deux films
Deux films en ce début de semaine, l’un tout juste vu, l’autre vu ailleurs, il y a plus longtemps. Deux films sur la perte et sur la force des femmes.
Still Alice
Rarement un film offre un sujet, difficile presque inaccessible avec tant de grâce, de conviction et d’authenticité. Iris, Se souvenir des belles choses et Loin d’elle (tirés d’un roman d’Alice Munro) avaient déjà traité avec beaucoup de talent de la maladie Alzheimer. Mais là ou ces films parlaient de la maladie à travers les yeux du compagnon ou de l’amoureux, Still Alice le fait à la première personne.
L’histoire :
Mariée, heureuse et mère de trois grands enfants, Alice Howland est un professeur de linguistique renommé. Mais lorsqu’elle commence à oublier ses mots et qu’on lui diagnostique les premiers signes de la maladie d’Alzheimer, les liens entre Alice et sa famille sont mis à rude épreuve. Effrayant, bouleversant, son combat pour rester elle-même est une magnifique source d’inspiration.
Dr Alice Howland , l’héroïne du roman de Lisa Genova, est une professeur de linguistique, qui doit maîtriser ce que la poétesse Elizabeth Bishop appelle «l’art de perdre».
Alice, qui en est au point d’oublier les noms de ses enfants et ne sait plus épeler « Octobre », trouve un fichier vidéo sur son ordinateur. La vidéo n’est pas destinée à être visionnée, ou pas encore . C’est censé être le dernier message qu’elle ne verra jamais, quand son esprit sera trop détérioré. La personne sur la vidéo est elle-même il y a quelques temps – une Alice peu après le diagnostic, dans le le stade contrôlé de sa maladie.
Comme un piège d’amour jeté à sa famille, ce message est le meilleur moyen qu’elle a trouvé pour apporter une sorte de conclusion à son histoire. Mais c’est aussi une missive emplie de compassion et d’amour d’une personne à son futur moi.
Moore la console et lui parle avec patience, comme s’adressant à une enfant, et en même temps à l’écoute, avec un sourire de confiance et d’auto-reconnaissance embrouillée.
C’est peut-être le moment le plus fort d’une performance étonnamment délicate et triste. À la galerie déjà précieuse des portraits – la malade perdue de Safe, la droguée de Boogie Nights, la femme au foyer emprisonnée émotionnellement et socialement de Loin du paradis – on doit y ajouter maintenant Alice Howland.
Les gros plans sont minutieusement calibrés, et plutôt rares. Ces morceaux sont de minuscules merveilles et c’est ce qui est bouleversant.
Le film suit une trajectoire très rectiligne dans la cruauté de tous les troubles neurologiques – rendus particulièrement terribles quand Alice, qui a trois enfants, découvre que son mal est héréditaire. Pas de clichés, pas de moments cinématographiques qui joueraient avec une forme fragmentaire, genre boîte à souvenirs/puzzle. Seules quelques lueurs de la petite enfance avec des séquences vidéo sur la plage brillent par leur rareté.
Malgré une musique de chambre dirigée avec un peu trop d’insistance, le film est doux et fort en même temps. Ceci d’autant plus que les rôles secondaires sont impeccables avec des acteurs surprenants tels Alec Baldwin dont on avait oublié qu’il pouvait jouer autre chose que des rôles comiques. Son impatience hérissée est idéalement exploitée comme John, le mari d’Alice, dont le refus du diagnostic initial qu’il accueille avec moquerie suscite la colère de sa femme. Quand va t’il enfin l’écouter ?!
Kate Bosworth, leur fille aînée et Kristen Stewart, la cadette, sont également parfaites.
Enfin, au-delà de la perte de mémoire, c’est un film sur les mots – leur signification et leur fonction, sur tout ce qu’ils révèlent, malgré eux parfois, sur l’âme et ses révoltes. Sur leur pouvoir et leur impuissance.
Le premier mot qu’Alice va oublier est « lexique »…
Dans l’art de perdre il n’est pas dur de passer maître;
tant de choses semblent si pleines de l’envie
d’être perdues que leur perte n’est pas un désastre.(…)
Même en te perdant (la voix qui plaisante, un geste
que j’aime) je n’aurai pas menti. A l’évidence, oui,
dans l’art de perdre il n’est pas trop dur d’être maître
même si il y a là comme (écris-le !) comme un désastre »
Blind
Arrivé sur les écrans français, Blind – premier long métrage de Eskil Vogt , scénariste norvégien devenu réalisateur – imprègne la visualisation cognitive et la mécanique de narration pour réaliser ce que beaucoup se sont épuisés à faire en vain – ce que la vie sans vision peut être.
Ingrid (Ellen Dorrit Petersen), la trentaine, est aveugle. Quand que son mari quitte la maison pour aller au travail, Ingrid s’assoie à la fenêtre et imagine le monde extérieur. Déterminée à maintenir sa capacité à se rappeler les images de son passé, elle construit des récits où ses souvenirs vont habiter. C’est au sein de ces fabrications imaginatives qu’elle nous iprésente Einar (Marius Kolbenstvedt).
Einar est un reclus en surpoids, accro à la pornographie. Quand il commence à ne plus apprécier les plaisirs lascifs d’internet, il se met à espionner Elin (Vera Vitali), une femme divorcée suédoise qui vit dans la rue avec sa fille-fils, (Ingrid décide de changer le genre de son enfant à mi-récit pour aider le flot narratif).
Alors, que nous commençons à comprendre les règles du monde fictif d’Ingrid, nous investissant dans la vie de ses personnages, elle laisse monter son insécurité au sujet de la fiabilité de son mari en lui donnant un rôle dans son récit. Il devient ainsi un rival pour gagner l’attention d’Elin.
Les souvenirs d’Ingrid et son imagination créative dictent le rythme de Blind avec Vogt habitant la dualité du monde d’Ingrid – réalité et fiction se fondant dans un flou commun.
En dictant sa propre histoire, Ingrid atteint un sens d’action et d’autonomie. Son parcours personnel vers l’acceptation de son handicap nous emmène dans un voyage très émouvant qui est heureusement parsemé de moments doux d’humour.
Avec la photographie de Thimios Bakatakis, Vogt va à l’encontre des conceptions communes sur la manière dont la cécité doit être exprimée à l’écran, en ignorant clichés (tels que le flou aux bords périphériques de l’écran) et se concentrant s intensément sur des objets simples.
Louable pour son approche sympathique mais pas condescendante envers la déficience visuelle, Blind apportent également quelques commentaires habiles sur des questions telles que le regard masculin et comment nos désirs les plus profonds affectent notre perception du monde.
Comme une version plus sérieuse et intellectuelle du très bon L’Incroyable Destin D’Harold Crick, ce film est une approche originale, opérant entre les dichotomies de la fiction et de la réalité et montrant comment les deux peuvent être facilement confondus.
Oui, la manipulation est présente et pourra inévitablement irriter certains, mais c’est aussi une occasion magnifiquement rendue de voir le monde à travers les yeux de ceux qui ne peuvent plus le voir. C’est le portait émouvant d’une vie différente.
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2 commentaires
Burntoast
Ma mère ayant été alzheimer pendant à peu près six ans et, à la fin, dans une maison médicalisée, avec d’autres du même genre, je pense que j’ai donné. je n’irais pas voir le film.
Durant les visites, tout en faisant très attention – une pouvait mordre, une autre frapper avec sa canne – la plupart étaient attachants. On était même tristes de les voir mourir (ils avaient en général plus de 80 ans).
Nathalie
J’ai vu Still Alice. J’ai pleuré tout le temps! Ta critique est très juste mais je suis sortie anéantie.