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Pourquoi être heureux …

… quand on peut être normal ?

J’ignore ce que je veux ou pourquoi je le veux. Mais je sais une chose : « Quand je suis avec elle, je suis heureuse. Tout bonnement heureuse. »

Elle a acquiescé. Elle semblait comprendre et j’ai vraiment cru le temps de cet instant qu’elle changerait d’avis, qu’on parlerait, que l’on se tiendrait toutes les deux du même côté du mur de verre. J’ai attendu.

Elle a répondu : « Pourquoi être heureux quand on peut être normal ?  »

C’est ainsi que s’achève la discussion entre Jeanette Winterson et sa mère adoptive avant d’être mise dehors, à l’âge de16 ans, pour avoir une nouvelle petite amie (les tentatives d’exorciser sa sexualité après la première ayant été infructueuses).


jeanette-winterson-pourquoi-etre-heureuxQuatrième de couverture :

Pourquoi être heureux quand on peut être normal ? Etrange question, à laquelle Jeanette Winterson répond en menant une existence en forme de combat. Dès l’enfance, il faut lutter : contre une mère adoptive sévère, qui s’aime peu et ne sait pas aimer. Contre les diktats religieux ou sociaux. Et pour trouver sa voie. Ce livre est une autobiographie guidée par la fantaisie et la férocité, mais c’est surtout l’histoire d’une quête, celle du bonheur. « La vie est faite de couches, elle est fluide, mouvante, fragmentaire », dit Jeanette Winterson. Pour cette petite fille surdouée issue du prolétariat de Manchester, l’écriture est d’abord ce qui sauve. En racontant son histoire, Jeanette Winterson adresse un signe fraternel à toutes celles – et à tous ceux – pour qui la liberté est à conquérir.

Les mémoires de Jeanette Winterson sont courtes, comme écrites à la hâte; parfois si laconiques qu’elles ressemblent à des notes. L’impression qu’elle donne n’est pas le laisser-aller, mais une urgence pour que le lecteur comprenne. C’est certainement le livre le plus émouvant de Winterson mais également le plus turbulent et le moins contrôlé avec la part belle aux anecdotes.

« La meilleure confiserie était tenue par deux dames qui étaient peut-être amantes, ou pas. Un jour, on m’a interdit d’aller à la confiserie. C’était un coup dur parce que les deux dames me donnaient toujours des oursons en plus. Quand je harcelais Mrs Winterson à ce sujet, elle disait que ces femmes étaient des marchandes de passions contre-nature. À l’époque, je croyais que cela voulait dire qu’elles mettaient des produits chimiques dans leurs bonbons. »

Mais cette histoire ne peut être lue sans avoir d’abord eu entre ses mains “Les Oranges ne sont pas les seuls fruits”. J’avais oublié combien ce dernier était gai et optimiste, avec de bons cotés, peuplé de personnages excentriques malgré une héroïne à l’enfance aliénée.

« Pourquoi être heureux » est le pendant dramatique de cette même enfance. Son éducation, comme elle le dit maintenant est beaucoup plus sombre; elle a été battue, elle a eu souvent faim, elle a été laissée toute la nuit à la porte par une mère adoptive dont les excès religieux et la dépression ont eu une influence néfaste sur la famille.

Les livres lui étaient ainsi interdits. Mme Winterson n’aimait pas les livres.

 Le problème avec un livre, c’est qu’on ne sait jamais ce qu’il contient avant qu’il ne soit trop tard.  »

Peu importe, elle lirait en cachette. Elle lirait tout ce qui se trouverait à la bibliothèque.

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Du coup, quand les gens disent que la poésie est un luxe, qu’elle est optionnelle, qu’elle s’adresse aux classes moyennes instruites, ou qu’elle ne devrait pas être étudiée à l’école parce qu’elle n’est pas pertinente ou tout autre argument étrange et stupide que l’on entend sur la poésie et la place qu’elle occupe dans notre vie, j’imagine que ces gens ont la vie facile. Une vie difficile a besoin d’un langage difficile – et c’est ce qu’offre la poésie. C’est ce que propose la littérature – un langage assez puissant pour la décrire.
Ce n’est pas un lieu où se cacher. C’est un lieu de découverte.
À bien des égards, il était temps pour moi de partir. Les livres avaient eu raison de moi, et ma mère avait eu raison des livres. »

« C’est vrai, les histoires sont dangereuses, ma mère avait raison. Un livre est un tapis volant qui vous emporte loin. Un livre est une porte. Vous l’ouvrez. Vous en passez le seuil. En revenez-vous ? »

C’est la conquête de la liberté par tous les moyens. La fuite comme moyen de survivre. Quitter le nord de l’Angleterre pour partir étudier à Oxford. Même si son analyse géopolitique en devient osée et parfois survolée. Dans un système qui génère des masses, l’individualisme est le seul moyen de sortir. Mais qu’advient-il alors du sens de la communauté?

« Je n’avais pas compris que lorsque l’argent devient la valeur cardinale, l’éducation va au plus fonctionnel et la vie de l’esprit n’est envisagée comme un bien qu’à partir du moment où elle offre des résultats quantifiables. Je n’avais pas non plus compris que le service public ne serait plus une priorité. Que faire le choix d’une vie autre que celle passée à consommer deviendrait aussi difficile que de trouver un logement à bas prix. Qu’en détruisant les communautés, on laisse prospérer l’intolérance et la misère. J’ignorais que le thatchérisme financerait son miracle économique en vendant toutes nos richesses et nos industries. Je n’ai pas compris les conséquences de la privatisation de la société. »

Ses mémoires se terminent d’une façon terriblement ouverte. Elle ne sait pas elle-même la fin de sa propre histoire. Et c’est humain. Pas besoin d’avoir été adoptée par un couple pentecôtiste pour se sentir une parenté avec elle. Et de comprendre que rien n’est jamais simple. Mme Winterson était un monstre mais c’était son monstre. Et c’était aussi une femme avec ses mystères et ses contradictions.

C’était une femme si solitaire. Une femme solitaire qui rêvait que quelqu’un sache qui elle était. »

Lire c’est non seulement comprendre que notre narration personnelle est incomplète mais qu’elle ne peut être autrement. C’est le dilemme du conte inachevé, comme un ouvrage dont les dernières pages seraient manquantes, ou blanches.

Même si une réponse commence à émerger.

« Les fins heureuses ne sont qu’une pause. Il y a trois types de grandes fins : la Vengeance, la Tragédie, le Pardon. Vengeance et Tragédie vont souvent de pair. Le Pardon rachète le passé. Le Pardon ouvre sur l’avenir. »

[…]

« En me lançant dans l’écriture de ce livre, je n’avais aucune idée du tour qu’il prendrait. J’écrivais en temps réel. J’écrivais le passé tout en découvrant l’avenir. »

[…]

« Il faut que je parvienne à réconcilier ces contradictions et que je les éprouve toutes/séparément. »

[…]

« L’amour. Le mot difficile. Où tout commence, où tout revient toujours. L’amour. Le manque d’amour. La possibilité de l’amour.

[…]

Je n’ai aucune idée de ce qui va se passer ensuite. »

4 commentaires

  • Benoit

    J’ai l’impression que c’est un livre pour femmes et un peu trop misérabiliste pour moi. L’orpheline qui devient une auteur à succès, c’est pas pour moi.

  • Antonio

    On parle tant de bonheur. Je trouve ce sujet assez banal. La vie est un étrange mélange de bonheur et de malheur. Mais on est manichéen et extrémiste. On considère le bonheur comme un droit (garanti par qui ?). Cette attitude n’est qu’un piège pour des naïfs. Ce qui est bien vrai c’est la découverte faite par Jeanette Winterson : l’écriture (la création, la capacité de créer ou recréer) sauve, aide à vivre, est un acte de réconciliation.

  • burntoast4460

    Dévoiler ses préférences sexuelles chez des pentecôtistes américains, a l’époque, avait un petit cote commando de choc. Ce qui prouve que les liens entre elle et ses parents n’étaient pas très forts.

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