne faut pas bousculer les habitudes.
Je suis enfin allée voir un psy qui a diagnostiqué un état de stress post-traumatique. Bingo! Et maintenant je fais quoi avec ça? Et bien je ne sais pas encore. J’arrête de faire le soldat, de tomber et de me relever, je ne fais plus le compte: 7 ? 8 ? (au choix : proverbe japonais, livre de Labro ou film de Xabi Molia).
Je vais commencer par mettre noir sur blanc ce qu’est le deuil. Non pas la perte naturelle d’un parent, qui, tout aussi douloureuse, est dans l’ordre naturel des choses. Non. Simplement en quelques mots, perdre la personne que vous aimiez et avec qui vous aviez choisi de partager votre vie c’est perdre aussi son identité personnelle. C’est voir un pan de sa vie disparaitre. Les souvenirs communs, les moments complices, le quotidien.
Les projets, les rêves et les envies que j’avais, que nous avions, sont devenus inutiles, dispensables. Voilà ce qu’est le deuil. Un vide monumental. Mais surtout, c’est ne plus être la même personne qu’avant. Un blogueur disait que sa personnalité avait changé. Je ressens la même chose. Je n’ai pas la même ambition, les mêmes envies, ni le même humour. Ma bienveillance s’est déplacée. Je n’ai pas d’objectifs professionnels ou personnels aussi définis, et, bizarrement cela ne me gêne ni ne m’effraie.
Alors maintenant? Eh bien, je ne m’inquiète pas. Peut-être que mon objectif est de ne pas tout avoir. Je ne suis pas particulièrement troublée par ce que les gens pensent de moi, non plus. Mes désirs sont différents. Je sais qui j’ai été mais je ne sais pas qui je serai. Cela ne m’inquiète pas. Je recommence à zéro. Sans angoisse ni peur.
*merci à Julian.
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19 commentaires
Valérie
Bonsoir. Je suis nouvelle sur votre blog. J’apprécie l’honnêteté de votre article. C’est difficile de ne pas faire dans le pathos quand on connait une grande douleur. La perte de l’être aimé, quand elle n’est pas dans l’ordre naturel, est un évènement presque insurmontable. Tout comme la maladie et autres vilaines choses de la vie, si on ne l’a pas traversé, on ne peut pas comprendre. Cependant on peut essayer, en posant des questions, en dépassant les tabous et les peurs, en parlant. Mais il faut beaucoup d’amour pour soutenir quelqu’un qui souffre.
MHF
Je ne sais pas si je vais trouver les mots pour te réconforter, ton témoignage me touche et se livrer par écrit sur son blog n’est pas anodin.
Tu es venue lire mon histoire, tes mots m’ont permis d’avancer dans ma réflexion, je voulais t’en remercier.
J’espère que tu vas trouver un équilibre, la force de sourire, la joie de vivre tranquillement, sereinement.
Je partage avec toi les moments de courage dont on a besoin pour avancer
Bises
murielle
Merci également pour ta visite
murielle
Merci beaucoup à tous ceux qui ont pris le temps de laisser un commentaire. C’est avec plaisir que j’ai lu des mots enrichissants, intéressants et « remontants ».
Amaya
Ce que tu es maintenant , c’est beau , c’est bon . Ne plus être la même personne qu’avant c’est parfois mieux , ça me semble évident dans ce que tu racontes . Cela ne t’inquiètes pas , c’est normal et c’est bien . C’est différent . Rien de triste , juste plus de sens mais comme ça se mélange à une tristesse , il ne faut pas douter des bienfaits . A quoi bon , les rêves , les projets et les envies qui ne durent qu’un temps , tu le sais . Ouvrir son coeur , être authentique , … que c’est rare et merveilleux !! merci à toi
Antonio
Dire que j’ai aimé ton article, ce serait une banalité. Pourtant c’est vrai. J’y vois un mélange de courage, d’amour à la vérité et de manque de complaisance. Il est compliqué de parler des affaires personnelles, je pense, si ouvertement. De mon point de vue c’est plus facile de le faire littérairement parce qu’on établit une distance, et il y a aussi la possibilité de remanier et transcender, symboliquement si tu veux, les faits. Mais quand la réflexion se déroule sincère et honnête, elle devient un témoignage qui surpasse les inventions littéraires.
Benoit
Un poème de Christian Bobin:
Au début j’ai bien cru perdre ma voix,
la parole et la mort sont comme deux personnes qui voudraient entrer dans une pièce en même temps et se gênent,
demeurent bloquées sur le seuil, au début la mort devenait de plus en plus grande et la parole bégayait de plus en plus,
ensuite j’ai compris qu’il fallait éviter comme la peste tout ce qu’on croyait savoir à ce sujet,
tous les mots convenus sur la douleur et la nécessité de revenir à une vie distraite,
j’ai compris que, comme pour la vie, il fallait écouter absolument personne
et ne parler d’une mort que comme on parle d’un amour, avec une voix douce, avec une voix folle,
en ne choisissant que des mots faibles accordés à la singularité de cette mort -là, à la douceur de cet amour-là.
Mélusine
Bonjour. Le deuil est un voyage solitaire et l’entourage est rarement capable de comprendre par quoi on passe. J’avais trouvé beaucoup de soutien sans jugement aucun avec l’association Vivre le deuil. C’est rassurant de savoir que ce que l’on vit n’est pas « anormal » ou « morbide » et qu’il y a des comportements parfois jugés « malsains » par un entourage ignorant la réalité du deuil alors que ces attitudes ne sont que l’expression normale et naturelle du deuil.
burntoast4460
« Il y a un temps pour pleurer, et un temps pour rire; un temps pour se lamenter, et un temps pour danser. »
(L’Ecclésiaste, -250 av notre ère)
Burntoast4460
Ayant eu deux séries de trois deuils (famille, amis très chers), avec des fins difficiles à gérer, je vois assez bien. On fait des efforts considérables pour s’occuper – pour certains – des problèmes pratiques et financiers et puis, tout d’un coup, c’est fini. Et on a du mal à réaliser que c’est vraiment fini, et qu’on ne reverra plus toutes ces personnes. Il faut laisser le temps au temps.
(Les deux fois où j’ai vu des psychologues, plutôt pour un conseil, c’est moi qui leur ai remonté le moral, et ils ne m’ont rien appris que je ne sache déjà).
Marie-Claire
Bonjour de la Nouvelle-Calédonie. Ici c’est le matin et je viens de lire votre article qui m’a beaucoup touché. Je commence ma journée émue. Je vous lis depuis le début de « blogging 201 », j’aime beaucoup vos billets. Je n’ai pas vécu le deuil. Vous en parlez avec beaucoup d’honnêteté et sans pathos aucun. Je pense que c’est important que vous ne ne supprimiez pas ce billet. C’est bien aussi l’impudeur. Un jour cet article sera perdu parmi beaucoup d’autres, relégué dans les pages archivées, il ne vous gênera plus en première page. Quelqu’un tombera dessus par hasard, un jour de questionnement ou de souffrance. Le lire lui fera du bien parce qu’il se sentira moins seul. Il l’appréciera car il n’y a pas d’excès de positivité ni de larmoiement. Il explique simplement un état, un fait de la vie.
Bonne continuation.
Peyo
J’ai commencé la lecture en pensant que tu parlais du pont du 1er Mai. J’avais lu « faire le pont » et je m’attendais à un article sur le travail ou sur les congés payés. :-) Du coup, le choc en te lisant.
Je ne savais pas cette histoire mais tu ne devrais pas te freiner d’en parler. S’il y a malaise c’est aux autres à apprendre à gérer, après tout c’est ce qui fait aussi ta personnalité. J’entends assez de gens parler de leurs enfants, de leur divorce, de leur histoire privée alors pourquoi pas parler de veuvage et de deuil. Certains trouvent ça morbide mais c’est leur problème.
Après t’avoir lu, j’ai cherché en ligne quelque chose qui m’aiderait à faire un commentaire intelligent :-)
J’ai trouvé ça sur le Monde: Alors, finalement, « faire son deuil », ça veut dire quoi ? « Si le temps de la grande souffrance a une fin, le deuil en tant que tel n’en a pas », insiste Nadine Beauthéac. Toute la vie, on doit se confronter à l’absence, mais on se transforme et on parvient à trouver un nouveau sens à sa vie, à mettre le défunt à sa juste place : ni trop loin, pour ne pas sombrer dans l’évitement, ni trop près, au risque de ne pouvoir poursuivre son chemin. « Beaucoup de personnes disent que le processus de deuil chamboule leur identité. Il s’agit aussi d’un certain deuil de soi », précise Karine Roudaut, sociologue, et auteure.
http://www.lemonde.fr/vous/article/2012/10/30/le-deuil-un-chemin-singulier_1783156_3238.html
C’est finalement ce que tu racontes à ta façon.
Jon
On lit des récits de veuf ou veuves qui retrouvent l’amour et le bonheur et tout va bien dans le plus beau des mondes. Puis il y a ceux qui ont plus de mal, ceux qui souffrent plus longtemps, ceux qui selon les circonstances de la mort ont besoin de plus de temps pour aller mieux.
Il n’y pas de temps limite. Bon courage!
Audrey
Un article qui pique les yeux. Ne l’efface pas.
J’aime beaucoup les photos qui accompagnent ton texte.
Laurent
Lo a raison. On fait comme on peut.
Un jour après l’autre. Tenir un blog, écrire, photographier, c’est déjà pas si mal :-)
Pierre
Bonsoir Murielle. Je trouve intéressant d’avoir le point de vue d’une jeune femme sur ce sujet. On lit beaucoup de récit d’hommes ou de femmes plus âgés ou alors qui ont des enfants et qui parlent du deuil en tant que parent. Je n’avais jamais pensé à ça mais je comprends qu’on puisse changer de personnalité ou du moins que des choses changent beaucoup plus durablement et profondément.
Quand on connait le pire, finalement, rien ne fait plus peur. Je m’excuse si cela semble bateau. Pour rejoindre les autres commentaires, parler des conséquences physiques et psychologiques d’une épreuve que tout le monde ne connait pas n’est pas impudique.
LO
On fait juste comme on peut…
Savoir qui on est au présent c’est déjà beaucoup. Je crois.
Nathalie
Les gens qui ne parlent que de leur deuil sont aussi déprimants que ceux qui veulent toujours positiver en ne montrant qu’une seule face de leur vie comme si on pouvait être toujours des battants, des super-héros qui peuvent dépasser toutes les épreuves. Donner une image sans aucune fêlure c’est hélas donner l’autorisation aux imbéciles de critiquer ceux qui souffrent de ne pas être assez forts. Je pense comme Fred celui qui t’a dit que tu faisais du pathos est un con qui manque singulièrement de bienveillance et d’empathie.
Je trouve aussi que c’est important de lire des articles, des livres, des blogs ou des témoignages qui parlent de ce qui va et de ce qui ne va pas. C’est être humain.
Fred
Celui qui t’as dit que parler de ça était pathos est un connard pas fini. C’est surtout douloureusement honnête. Je trouve que c’est positif d’être capable d’en parler. Sous prétexte de pudeur beaucoup de personnes ne parlent pas de ce qui fait souffrir et se retrouvent isolées. D’autant plus que le deuil est une épreuve qui dure, ce n’est pas quelque chose limitée par le temps. C’est pour ça que c’est difficile, quand on remarque que ceux qui vous soutenaient les premiers temps sont absents quand vous avez besoin d’eux des mois ou des années après. Toute mon amitié Murielle.