En finir avec Eddy Bellegueule

Written by murielle

Les vérités que j’ai essayé de mettre à jour, je n’ai pu les mettre à jour que par le travail littéraire, stylistique, formel, un travail sur la langue, sur la ponctuation, etc. qui déplace les perceptions et tente de montrer ce qu’on ne voit pas, de faire entendre des voix que l’on n’entend pas, des manières de parler que l’on ne connaît pas. Dans le cas de mon livre, c’est parce que c’est littéraire que c’est vrai. Ce qu’on appelle la réalité n’a rien à nous offrir. C’est comme l’espace social présenté par Bourdieu dans La Distinction ou les idéaux-types de Max Weber : c’est par un travail de construction, de mise en forme, littéraire ou autre, qu’on arrive à voir des réalités qui échappent aux individus. 

C’est après avoir lu cet extrait d’interview d’Edouard Louis que j’ai eu envie de lire En finir avec Eddy Bellegueule« Voilà », me dis-je, « un jeune homme intelligent qui peut et sait analyser le travail littéraire. »

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Ecrire sur soi et sa famille est difficile et courageux parce qu’écrire sur les vivants c’est prendre un risque. Non pas le risque de tout perdre, parce que ce risque là est déjà accepté intuitivement. Non. C’est risquer une violence supplémentaire. Celle de ceux qui ne comprennent pas, qui n’ont ni le recul ni les clés pour accepter une histoire pour ce qu’elle est. Ecrire sur son enfance, sa famille est une tâche douloureuse et pourtant essentielle, surtout quand, comme chez Edouard Louis, il y a le talent.

Vous observez votre famille, vous voyez ce qui ne va pas, d’un oeil quasi sociologique et psychologique vous voyez les failles, les manques, les relations dysfonctionnelles, la vision du monde parcellaire mais parce que vous êtes fait et partie de cette famille, vous ne pouvez rien faire. Le dire est tout aussi inutile; les rapports de force sont fixés. La réflexion ne peut rien contre le ressenti. Vous le voyez, le savez et le vivez ; observateur, acteur et victime.

De mon enfance, je n’ai aucun souvenir heureux. Je ne veux pas dire que jamais, durant ces années je n’ai éprouvé de sentiment de bonheur ou de joie. Simplement, la souffrance est totalitaire: tout ce qui n’entre pas dans son système, elle le fait disparaitre.

edouard-louisLire Edouard Louis c’est comprendre tout ça. C’est adopter une démarche sociologique nécessaire pour réfléchir à son propre parcours. C’est comprendre comment on se définit aussi en fonction de ses origines sociale et familiale.  C’est la réalité même des frottements, des comportements, des sentiments, des modes de relation entre les êtres avec sa conflictualité, sa violence et sa complexité inhérentes. C’est aussi faire des choix, presque malgré soi.

La fuite était la seule possibilité qui s’offrait à moi, la seule à laquelle j’étais réduit. J’ai voulu montrer ici comment ma fuite n’avait pas été le résultat d’un projet depuis toujours présent en moi, comme si j’avais été un animal épris de liberté, comme si j’avais toujours voulu m’évader, mais au contraire comment la fuite a été la dernière solution envisageable après une série de défaites sur moi-même. Comment la fuite a d’abord été vécue comme un échec, une résignation. A cet âge, réussir aurait voulu dire être comme les autres. J’avais tout essayé.

C’est enfin vouloir relire Pierre Bourdieu parce que décidément, cet homme avait tout juste.

Ne vous privez pas de ces ressources intellectuelles au prétexte qu’elles sont intellectuelles, qu’elles sont écrites avec de grands mots.

 

5 thoughts on “En finir avec Eddy Bellegueule

  1. Nathalie says:

    C’est une critique intéressante. Les débats autour du livre ont été animés. Je ne l’ai pas encore lu mais j’ai très envie de le faire. Je crois que toute vérité est bonne à dire si elle permet la réflexion. L’auteur l’a fait avec intelligence, il est dans la réflexion et l’étude sociologique et non pas dans la littérature spectacle.

    • C’est proche du genre auto fiction mais il y a quelque chose en plus. Quelque chose de mieux

  2. Fred says:

    Je l’ai lu. Il y a beaucoup de souffrance. C’est très violent mais le plus violent est le déni par sa famille de la souffrance d’Eddy. Il y a sa solitude, son besoin de fuir pour survivre. Je trouve que c’est un livre indispensable parce qu’il est aussi le récit d’un jeune homme qui survit à son enfance. C’est une histoire qui devrait parler à beaucoup et qui devrait faire partie du programme scolaire. L’anti Marcel Pagnol.

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