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Petit pays de Gaël Faye

Tout le monde en parle alors moi aussi. Petit pays de Gaël Faye est depuis quelques jours récipient du Prix du roman FNAC, et c’est grandement mérité. Je pensais que La succession était mon coup de coeur, je me suis trompée. Petit pays est un grand roman.

geal-faye-petit-paysL’histoire : En 1992, Gabriel, dix ans, vit au Burundi avec son père français, entrepreneur, sa mère rwandaise et sa petite sœur, Ana, dans un confortable quartier d’expatriés. Gabriel passe le plus clair de son temps avec ses copains, une joyeuse bande occupée à faire les quatre cents coups. Un quotidien paisible, une enfance douce qui vont se disloquer en même temps que ce « petit pays » d’Afrique brutalement malmené par l’Histoire. Gabriel  voit avec inquiétude ses parents se séparer, puis la guerre civile se profiler, suivie du drame rwandais. Le quartier est bouleversé. Par vagues successives, la violence l’envahit, l’imprègne, et tout bascule. Gabriel se croyait un enfant, il va se découvrir métis, Tutsi, Français…

On connaît tous l’affreux génocide du Rwanda en 1994 où du 6 avril au 4 juillet 1994, plus de 800.000 Rwandais, pour la plupart des tutsis, ont été massacrés, et, cela, avec une violence extrême. (plus d’infos ici)

Nous connaissons moins ses interactions avec les pays voisins de l’Afrique des Grands Lacs, notamment le Burundi ou l’ancien Zaïre, aujourd’hui de nouveau au cœur de l’actualité africaine et internationale. 
Avec ce premier roman, Gaël Faye nous fait découvrir le Burundi ce petit pays voisin, son histoire, ses langues, ses habitants, les vivants et plus tard les morts.

Petit Pays est un roman d’enfance avec ses moments de bonheur et de plaisirs comme piquer les mangues de la voisine et s’en goinfrer jusqu’au ventre repus qui laisse les enfants épuisés. C’est la vision et les mots d’un enfant qui vit autant dedans que dehors avec ses copains Gino, les jumeaux et Armand qui nous rappelle Le petit Nicolas

Au départ, c’était une idée de Gino. Il voulait que l’on trouve un nom pour la bande. On avait cherché longtemps. On avait pensé aux trois mousquetaires mais on était cinq. Les jumeaux n’avaient proposé que des noms ringards, du style « Les cinq doigts de la main » ou « Les meilleurs potes du monde ».

C’est un mélange d’insouciance enfantine et de plaisir, de contemplations, de petits moments qui font du bien, qui font sourire.

Mais ces moments d’enfance sont assombris d’abord par le départ de sa mère puis par les préoccupations politiques.

J’ai beau retourner mes souvenirs dans tous les sens, je ne parviens pas à me rappeler clairement l’instant où nous avons décidé de ne plus nous contenter de partager le peu que nous avions et de cesser d’avoir confiance, de voir l’autre comme un danger, de créer cette frontière invisible avec le monde extérieur en faisant de notre quartier une forteresse et de notre impasse un enclos. Je me demande encore quand, les copains et moi, nous avons commencé à avoir peur. 

La description de ce qui se pressent et se sait – par le père et la mère de Gaby, par tonton Alfonse et Pacifique, par quelques autres – est forte d’angoisse, physique et mentale. C’est la perte de l’enfance qui se dessine pour Gaby.

On vivait sur l’axe du grand rift, à l’endroit même où l’Afrique se fracture. […]Sous le calme apparent […] des forces souterraines, obscures, travaillaient en continu, fomentant des projets de violences et de destruction qui revenaient par périodes successives comme des vents mauvais : 1965, 1972, 1988. Un spectre lugubre s’invitait à intervalle régulier pour rappeler aux hommes que la paix n’est qu’un court intervalle entre deux guerres. Cette lave venimeuse, ce flot épais de sang était de nouveau prêt à remonter à la surface. Nous ne le savions pas encore, mais l’heure du brasier venait de sonner, la nuit allait lâcher sa horde de hyènes et de lycaons.

Des machettes ont été distribuées dans toutes les provinces, il existe d’importantes caches d’armes dans Kigali, des milices s’entraînent, avec l’appui de l’armée régulière, on distribue des listes de personnes à assassiner dans chaque quartier, les Nations unies ont même reçu des informations confirmant que le pouvoir est en mesure de tuer mille Tutsi toutes les vingt minutes… Une voiture est passée dans la rue. Pacifique s’est tu. Il a attendu qu’elle s’éloigne et a repris dans un murmure.
– La liste est encore longue de ce qui nous attend. Nos familles sont en sursis. La mort nous encercle, elle va bientôt s’abattre sur nous, alors nous serons pris au piège.

Et l’horreur arrive. Et pour Gaby, ses amis, sa famille et son pays de ne plus jamais être le même. Les massacres, la mort, l’incompréhension, la fin. Ne jamais oublier. Et pour la douleur, de rester.

Les blessures ne guérissent pas.

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