Si Beale Street pouvait parler

Written by murielle

Droit au but. Je vais vous parler d’un film – Si Beale Street pouvait parler – qui date de 2018. C’est une adaptation du roman du même titre de James Baldwin. Réalisé par Barry Jenkins, un homme qui sait montrer les sentiments et l’âme comme peu de réalisateurs savent le faire. Moonlight m’avait déjà clouée par sa beauté et sa douceur.

Comment j’ai pu manquer ce film à sa sortie ? Je ne sais pas ! Mais l’erreur est réparée.

L’histoire : Harlem, dans les années 70. Tish et Fonny s’aiment depuis toujours et envisagent de se marier. Alors qu’ils s’apprêtent à avoir un enfant, le jeune homme, victime d’une erreur judiciaire, est arrêté et incarcéré. Avec l’aide de sa famille, Tish s’engage dans un combat acharné pour prouver l’innocence de Fonny et le faire libérer…

Si vous voulez lire ou regarder une histoire d’amour cinématographique à couper le souffle, avec une sincérité, une pureté dans les sentiments et une dure vérité, alors cette histoire est pour vous. C’est un film formidable, aussi nerveux que sensuel. Il mêle bien entendu la question sociale et politique des préjugés et de l’oppression dans une évocation poétique de l’amour, de la perte et de la transcendance.

« Chaque personne noire née en Amérique est née sur Beale Street, est née dans le quartier noir d’une ville américaine, que ce soit à Jackson dans le Mississippi ou à Harlem, New-York. Beale Street est notre héritage » est la phrase d’ouverture de Baldwin, citant « l’impossibilité et la possibilité, la nécessité absolue, de donner une voix à cet héritage ». Puis Jenkins passe à un plan aérien légèrement tourbillonnant de deux jeunes amoureux marchant ensemble, le son des cordes accompagnant leurs pas. « Tu es prêt pour ça ? » demande Tish (KiKi Layne), 19 ans, à quoi Fonny (Stephan James) répond : « Je n’ai jamais été aussi prêt de toute ma vie… »

C’est une scène qui frémit, belle de promesses et d’attentes, qui montre la substance insaisissable de l’amour. Mais ce sens éthéré de la promesse vient s’écraser sur terre alors que nous entendons la voix de Tish nous dire qu’elle « ne souhaite à personne de regarder l’être aimé à travers une vitre… »

Elle raconte leur histoire. Et cette vision ressemble à une rêverie, un fantasme bohème, le genre autrefois poursuivi par de jeunes artistes affamés à Paris ou dans le vieux Greenwich Village. Sauf que Fonny et Tish sont noirs… vérité existentielle qui tourne au cauchemar.

Film romantique avec une bande-son langoureuse et sensuelle, c’est aussi un film sur l’amour familial. Une famille qui se serre les coudes dans l’adversité. Il y a d’ailleurs une scène de souper en famille particulièrement inspirante. Tish, qui n’a pas 20 ans, vient d’annoncer qu’elle est enceinte. Et, au lieu de partir dans l’hystérie et les cris, la nouvelle est accueillie avec une lucidité affectueuse par des parents qui se refusent au jugement. Ils préfèrent célébrer leur fille plutôt que l’accabler. Une fois de plus, comme dans Moonlight, la douceur dont les humains sont capables est au rendez-vous.

Layne et James sont parfaits en tant que jeune couple, mais leur performance est égalée par Teyonah Parris – Ernestine, sœur aînée de Tish, Colman Domingo – le père de Tish – et Brian Tyree Henry – Daniel Carty, ami proche qui a également subi une injustice.
Quant à Regina King – Sharon, la mère de Tish – un regard, un geste qui disent tout…

 

Le cinéma de Barry Jenkins et un cinéma à la fois intelligent et sensible d’où émane la délicatesse, même des situations les plus désespérées. La longue conversation entre Daniel et James est toujours si actuelle. Avec ce cinéma là, avec des écrivains et des réalisateurs comme ça, on apprend à toujours demeurer conscient de ceux qui ne vivent pas la même expérience que nous.

Baldwin abordait avec ce roman de 1974 des questions sur la justice et la façon dont on traite les Noirs. La discussion entre les deux sœurs sur le viol de la jeune portoricaine est également vitale. Nous sommes en 2023, peu a changé…

 

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