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Anna Delvey et quelques autres

Pendant quelques temps, Anna Delvey fut la quintessence de ce que représente la haute société new-yorkaise chic. Sauf qu’elle ne l’était pas. Maya Angelou a dit : Lorsque quelqu’un vous montre qui il est, pense à le croire la première fois.

Dans une certaine mesure, la soi-disant riche héritière allemande Anna Delvey – de son vrai nom Anna Sorokin – a montré à tout le monde qui elle était.  Elle ne prétendait pas être particulièrement gentille, charmante ou même polie. Elle devait souvent emprunter d’énormes sommes d’argent, elle ne prenait même pas la peine de bien parler allemand. Mais les gens ne voulaient pas voir ou croire ce qui était juste devant eux.

 

Anna a fréquenté le milieu huppé, séjourné dans les boutiques-hôtels tout en levant des fonds pour lancer un nouveau club privé, la Fondation Anna Delvey. Elle a nagé dans la société de Manhattan, brassé beaucoup d’argent liquide, tout ceci documenté dans les pages des magazines et sur les réseaux sociaux. Elle est maintenant détenue sans caution à Rikers Island après avoir plaidé non coupable de vol et escroquerie.

Elle a été accusée d’utiliser de faux documents pour obtenir des prêts de plusieurs millions de dollars, et de faire des chèques en bois pour retirer des milliers en espèces. Cet argent lui a permis de se créer une vie, laissant tomber les pourboires comme des confettis, achetant des cadeaux et des vacances extravagantes pour ses nouveaux amis, et affrétant un avion privé. Elle s’est retrouvée dans des dîners à côté de célébrités. Elle s’est déplacée à travers la ville avec la facilité d’une fille riche. Elle a vécu le rêve capitaliste.

Il y aura évidemment une série ou un film sur son histoire, un « Arrête-moi si tu peux » version millenium. Un âge où le glamour insouciant et boudeur qu’imaginait Anna est si familier, si omniprésent pour tous ceux qui se baladent sur les médias sociaux. Un tsunami bavard de jeunes filles au maquillage impeccable, à la coiffure irréprochable, aux vêtements semblables qui se veulent ou sont influenceuses. Ces jolies poupées interchangeables, au sourire lumineux, à la vie la plus heureuse du monde sont comme Anna. Elles travaillent à faire croire que leur vie est parfaite, à donner l’apparence d’une vie fabuleuse. Un circuit de restaurants, boîtes, vacances documenté sur Instagram, avec ici et là un produit cité, une marque portée et ce même sourire pour faire croire que tout est facile.

Et pourtant. Comme Anna Delvey, toutes vivent une vie qui dépasse leurs moyens. Vivre. J’allais dire en profiter, mais elles ne peuvent pas apprécier – pas vraiment – un tourniquet de mensonges, une vie faussée. Ces influenceuses qui vendent du rêve, veulent le croire tout même un peu.

C’est une histoire qui, bien qu’elle soit petite, bien qu’elle n’implique aucun scandale politique ni crime de sang, trouve écho auprès d’une génération qui travaille constamment pour s’offrir une vie alternative et meilleure en ligne.

Une génération qui vibre aussi avec l’anxiété qui vient comme un effet secondaire nocturne de ces efforts facturés et fracturés. Quelle personne âgée de moins de 40 ans peut vraiment dire qu’elle n’a jamais pénétré dans ce monde étrange, où, affichant des photos soigneusement éditées en ligne, ne vous ment pas vraiment mais ne vous dit pas la vérité non plus ? Même les selfies « sans maquillage » et les confessions sur sa santé mentale/déprime/anxiété, même ceux-ci sont organisés, créés pour une susciter une réaction, que ce soit la pitié ou les applaudissements. Tout ceci est devenu le marketing de soi.

Et si l’anxiété est devenue la maladie des millenials, c’est peut-être que ces jeunes gens ont été élevés différemment. Avec l’idée qu’ils sont des consommateurs avant d’être des acteurs. Avoir au lieu d’être. Cette génération grandit dans l’obsession des réseaux sociaux, où semble régner l’individualisme. Tout le monde a cet instinct humain fondamental de se comparer au reste de la tribu. Maintenant, la taille de la tribu est exponentiellement plus grande qu’elle ne l’était il y a deux ou trois générations. La pression de devenir et réussir soi-même est à chaque instant présente.

Et de comprendre que le problème n’est pas le narcissisme personnel et la culture du selfie, mais plutôt une culture de consommation de masse et d’acquisition matérielle. Des industries entières sont aujourd’hui construites autour de la reproduction d’images de perfection socialement approuvées, de la chirurgie esthétique à l’intérieur de son appart. Nos vies médiatisées sont peuplées d’images de ce que nous ne sommes pas, de ce que nous aspirons à être et de ce qui est impossible à réaliser. Puis avoir le vertige.

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