Knausgaard et Greene
Si vous ne voulez pas que votre roman fasse la une des journaux, vous ne l’intitulerez pas “Mon Combat”. Surtout si vous êtes allemand. Heureusement Karl Ove Knausgaard est norvégien… Son roman autobiographique s’appelle donc Min Kamp, (tome 1 : La mort d’un père)
Et c’est bien d’un combat dont il s’agit : le combat pour grandir avec un père alcoolique, pour se sentir comme un homme respecté dans une démocratie sociale qui vise l’ égalité des chances, pour que le coiffeur souvienne de la vraie couleur de ses cheveux. Quoi que ce soit, ce n’est pas le grand complot pour dominer la race humaine.
Mais lui aussi n’a pas mal vendu. En Norvège, seule, la série de six livres – publiés en tant que “fiction” – quand tout le monde sait que c’est autobiographique – a vendu plus de 450.000 exemplaires. Et il n’est pas seulement un coup littéraire là-bas. Les anglo-saxons le lisent aussi; il est devenu un des auteurs dont « on » parle. Zadie Smith dit qu’elle a besoin du prochain volume « comme le crack ».
Mais le succès mondial n’a pas facilité son combat. La moitié de la famille de Knausgaard ne lui parle plus. Il a eu tellement de courrier de haine, qu’il est parti vivre en Suède. Et puis il y a l’argent. « Nous avons gagné beaucoup l’argent », at-il dit dans une interview « et ça m’a fait peur … J’ai dit à [ma femme], Linda, peut-être que nous devrions le céder à Greenpeace ou quelque chose, parce qu’il émanait d’un projet contraire à l’éthique … Elle a dit non. »
Est-ce que les baleines et les dauphins doivent bénéficier de la douleur familiale? Comme dilemne éthique, c’est intéressant. Est-ce que cet argent doit aller à Pascal Husting, directeur du programme international de Greenpeace International, qui travaille à Amsterdam mais vole entre les bureaux de la ville et de son domicile au Luxembourg plusieurs fois par mois?
Nous savons ce qui se passe quand tout va mal. La sœur de Hanif Kureishi a pas mal fait de tapage à propos de la façon dont son frère dépeint sa famille. La mère de Constance Briscoe l’a assignée en justice après son livre-mémoire Vilaine. James Frey a été publiquement humiliée par Oprah Winfrey quand son livre- mémoire s’est avéré être “Mille mensonges”. L’instantané d’une personne peut être un miroir déformant.
Mais si cet instantané est correct, que se passe-t-il ? Les amis et la famille de Knausgaard n’étaient pas en colère parce qu’il s’est trompé; il étaient en colère parce que ce qu’il a écrit est embarrassant et qu’il l’expose aux yeux de tous. Quatorze membres de sa famille l’ont assimilé à « de la littérature de Judas » dans une lettre ouverte publiée dans la presse norvégienne. Parce qu’ils pensaient que ce qui s’est passé dans leur vie n’était pas à être partagé avec des millions de personnes à travers le monde. Ils pensaient qu’il y avait une partie de la vie qui était privée. Ils ne se rendaient pas compte que les données personnelles de leurs vies étaient du bois pour nourrir le feu d’un écrivain.
Graham Greene savait beaucoup de choses sur ce sujet. Il disait que chaque écrivain avait besoin d’un « morceau de glace dans le coeur », sachant que n’importe qui vivant auprès d’un écrivain courait un risque. Il est difficile de savoir ce que Graham Greene aurait pensé maintenant, à l’ère des blog et des réseaux sociaux.
« Il est vaniteux. Mais si vous avez une âme, vous ne pouvez pas être satisfait«
Peut-être parce que ce qui importait, pour Greene, quand il est venu à l’écriture, n’était pas le sujet, mais l’art.
Pour l’art, vous avez besoin d’une certaine distance. Vous devez, comme Knausgaard le dit lors de la description d’un voyage à la National Gallery, une « distance entre la réalité et la représentation de la réalité« . En d’autres termes, un morceau de glace dans le cœur.
Knausgaard a certainement raison ; il a peut-être vendu son âme. La question est de savoir si ça valait le coup. Pour lui et sa famille, on ne saura pas la réponse mais pour des millions de lecteurs, ce sera oui. Après tout, pourquoi se soucier de la vérité quand la littérature la rend plus intéressante?
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14 commentaires
burntoast4460
J’ai connu une personne qui connaissait Julien Green et a eu, a plusieurs reprises, la mauvaise surprise de retrouver sa conversation très privée avec l’écrivain, sur le « Journal » (publie année après année), un an après.
murielle
Un écrivain a quasiment tous les droits non? Ce qui peut être désagréable.
Elise
Je viens de comprendre ton premier paragraphe. C’est Mein Kampf en allemand!!
murielle
ben oui!
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Audrey
Murielle, je ne suis pas d’accord avec ta conclusion. La vérité importe dans un livre de mémoires. Tout simplement parce qu’une vérité est arrivé, c’est un fait alors qu’un mensonge non.
On ne peut pas lire une biographie de la même façon si on sait qu’elle n’est pas vraie ou que l’auteur a changé des faits.
murielle
Tu m’as donné envie de répondre plus en longueur, je posterai quelque chose plus tard
mhf le blog
Tu me donnes envie… Je le note
Peyo
Je pense qu’un auteur a droit de parler de sa famille mais je mets une limite si c’est parler des enfants. Il y a un respect à avoir pour sa descendance qu’il n’est pas à avoir pour son ascendance.
Marie-Claire
Je viens de terminer le roman! Le lire c’est comme regarder par le trou de la serrure. Je pense qu’il sait exactement ce qu’il fait et jusqu’où il peut aller. Le premier livre est au sujet de son père, et il est déjà mort, donc sans aucune crainte de poursuite judiciaire. Il n’a pas écrit beaucoup de choses sur sa mère, qui, ça j’interprète comme la protégeant contre une exposition involontaire?
Je ne sais plus qui avait dit d’écrire comme si sa famille était morte.
Nathalie
En un seul article tu arrives aussi à parler d’un scandale de Greenpeace et de littérature. j’aime :-)
Il se trouve que j’ai lu Knausgaard et que si c’est un livre à charge contre sa famille, il ne se ménage pas non plus donc c’est match nul.
Benoit
Quand ses amis se sont retournés contre lui après la publication de « La Côte Basque 1965, » Truman Capote aurait dit « À quoi s’attendaient-ils? Je suis un écrivain »
Laurent
Armistead Maupin dit qu’il y a la famille biologique et la famille logique. Dans l’écriture, il y a la licence artistique qui permet de tout dire et même d’inventer. Je suis peut-être « pervers » mais je pense que si une famille ne se reconnaît pas dans un récit, elle devrait ne rien faire, ne rien dire et continuer à avoir de bons rapports avec l’écrivain. Le scandale s’éteindra de lui-même.
Et si les rapports étaient mauvais avant, ils resteront mauvais, donc pour quoi s’en faire?
C’est quand on proteste trop qu’il y a peut-être du vrai. Comme Shakespeare disait : « Elle proteste trop pour être honnête. »
Fred
Franchement, si j’avais le talent, je n’hésiterais pas à écrire sur ce que je connais, c’est à dire ma famille. Au moins il y aurait quelque chose de tangible pour se faire la guerre. Au fil des années on a eu des milliers de raisons pour se fâcher, ne plus se parler, divorcer, alors un livre en plus, pourquoi pas!